Combien sont-ils, depuis, disons Baccio Bandinelli au XVIe siècle se représentant en « Jupiter vainqueur du lion de Némée », parmi les artistes, à avoir un ego démesuré ? Ils sont évidemment innombrables et, aujourd’hui, la championne du genre me paraît être Mariko Mori, grande prêtresse d’un nouveau syncrétisme annonçant l’accomplissement de « l’harmonie éternelle de l’esprit humain ». Vuk Vidor auto-représenté dans une statue dorée faisant le salut serbe (main droite en l’air, trois doigts tendus) est-il différent de Mariko Mori glorieusement installée dans sa capsule spatiale ? Son installation SuperEgo, visible à la galerie Magda Danysz jusqu’au 24 décembre, semble répondre négativement à la question : Mariko Mori est désarmante de sincérité (peut-être de naïveté) alors que Vuk Vidor apparaît comme un dandy essentiellement désabusé. Né en Yougoslavie en 1965, vivant en France depuis l’âge de deux ans, devenu artiste par osmose, son père étant l’un des plus importants peintres contemporains, sa démarche est celle d’un opposant. On se souvient de son mur peint de la boutique Blackblock du Palais de Tokyo en 2006 : The Blood Value of the Banana qui s’en prenait à l’impérialisme américain en Amérique latine. Aujourd’hui, SuperEgo s’attaque au nationalisme serbe (le plus virulent au monde selon une enquête récente). Vidor, pour mieux moquer la « folie inaltérable » de son peuple, s’identifie à elle en prenant la posture de l’artiste « monstre d’égoïsme, narcissique et imbu de lui-même ». Le socle de sa statue est posé sur une carte de la Serbie d’où partent, peints sur le sol, des rayons allant dans toutes les directions, manière de dire que la Serbie se prend pour le centre du monde. Sur les murs, des peintures (Vuk Vidor en Saint Sébastien percé de huit flèches) et des interpellations en américain : « My friends are better artists than yours » ou « My friends are better looking than yours », laquelle est illustrée par des dizaines de photographies de l’artiste en compagnie d’autant de pulpeuses jeunes femmes. On est tenté de rire, mais Vidor nous arrête vite : dans l’un des tableaux exposés, on distingue des figures disloquées, un crâne, et une croix gammée. Titre : My country in miniature !
Vuk Vidor, déçu de l’Amérique des super-héros réduits à l’état de chiffes molles, est aujourd’hui désespéré par la Nation de ses ancêtres. Il a des questions gravissimes à poser (un artiste n’a pas à donner de réponses), et il le fait avec l’élégance d’un humour qui ne l’épargne pas lui-même. SuperEgo, au premier étage de la galerie, ne constitue qu’une partie de l’exposition, deuxième étape de son Quartet américain, de bout en bout passionnante. Vuk Vidor, parvenu à maturité, se révèle comme un des artistes les plus originaux de sa génération.
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