ID : 101
N°Verso : 69
L'artiste du mois : André-Pierre Arnal
Titre : De la gestation au geste
Auteur(s) : par Lorenzo Vinciguerra
Date : 07/10/2013



De la gestation au geste
par Lorenzo Vinciguerra

La nature suit des processus, l’art des procédés. Le second, issu de la première, ne laisse pas de l’imiter pour en traduire ou peut-être tout simplement en prolonger l’ouvrage par une certaine maîtrise technique. Or, comme l’écrit Merleau-Ponty, « toute technique est technique du corps »[1]. La peinture s’est beaucoup interrogée sur ce qui fait son corps et ses conditions matérielles : la couleur, le dessin, le geste, le support et la surface. Prise entre l’opacité de son support, le cadre qui l’entoure et la transparence fictive d’une surface qui telle une fenêtre l’isole et en même temps la consacre[2], l’histoire du tableau fut une glorieuse parenthèse, quoique somme toute assez brève, dans l’histoire et la préhistoire de la peinture. Pourtant, si l’on a pu parler de naissance et de mort du tableau[3], celles-ci ne se sont jamais confondues avec le commencement et la fin de la peinture.

Les méditations de Merleau-Ponty sur Cézanne, contemporaines du Geste et la parole de Leroi-Gourhan, et des interrogations anthropologiques et esthétiques de Leiris et de Bataille sur les origines de la peinture en marge du modernisme, qui suivirent la découverte de la grotte de Lascaux, ne sont pas étrangères à une réflexion sur la fin de la représentation classique en peinture. Pour Merleau-Ponty, lecteur de Panowsky, l’œil de Cézanne n’est déjà plus habité par l’esprit cartésien de la perspective monoculaire. L’espace de la toile ne répond plus à un dispositif optique géométrisé, à un espace homogène, à un point de vue fixé arbitrairement. S’il y a pour l’histoire de la peinture occidentale un avant et un après Cézanne, si le peintre d’Aix n’usurpe pas le titre de père de l’art moderne, c’est que les peintures de la montagne Sainte Victoire, qui en sont devenues les icônes, nous font quitter le lieu d’une vision panoramique et désincarnée du monde. Les yeux de l’esprit y retrouvent leur matrice corporelle, et les questions du visible et de la vision sont ramenées à leur point d’ancrage primordial et primitif à la «chair du monde».

André-Pierre Arnal n’a jamais démenti les revendications programmatiques du mouvement Supports/Surfaces, qu’il contribua, avec d’autres, à fonder au tout début des années soixante-dix[4] : l’affirmation radicalisée d’une peinture définitivement non-représentative ; le refus d’une quelconque subjectivité inspirée de l’artiste ; l’intérêt pour la matérialité et les techniques. Les exigences avancées par les représentants de Supports/Surfaces prolongeaient la conception moderniste et formaliste défendue par Greenberg outre-atlantique, celle d’une forme d’art tendant historiquement à revenir à ses conditions de possibilité (le pigment, la toile, le geste), pour atteindre le « degré zéro » de sa forme, synonyme d’autonomie, de pureté et de retour aux origines.

[1]L’Œil et l’Esprit, Gallimard, Paris 1964, p. 33.
[2]Cf. Georg Simmel, Le cadre et d’autres essais, traduit et préfacé par K. Winkelvoss, Gallimard, « Le promeneur », Paris 2003.
[3]Cf. Victor Stoïchita, L’instauration du tableau, Droz, Genève 1999.
[4]Parmi lesquels on retrouve à différent degré Vincent Bioulès, Pierre Buraglio, Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Toni Grand, Christian Jaccard, Jean Michel Meurice, Bernard Pagès, Jean Pierre Pincemin, Patrick Saytour, André Valensi, Claude Viallat ; pour un aperçu historique du mouvement Supports/Surfaces, cf. les articles de Deborah Laks, « Une histoire de Supports/Surfaces » et Bernard Ceysson « Supports/Surfaces. De la peinture avant toute chose », dans Le moment Supports/Surfaces, Ceysson Éditions d’Art, 2010.

 

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