Depuis que Robert Rauschenberg a recouvert d’or fin une feuille de papier journal posée au sol au début des années cinquante, l’or est devenu un sujet d’investigation pour de grands artistes comme Warhol, Beuys, Remo Bianco, Fontana, Albert Burri, Yves Klein, et quelques autres encore. Peu à peu, les artistes ont été pris après eux par la fièvre de l’or comme les conquistadores qui ont été financés par des banquiers allemands à l’époque de Charles Quin, comme les « gold diggers » qui ont chassé les indiens cherokees du grand territoire que leur avait concédé le gouvernement américain (qu’on se rappelle le merveilleux film de Charlot, Gold Diggers de 1924, qui à la fois exalte l’épopée de ces prospecteurs prêts à tout sacrifier pour cette recherche qui s’est changée en une folie collective, mais qui la tourne aussi en dérision avec une ironie asse mordante – ce film qui est sorti un an plus tard a connu un succès énorme et a rapporté des millions de dollars de l’époque), mais, au bout du compte, comme la plupart des civilisation d’Orient et d’Occident.
La symbolique de l’or est aussi puissante que sa valeur d’échange. Songez aux sommets des pyramides de l’ancienne Egypte, aux sarcophages de ses pharaons, aux pagodes aux toits dorés du Cambodge, la Chine, de la Thaïlande, du Japon (le roman de Yukio Mishima, le Pavillon d’or, publié en 1956, part d’un événement réellement advenu et qui a profondément touché l’opinion publique du Japon), songez au fonds d’or dont je vais parler plus loin dans la peinture religieuse de l’Europe catholique. Un des plus grands débats théologique de la première moitié du XIIe siècle a été celui qui a opposé l’abbé de l’abbaye de Saint-Denis et saint Bernard, abbé de l’abbaye de Clairvaux, qui écrit l’Exordium Magnum Ordinis Cisterciensis et fonde l’ordre cistercien, qui exige le dépouillement le plus absolu, alors que Suger voulait que l’Eglise soit un trésor de beauté et de richesse pour la plus haute gloire de dieu, ce qu’il exprime dans son ouvrage De la consécration. Le coup de force de François d’Assise au XIIIe siècle avait été une répétition de ce même conflit entre la richesse du monde ecclésiastique et la nécessité d’aller vers la pureté qui serait l’abandon de tout bien terrestre. Ce missionnaire violent et vindicatif, fils d’un marchand aisé et qui s’est même dénudé devant tous et avait distribué son argent aux miséreux pour montrer l’exemple n’a pas été loin d’être excommunié à cause de ses agressions aux églises et aux monastères avant que le pape Innocent III comprenne tout ce qu’il pourrait obtenir par son action. Il fallait une force active pour relever l’Eglise dont l’influence faiblissait. Sa Regula prima pour l’ordre des frères mineurs et des sœurs pauvres (le « Tiers Ordre »), abrégée et simplifiée, est approuvé par le pape Honorius III en 1222.
Cette histoire très ambiguë a beaucoup à faire avec l’œuvre d’Umberto Mariani qui, en dépit de la radicalité de ses monochromes (noir et blanc, en passant par le gris et par la plupart des couleurs du spectre), ne fait que poursuivre une obsession qui lui appartient depuis les temps de l’Académie des Beaux-arts de Brera à Milan et qui est celle du plissé. La statue de sainte Thérèse du Bernin a dû entrer dans ses rêves ! C’est donc l’héritage antique et puis le néoclassicisme le plus poussé de Winckelmann et de ses amis (Antonio Canova, Pompeo Batoni, Andre a Appiani, etc.) qui se conjuguent avec sa modernité extrême. Mariani est un des fruits esthétiques du concile de Trente, non pour ses convictions religieuses, mais pour sa culture. C’est ce paradoxe qui fait la beauté et l’intérêt de son entreprise artistique, qui n’est pas purement formelle comme on pourrait le croire à première vue ! Et l’alliance du blanc et de l’or est une des grandes portées de la musique visuelle de l’art baroque (il n’est que de visiter la Reggia de Caserte). Mais ce n’est pas tout : l’artiste a réussi à changer le plomb en or (symboliquement), ce qui a été le Grand Œuvre des alchimistes, ce qui était une métaphore (une sorte d’ascèse spirituelle passant par les éléments terrestres), mais qu’on voulait entendre au sens propre, comme l’a fait Rodolphe II de Habsbourg.
A la fois classique, néoclassique, baroque, Hard Edge, et puis alchimiste au bout du compte (une aventure loin d’être terminée car il ne cesse d’en voir les prolongements dans la structure de ses plissé et dans le choix de ses cadres, et ainsi de suite). Il a poursuivi une chimère et il est parvenu à la domestiquer. Sans emphase, mais sans concession à la mode, il a eu la force d’aller jusqu’au bout de son raisonnement, coûte que coûte. Et l’or est venu à point parachever toutes les contradictions apparentes de sa démarche, qui sont en réalité la trace des mouvements subtils et complexes de son jeu pictural.
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