ID : 143
N°Verso : 98
L'artiste du mois : Clémence van Lunen
Titre : Raffinement contre rusticité (et vice versa)
Auteur(s) : par Frédéric Bodet
Date : 01/12/2016



Frédéric Bodet
Conservateur chargé des collections modernes et contemporaines. Sèvres, Cité de la céramique.

Clémence van Lunen est représentée par la galerie Polaris, Paris
www.galeriepolaris.com

Raffinement contre rusticité (et vice versa)
par Frédéric Bodet

Durant ses premiers séjours en Chine, en 2004-2006, Clémence van Lunen a fait la transposition en ronde-bosse des circonvolutions ondoyantes d’un motif chinois ancestral, capable de décrire dans une identique synthèse graphique le mouvement des nuages et le dos ondulant d’un dragon, la présence mouvante des esprits et le flux tourmenté d’un cours d’eau. D’autres petites pièces en porcelaine aussi raffinées qu’inquiétantes ont été réalisées en Chine à cette période, semblables à des « Lotus », plantes carnivores, passementeries capitonnées, ilots exotiques et enchantés…Cette capacité de raffinement mêlé d’exubérance qu’obtenait l’artiste avec la pâte de porcelaine, dans une précision presque maniaque des détails, avait su séduire la Manufacture de Sèvres, qui lui demanda en 2006-2007 la réalisation de ses désormais fameux Dragons de Sèvres, l’un revêtu d’un émail « bleu de four » brillant et l’autre, plus minéral, laissé en « biscuit » blanc. Ces chimères fantastiques décrivent de vigoureuses sinusoïdales sans tête ni queue – plutôt moignons et membres osseux – et laissent fort bien imaginer, par leurs gigotements syncopés, les feux d’artifice dégagés par les traditionnels dragons en papier du carnaval chinois… Une violence dansée associée à une vraie joie de vivre qui pourrait faire devise à l’œuvre entière de Clémence van Lunen dont, par certains aspects, la fantaisie virulente pourrait être mise en écho avec celle de Niki de Saint-Phalle…

A partir de 2010-2011, l’approche sculpturale de Clémence change promptement. Elle se détourne volontairement de cette extrême minutie du trompe œil et d’un sens du kitsch entretenu par ses fréquents séjours en Chine. Elle s’embarque alors avec vigueur dans des tentatives plus frontales avec la masse et la plasticité de l’argile : surgissent les Doodles, amples pliages de pâte céramique (il ne s’agit plus de porcelaine mais de grès), certains réalisés à grande échelle à l’aide d’une machine à extruder dans le cadre d’une résidence faite l’European Keramiek Work Center (EKWC) de ‘S-Hertogenbosch (Pays-Bas). Ces énormes colombins semblent nés de l’agrandissement d’une mixture colorée sortie directement d’un tube sur la palette d’un peintre… Il est important de noter combien Clémence joue avec cette force de la couleur, sur des sculptures dont l’émaillage est hâtivement brossé, pour qu’elle agisse tel un énergisant de la forme. Il en est de même, plus récemment encore, à partir de 2012, lorsqu’elle s’engage dans la passionnante série des Wicked Flowers, élaborées dans son propre atelier parisien. Ces grands vases sculptés (avec fleurs incluses !) ont fait l’objet d’une exposition au Domaine de Kerguéhennec de mars à mai 2015.

 

1 2 3 4 5 6 suite


Verso n°98
 
 
visuelimage