La peinture selon Marie-Cécile Defline : une philosophie de la nature
Par Jean-Luc Chalumeau
Marie-Cécile Defline est née à Wissant, sur la Côte d’Opale entre les caps Blanc et Gris-Nez, là où les dunes, la mer et le ciel s’interpénètrent à nos yeux de manière particulièrement spectaculaire en raison de l’étendue exceptionnelle des plages de sable. Nous ne sommes qu’à une trentaine de kilomètres de l’Angleterre : rien d’étonnant à ce que les blockhaus du mur de l’Atlantique aient été ici particulièrement massifs et nombreux. Marie-Cécile Defline a fait les Beaux-Arts longtemps après la guerre, et elle est devenue peintre alors que, en raison des mouvements du sol travaillé par l’océan, les casemates de béton s’étaient déjà cassées, déchaussées par rapport aux dunes, puis avaient dérivé sur les étendues sableuses toujours mouillées. Il en a résulté un superbe cas de rencontre entre la nature et l’objet fabriqué ( un esthéticien dirait « entre nature et culture ») qui se trouve être la matrice inlassablement reprise par l’artiste, son inépuisable source d’inspiration dont témoigne, parmi d’autres, une de ses plus remarquables œuvres, le Grand blockhaus cassé, un diptyque de 2001 (huile sur toile, 114 x 324 cm).
L’ancien monstre de béton n’est plus qu’un amas de débris au centre de la composition (certains autres tableaux ont pour titre Fracture, renversement). Il s’est incorporé à la nature, il est devenu aux yeux de l’artiste nature lui-même, mais il n’a pas pour autant tout à fait perdu ce qui faisait de lui jadis une menace terrifiante. Chez Defline parcourant les paysages marins qui deviendront tableaux, on doit sans doute comprendre le mot nature en un sens voisin de la Erde de Heidegger : présence massive de ce qui nous fait presque violence, et nous rappelle la nature « immense, impénétrable et fière » chantée par le Faust de Berlioz. Si Marie-Cécile Defline oublie parfois les morceaux de blockhaus, elle peint alors par exemple une splendide variation chromatique qu’elle nomme Orage bleu, hommage à Constable (huile sur toile, 2009). Il pleut sur la mer. Il s’agit de la seule nature, oui, présente mais non pas imitée, car il est d’abord question chez les véritables peintres d’expérience sensible. Ici, c’est l’expérience de la rencontre entre des couleurs diaphanes et d’autres, plombées. Une expérience qu’elle prête avec raison à Constable car, pas plus que ce dernier, elle n’est une simple « paysagiste ». On comprend, en revenant aux traces des constructions guerrières enfouies dans le sable vues par Defline, que l’art réhabilite le sensible précisément en s’éloignant de l’objet. Dans ces épaves dont elle a réalisé toute une série ( Epaves, fer, béton ; pastels à l’huile sur papier, 2015), on discerne le projet implicite de l’artiste qui est de conserver un sens toujours immanent au sensible. Et ce sens est évidemment avant tout dans la forme qui manifeste à la fois sa plénitude et sa nécessité.
De même que John Constable est resté attaché à sa terre de Dedham Vale dans le Suffolk, Marie-Cécile Defline est fidèle à ses chères dunes du Pas-de-Calais. Si, comme lui, elle laisse dire qu’elle est une « paysagiste », il faut alors entendre que, comme lui, elle considère que la peinture est « une des branches de la philosophie de la nature ». Cela change tout et explique la profonde originalité de cette artiste contemporaine que l’on évitera de prendre pour qui elle n’est pas.