Les Météores, Catherine Viollet
par Françoise Docquiert
Il y a quelques mois, Catherine Viollet a découvert Les Météores (1673), un texte de René Descartes inclus dans le Discours de la méthode où l’auteur livre son analyse des métamorphoses de la nature. Un récit inattendu de la part de ce grand mathématicien et philosophe qu’il présente comme « une fable du monde ». Un texte très enthousiasmant, poétique et lyrique à la fois, en phase avec notre époque habitée par les changements climatiques. Et il abonde aussi de croquis, de dessins.
La dernière série de l’artiste a pris forme en partie, autour des Météores, selon l’acception de son auteur : terme qui désigne tous les phénomènes aériens sublunaires. Catherine Viollet lui a donné ce nom en reprenant à son compte cette faculté de Descartes de transfigurer, de transmettre, de transposer. L’artiste envisage là encore sa peinture comme projet, risque, aventure, passage. On y retrouve des traces de Supports/Surfaces, plus exactement de Bernard Pagès dont le travail, dès les années 80, entaille directement la couleur. Ou une relecture attentive d’Ellsworth Kelly qui affirmait « Dès le début du XXe siècle, les artistes se sont intéressés à la fragmentation du monde et à la recherche de l’essence de la forme et de l’expérience. L’un des événements majeurs de l’histoire de l’art abstrait a été la lutte de l’artiste pour libérer la forme de la représentation et de la matérialité : la fragmentation, l’importance de la forme unique. »
La plupart des toiles de la série Météores sont des grands formats qui tendent à l’abstraction, dans ce mouvement récurrent à son œuvre : elle s’attache à la figure puis s’en détache. Le travail s’articule comme toujours autour de la notion de dé-liaison. On y retrouve des réminiscences de sa série Le pas de temps du modèle – à partir des lignes de perturbations atmosphériques dessinées scientifiquement par les météorologues – ou encore ses lignes souples modélisées dans l’espace à l’aide d’une règle d’architecte.
Certaines œuvres témoignent d’une nouveauté dans la pratique de l’artiste : elle reprend d’anciens tableaux et y pose la peinture. C’est l’idée de la strate qui devient le soubassement d’une autre création et en enrichit la matière. D’autres sont recouvertes en partie d’un fragment d’une toile ancienne monochrome – le jaune ou le bleu prédominent – donnant à voir une superposition d’images constituées de dessins, de peinture et des champs colorés découpés. D’autres enfin, comme souvent chez Catherine, sont réalisées sur des toiles enduites de pierre ponce, dont le frottement répété du pastel et du fusain révèle la matière. Les dessins au fusain qui donnent forme au tableau, ou encore piquetés au couteau ou au poinçon sur une surface murale enduite à la chaux pour une pièce in situ, sont calmes et clairs, proches de la rectitude des dessins japonais. Regroupés en de multiples points de tailles différentes, ils deviennent signes insulaires. Ces éléments qui sont à la fois ordonnés ou dus au hasard du geste libre grâce à un échange subtil entre la divergence et la répétition, donnent au nouveau travail de Catherine Viollet une dynamique toute particulière. L’espace est presque sans profondeur, le plat, le géométrique et le méditatif dominent. Les œuvres ont toutes une sensualité accentuée donnant à voir une perception intensive qui précède la pensée.
Ses Météores ne se retrouvent, pourtant, dans aucun champ de la peinture contemporaine. Viollet, dans sa pratique, déjoue toute inféodation. En poursuivant avec les Météores ses recherches sur le geste, le dessin, la matière de la toile, Catherine Viollet a produit une série de variations combinées, non closes, permutatives, porteuses de sensations, réservoirs de sensibilités, lieux de transpositions. Pourquoi leur impact est-il si viscéral ? Peut-être cette série révèle-t-elle l’existence d’un paysage encore inexploré par l’artiste au sein de sa réflexion sur la fabrication délibérée d’une œuvre. Ils pointent tous en tout cas une face très poétique de l’univers puissant de l’artiste.