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[verso-hebdo]
26-11-2015
La chronique
de Pierre Corcos
En solo ou collectif
Selon que le comédien est seul en scène, ou que nous ayons affaire à un groupe, et encore mieux à un collectif de comédiens, des effets contrastés, très différents, peuvent émerger de la scène. David Ayala, le collectif MxM et La Carte Blanche ont excellemment illustré pour nous cette constatation.

Dans cette salle d'un genre extraordinaire des Bouffes du Nord où il n'y a ni planches, ni décor, ni coulisses, ni rideaux, mais juste un sol nu et un grand mur délabré, David Ayala était seul pour magnifiquement interpréter le personnage d'un metteur en scène dans une étonnante tragi-comédie, signée Dan Jemmett : Macbeth (The Notes).
Une pièce qui nous parle du théâtre, surtout de sa cuisine préparatoire... Le metteur en scène - sans doute inspiré mais en tous cas stressé - donne ici ses dernières recommandations, à partir des notes qu'il a prises, aux techniciens, à toute l'équipe artistique et aux comédiens. Il conseille, sermonne, invective, s'impatiente, s'embrouille dans son fichu cahier de notes. Pour sa mise en scène de Macbeth, notre homme de théâtre possède une méthode, maintes références culturelles dans différents arts et, bien sûr, quelques aptitudes de comédien lui permettant d'esquisser le jeu qui lui semble le bon... Voilà donc la base du personnage sur lequel, en acteur superbe, David Ayala va déployer de multiples et formidables talents expressifs. Pantomime, modulations de la voix, mimiques étonnantes, chorégraphie improvisée... Le spectateur se rappelle alors les rares spectacles (Les Enfants du Soleil de Philippe Caubère par exemple) où toutes les puissances expressives d'un comédien, seul en scène, étaient, en un feu d'artifice diapré, offertes à son éblouissement. Performance d'autant plus appréciée et appréciable que le jeu fréquent des comédiens, aujourd'hui, reste influencé par le naturalisme plat des séries télévisées... Or Macbeth (The Notes) est en plus drôlissime, parce que les trucs, les ficelles, l'intendance, les embarras techniques, les détails matériels innombrables qui précèdent et accompagnent la mise en scène de cette tragédie grandiose contrastent de façon désopilante, par leur indécrottable prosaïsme, avec l'amplitude poétique du texte shakespearien.
Mais, voici qu'à sa vis comica, David Ayala, par quelques séquences où il interprète vraiment des passages de Macbeth, dans le noir, son visage seul éclairé, va ajouter ses talents d'acteur tragique. Dans un même mouvement, la pièce se transmue en tragi-comédie (ou plutôt en comédie tragique) et David Ayala conquiert le statut d'acteur complet... A la fin, il se plonge dans une baignoire pleine de sang et vient se présenter, nu et rutilant, sous les spots et devant le public... « J'ajoute au langage parlé un autre langage et j'essaie de rendre son efficacité envoûtante intégrale au langage de la parole », disait Antonin Artaud. Et David Ayala, retenant la leçon d'Artaud, outrepasse les mots, tente d'abolir les frontières entre le vécu et le représenté. Il y a le vertige d'Artaud et la puissance d'un taureau chez ce comédien. Seul sur scène, au-delà de cette tragi-comédie signée Dan Jemmett, de Shakespeare, du théâtre, de la parole même, il vient pour nous témoigner de la possession par les forces, et de son immédiat exorcisme par la simple (re)présentation.

Sous la houlette de Cyril Teste, le Collectif MxM « place l'acteur au coeur d'un dispositif mêlant image, son, lumière et nouvelles technologies » et La Carte Blanche est un collectif d'acteurs issus de l'École Nationale Supérieure d'Art Dramatique de Montpellier.
En 2013, ils ont rencontré Cyril Teste et MxM, et créé Nobody à partir de plusieurs pièces de l'Allemand Falk Richter. Ici le jeu groupé des comédiens travaillant en collectif s'avère essentiel, car ce qui nous est donné à voir, c'est un lieu de travail d'aujourd'hui : un cabinet de consultants où des hommes en costume, des femmes en tailleur s'activent dans ce vase clos comme des insectes ou des robots. En ces lieux suffocants règne le néomanagement contemporain de la surproductivité... Afin d'obtenir une rentabilité maximale, la compression de la masse salariale, l'« undersizing » du personnel s'accompagnent d'un surtravail pour ceux qui ont le « privilège » de n'avoir pas (encore) été licenciés. Ce surtravail passe notamment par d'innombrables réunions où chacun se contrôle, des évaluations constantes des uns par les autres, de l'événementiel pseudo-festif, des séances de brainstorming, des tests inquisiteurs chez le psychologue d'entreprise, bref par un harcèlement multiforme et permanent, dont les effets dévastateurs sont apparus, on s'en souvient encore, lors de la vague de suicides (35 salariés tout de même !) à France Telecom en 2008 et 2009.
Grâce à cette mise en scène où l'effet chorégraphique de groupe est saisissant, et où l'usage interactif de la vidéo (« performance filmique ») permet d'observer en même temps ces êtres aliénés, déshumanisés sur un écran et dans leur bocal, le spectateur découvre, effaré, cette jonction mortifère entre une rationalisation sans limite des tâches et le déploiement d'une névrose obsessionnelle collective, laissant la part belle au micro-sadisme. Enfer glauque, carcéral, décoré du néon rose et clignotant de la « pensée positive »... Dans ces lieux de travail, de surexploitation où toute spontanéité, toute joie sont parties à jamais, chacun n'est plus qu'un Nobody interchangeable, voué soit à être un jour licencié, soit à prendre la forme définitive d'un rouage. Il ne faut pas chercher loin pour trouver pareilles entreprises !

Fonction cathartique du théâtre avec Ayala/Jemmett, fonction critique du théâtre avec les collectifs MxM/La Carte Blanche... Deux fonctions théâtrales gardiennes d'humanité, dans un temps où l'inhumain prend des masques divers pour imposer le silence de Thanatos
Pierre Corcos
26-11-2015
 

Verso n°136

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