Eric Théret
par Jacqueline Kelen
Seul le geste héroïque meut l’artiste, le sculpteur particulièrement. Et c’est moins par le « dur désir de durer », dont parle le poète Eluard, que par nécessité de s’affronter, jour après jour, avec patience et ténacité, de tout son corps, à la matière dure et dense, au réel qui résiste, à l’opacité ou à la profondeur du monde.
Depuis plus de douze ans qu’il taille le granit et la diabase, Eric Théret insiste moins sur ce travail de Titan que sur l’exercice solitaire, altier, que représente la sculpture vécue comme une ascèse : en déchirant un bloc comme à mains nues, en imprimant sa trace sur une matière presque impénétrable, l’artiste s’affronte à lui-même, se limant, se dépouillant, mais avec bonheur.
Et pourtant, s’il n’a pas la prétention d’œuvrer pour l’éternité, Eric Théret a le goût du monumental, telles ces colonnes qui se dressent face au ciel ; et les empreintes du corps passant, un instant posé sur la pierre dure, demeurent ineffaçables, comme ce galet énorme, serré dans un poing d’homme, et qui garde trace de l’étreinte fabuleuse.
C’est aussi que toute pierre, lisse ou granuleuse, appelle la caresse et veut la conserver. Tailler la pierre rebelle tient du corps à corps amoureux : à force de volonté et de belle énergie, et par la grâce du geste juste, la matière qui résiste devient matière qui chante. Ou peut-être que la sculpture est de la musique pétrifiée…
Et il faut nourrir en soi grande violence et joie entêtée pour un jour s’accorder à la sagesse minérale, pour parvenir au calme et au profond des choses dénudées.
Jacqueline Kelen