Dans l'image et au-delà
Visite critique de l'expo de Véronique Bigo au MBA Marseille.
par Athénaïs Rezette
Dans le catalogue de l’exposition [1], Thierry Le Gall, docteur en histoire de l’art, propose le nouveau concept d’ « in situ au musée » pour circonscrire la démarche de Véronique Bigo au musée des Beaux-arts de Marseille. On le suivra sans hésiter, tant cette expérimentation inédite appelle une approche originale. Sous la plume de Luc Georget, conservateur en chef, on apprend que l’artiste n’eut qu’une contrainte à respecter, celle de ne pas toucher à l’accrochage. Consigne simple mais défi immense. Comment un peintre peut-il inscrire ses toiles dans une scénographie en place et parfaitement étudiée ? La solution dégagée par l’artiste est suggérée par Xavier Rey dans sa contribution à l’ouvrage. Le directeur des musées de Marseille rappelle que Véronique Bigo a construit son œuvre plastique sur une poétique de l’objet isolé et du fragment détaché, l’un et l’autre monumentalisés, totémisés. Mais voilà, les tableaux d’une collection muséale ne sont pas des parties séparées d’un tout, à la différence d’un accessoire de parure féminine ou d’un morceau de statue antique. Une peinture est un tout-ensemble. La voie qui s’indiquait était dès lors évidemment celle du détail. Xavier Rey rappelle à ses lecteurs qu’en histoire de l’art cette direction fut ouverte à la fin du siècle dernier par Daniel Arasse. Toutefois, l’auteur du Détail mettait en garde : « […] le détail fait […] courir à la composition le risque de sa dispersion »[2]. Si ce péril guette l’auteur d’une œuvre, il menace encore plus dangereusement le descripteur plastique. Toute la difficulté du travail auquel s’est astreinte Véronique Bigo a été d’isoler dans chaque tableau un ou plusieurs éléments iconiques conduisant à une perception nouvelle de chaque image dans sa totalité. Sans trahir sa manière propre ni renoncer à ses thèmes de prédilection, l’artiste contemporaine a ainsi pu peindre des toiles de dimensions réduites exposées au plus prés des tableaux dont elles signalent au spectateur les « chemins ménagés dans l’œuvre »[3]. Intitulée « Histoires d’eaux » parce que l’artiste s’est de plus imposée le fil conducteur de l’élément liquide dans l’exploration de la collection, l’entreprise est en réalité une histoire d’œil.
La question que je me propose de traiter ici est de vérifier si Véronique Bigo a réussi son ambitieux projet. Parmi les vingt-deux tableaux dans lesquels l’œil de notre marseillaise d’adoption s’est insinué, j’en retiens arbitrairement trois : une peinture d’histoire italienne du XVIIe siècle, une copie partielle du XIXe d’un tableau de Poussin et une grande vue de Marseille du XIXe. Toutes composées de plusieurs tableaux séparés disséminés aux alentours de l’image-source, les œuvres contemporaines correspondantes ont pour titres : Tatouage/ Duke Riley/ Le Guerchin, Moulin/ cheminées d’usine/ phare/ phare/ Loubon/ Engalière/ Guigou et Ingres/ Magritte.
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