France Mitrofanoff, ou la plénitude du sensible
par Jean-Luc Chalumeau
France Mitrofanoff explore les infinies possibilités plastiques offertes par les arbres depuis plusieurs années. Que ce soit le splendide arbre clair qu’elle appelle La Cerisaie en souvenir d’Anton Tchékhof ou un majestueux chêne sombre (L’élégance du noir, L’arbre de Lussan), on perçoit à chaque fois l’a priori existentiel qui anime les formes chez ce peintre. Parce qu’elle s’est totalement impliquée dans son faire, chez elle faire et être sont une même chose. Nous ressentons fortement que l’artiste a arrêté de travailler lorsqu’elle est parvenue à un certain accord, dans la matière même de l’œuvre, excluant toute retouche : elle s’est littéralement « faite » en faisant son œuvre, non qu’elle ait songé à la faire, mais parce qu’elle s’est engagée dans son faire. Et voilà pourquoi, que ce soit à propos des Chantiers des années 90, des Labyrinthes des années 80, ou des Forêts et Cheminements des années 2000, toujours nous repérons la marque propre du peintre qui est tout simplement son style. Le style, ici, n’est jamais un procédé offert à l’artiste pour qu’elle en use, il est sa démarche inimitable, la même à chaque fois qu’elle entame une nouvelle œuvre, pour produire un objet esthétique complètement neuf. L’arbre noir, pathétiquement penché, est bien pour nous un arbre jamais vu. Pour l’artiste, cela se vit et ne se transmet pas : pour le faire comprendre à ses étudiants, il est arrivé à France Mitrofanoff de peindre devant eux, non pas un détail, mais un tableau en sa totalité. C’était le seul moyen de leur transmettre ce qui ne peut se dire avec des mots. Une fois qu’il a été indiqué verbalement qu’un tableau est le résultat d’une combinaison de rigueur et de gestualité, jusqu’à trouver un point d’équilibre (que l’artiste appelle harmonie), à chacun de trouver pour lui-même sa propre formule. Cette dernière peut évoluer : le métier de Mitrofanoff n’est pas le même aujourd’hui que dans ses séries des décennies précédentes, mais le métier n’est qu’un moyen. Le style, lui, ne change pas, car il n’y a pas deux vérités distinctes, une qui serait celle de l’œuvre, l’autre qui serait celle de l’artiste : ce qu’est cette dernière est indissociable de ce qu’elle fait et de la manière dont elle le fait.
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