L'ouvert d'un monde
par Jean-Luc Chalumeau
Edith Longuet-Allerme parcourt sans cesse le monde. Non pour y découvrir des paysages grandioses ou découvrir des visages nouveaux, mais pour se pencher sur les humbles réalités dont elle fait son propre monde. On rencontrera ainsi dans son œuvre, par exemple, des « dessins de végétaux prélevés dans la toundra de Laponie finlandaise ». Ils sont tracés sur métal et ils sont étourdissants de virtuosité. L’objet esthétique, chez Edith Longuet-Allerme, apparaît comme une présence injustifiée, ou du moins dont la justification ne dépend pas d’abord de l’intelligence, mais d’une présence impérieuse parce que sa matérialité est exaltée et que le sensible y trouve son accomplissement. C’est dans un cas comme celui-ci que Martin Heidegger aurait observé que l’œuvre d’art à la fois produit un monde et révèle la terre : « Elle retient et garde la terre même dans l’ouvert d’un monde ».
Bien entendu, le sensible n’est matière que parce qu’il est informé ; les vertus de la matière sont liées à la rigueur de la forme, la nature est ici dépassée. Avec Edith Longuet-Allerme et notamment son dessin graphite, l’art réhabilite le sensible en supprimant la figure de l’objet auquel dans la perception ordinaire le sensible renvoie immédiatement, mais la disqualification de l’objet n’est pas le renoncement à toute signification. Un sens est toujours immanent au sensible, et ce sens est d’abord la forme qui manifeste à la fois sa plénitude et sa nécessité. Cela est aussi vrai de la mystérieuse Horloge du discours, l’écriture s’évapore (une installation éphémère à base de glaçons d’encre noire dans du papier A4) que de du petit cadre 30 x 40 cm dit In-fusion (thé Coréen sur Hanji paper, 2016). Rien d’étonnant, dans ces conditions, si le travail infiniment subtil d’Edith Longuet-Allerme inspire les poètes. Mais, pour son propre compte, l’artiste se tait : son Opuscule silencieux (verre, graphite, encre noire, bois. Six diptyques, 2013) en témoigne discrètement.