ID : 130
N°Verso : 86
L'artiste du mois : Djoka Ivackovic
Titre : Ivackovic, ou la voie vers l'absolu
Auteur(s) : par Jean-Luc Chalumeau
Date : 02/09/2015



L’Académie des Beaux-Arts de Serbie a ouvert le 30 septembre une grande exposition rétrospective à Djoka Ivackovic, qui développa son œuvre essentiellement à Paris. L’heure est donc venue d’envisager sa démarche purement abstraite dans toute sa richesse, sa complexité et son originalité.

Ivackovic, ou la voie vers l'absolu
par Jean-Luc Chalumeau

J’ai devant moi un tableau de Djoka Ivackovic, daté 16 avril 1981, de format carré (comme pratiquement toutes ses œuvres). Ses dimensions, 60 x 60 cm, étaient alors familières au peintre, comme en témoignent par exemple les deux tableaux réalisés le 5 mai suivant. Ce tableau m’a été offert par Djoka, mon ami, en 1990. Exécuté sur fond blanc, je l’éprouve depuis vingt-cinq ans comme essentiellement vrai. Cette œuvre est en effet vraie en ce qu’elle est achevée, qu’elle décourage toute idée de rature ou d’amendement. Ce petit tableau, de même que d’autres plus grands de la même époque, par exemple celui du 26 mai 1981 de 2 x 2 mètres, s’impose souverainement : une seule touche de plus sur la toile, et l’équilibre en serait rompu, la forme irrémédiablement compromise. Je n’ai jamais eu l’idée de résister à cette impression d’aisance et de sûreté, simplement parce que toute œuvre d’Ivackovic s’adresse, non pas à notre entendement, mais au sensible entraînant un acquiescement de notre corps grâce auquel nous éprouvons la plénitude et la nécessité de la « bonne forme ». Je dis donc que le tableau qui est devant moi est vrai parce que rien en lui ne sonne faux, parce qu’il satisfait pleinement la perception, parce qu’il répond à chaque instant et en chacune de ses parties à l’attente qu’il éveille dans la sensibilité. Il est établi que c’est à la perception que l’œuvre révèle sa cohérence, et que c’est le sensible même qui s’ordonne sous notre regard, selon une rigueur qui ne doit cependant rien à la logique.

Cela dit, nous savons bien que nous ne pouvons être seulement des purs regards comblés par l’appréhension du tableau : il faut qu’un autre intérêt soit éveillé en nous. La rigueur du tableau ne saurait être exclusivement sensible : nous sentons que la rigueur sensible, ici, est le signe d’une autre rigueur, car autrement ces formes parfaitement équilibrées dans leur désordre apparent pourraient nous apparaître bientôt vides.

Il y a en effet une seconde vérité de toute œuvre d’Ivackovic, une vérité par rapport à l’artiste lui-même. Est vraie en effet toute œuvre  répondant à une nécessité chez celui qui l’a créée. Or Djoka était à l’évidence un artiste authentique, il était celui pour qui, lorsqu’il décide que son œuvre est achevée, sent qu’un certain accord s’est réalisé dans la matière même de l’œuvre. Un accord qui lui interdit toute retouche car il a constaté qu’il est lui-même là-dedans, qu’ici se trouve ce qu’il pouvait attendre de lui-même. Le critique Georges Boudaille l’avait bien compris, qui avait écrit dès 1971 que « c’est à ce point exact que gît le rare talent de Ivackovic : il ne pense qu’à nous transmettre une émotion souvent fugitive et par la vertu du métier, la composition s’organise, trouve un équilibre dynamique. » (préface à l’exposition de la Galerija Doma Omladine, Belgrade, juin 1971)

 

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