Un classique non relié
par Robert Bonaccorsi
La pourpre ecclésiastique ne sied point à Gilles Ghez et pourtant son œuvre s’organise et se déploie autour d’un point d’équilibre, d’un état de suspension (presque de grâce), d’un principe cardinal : l’autoportrait. Nous connaissons la particularité de ce travail à nul autre pareil : son organisation en boîtes. La captation d’un imaginaire et sa modélisation en réduction. Autrement formulé, les tribulations de Lord Douglas Dartwood alias Gilles Ghez. Un double, un jumeau, un miroir. « L’autoportrait innommable est inconcevable » (1). Ici l’autoportrait s’énonce sous pseudonyme dans le cadre d’une féerie romanesque. Je suis un autre, un frère besson, un alter ego et conjointement, un ailleurs. Comment établir la part des choses ? Chaque boîte implique l’analyse, le regard scrupuleux, l’exégèse mais aussi le coup d’œil , la lecture en diagonale. Une boîte de Gilles Ghez intègre, pour mieux la déployer, une fiction qui dépasse par principe et caprice les bornes. Il n’y a pas de limite à la conscience du rêve. La Boîte-en-valise de Marcel Duchamp résume, totalise. Les boîtes de Gilles Ghez constituent autant de fractions autonomes et ouvertes qui peuvent s’articuler, se questionner, se découvrir dans la solitude et en séquences. Le cadre libère l’infinité des possibles d’un imaginaire précis qui s’édifie avec la patience et l’attention d’un « artiste ménager » et « quelque peu radoteur », précise-t-il. Réaliser une œuvre en trois dimensions oblige à la pluralité des techniques (peinture, sculpture, collage…) et nécessite l’habileté technique d’un bricoleur. L’artiste démiurge se découvre face à l’établi tel un peintre artisan. Son atelier, celui qu’occupait son grand-père, le peintre Georges Emile Capon, s’est transformé en gîte où l’on songe et où l’on crée. L’écrin des boîtes en chantier en quelque sorte. Une manufacture où Gilles Ghez se rend maître et possesseur de ses odyssées à venir. Figurer ses propres récits, les rendre tangibles, palpables, traquer le motif dans le tapis, voilà non seulement l’épreuve mais l’enjeu. Des Contes de la mer intérieure (2). La figurine relève du jouet, du jeu de rôle et par voie de conséquence du kriegsspiel. Pour Gilles Ghez, la boîte est la continuation de la peinture par d’autres moyens. Clausewitz est proche dans cette stratégie du rêve qui s’énonce, pour mieux s’évader, en vase clos. Une dialectique de l’interne et de l’ouvert, de ce qui se déroule « in the box » et des connections qui s’établissent et des références qui s’enchevêtrent. L’énoncé et le déroulement progressif d’une énigme. Des scènes, des situations, des lieux de captation du désir et de son mystère. La question qui se pose n’est pas de comment sortir de la boîte, mais bien d’y pénétrer.
[1] Pascal Bonafoux, Autoportrait où tout paraît, L’Harmattan, 2014, p. 31.
[2] Titre de l’exposition de Gilles Ghez à Fécamp, Palais Bénédictine, en 2007.
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