Transformer notre conscience du réel
par Jean-Luc Chalumeau
Si le réel c’est Arthur Rimbaud, un homme anonyme solitaire dans une cabine téléphonique, Antonin Artaud, le sida à Soweto, Jean Genet, les extases de Catherine de Sienne ou de Thérèse d’Avila… Alors oui, franchement, je peux dire que l’art, en l’occurrence celui de Pignon-Ernest, transforme puissamment ma conscience du réel. Mieux : il peut me révéler un réel que je ne soupçonnais même pas.
Mais tout d’abord, pour ceux qui ne sauraient pas bien qui est Ernest Pignon-Ernest, quelques précisions. Né à Nice en 1942, il n’est pas peintre, ni sculpteur : il dessine exclusivement. Je prétends même qu’il est un des plus grands dessinateurs de toute l’histoire de l’art (Les 200 plus beaux dessins du monde, Chêne-Hachette, 2008). Ses dessins – en général de grands fusains – ne sont pas destinée à être exposés dans les galeries et les musées (cela leur arrive tout de même de temps en temps, notamment à la galerie Lelong) : ce sont des matrices pour des sérigraphies qui seront collées sur les murs des villes. En 1978 par exemple, il a voulu rendre hommage à Rimbaud et il a inventé son portrait à partir de rares photographies de lui qui nous sont parvenues. Mais il l’a débarrassé de sa lavallière et revêtu d’un jean car le poète des Illuminations est notre contemporain. Le dessin est d’inspiration classique dans la forme ( Ernest a atteint un niveau de maîtrise équivalent à celui du Caravage en peinture, une de ses références de prédilection, or le maître napolitain n’a pratiquement pas dessiné : il invente donc un dessin tel que le Caravage aurait pu le pratiquer !). Le dessin représentant Rimbaud a ému, comme nous a bouleversé le portrait de Pasolini ou celui, collé sur les murs d’Alger, de Maurice Audin, français martyr de la cause algérienne. Au fait, pourquoi Rimbaud ? Sans doute parce que le fanatique de l’indépendance individuelle, le passionné de liberté, ne saurait être mis au service d’aucune lutte, sinon celle qui annonce « l’éternité sur le champ ». Or l’art est susceptible de nous la donner, parce que seul il peut transformer notre conscience du réel : l’art de Pignon-Ernest en tout cas.
Ernest Pignon-Ernest