Valérie Rauchbach ou les temps réconciliés
par François Bouvier
Nos êtres tout entiers sont sensibles à l’écoulement du temps. Peut-être est-ce là ce qui nous différencie des autres animaux, en ce que nous avons une notion de « l’après ». Pourtant, bien divers sont ces temps que nous croyons percevoir. Temps courts du regard, de l’échange, du moment. Temps de l’homme, de la vie et de la mort, qui nous renvoie à la mémoire. Temps des hommes, de l’histoire, temps plus long dont la représentation nous est parfois moins aisée et plus confuse. Temps long de la biologie, de l’histoire de notre lignée humaine. Temps encore plus long de l’histoire de la terre, de l’Univers, pour lesquels nous n’avons plus d’image précise. Quelle différence faisons-nous entre les 7 milliards d’années qui nous séparent de l’origine de l’Univers et les 7 millions d’années qui se sont écoulées depuis la séparation de la lignée humaine de celle de ses cousins, les grands singes ? Les temps, dans leur variété, évoquent pour chacun de nous étrange malaise, fuite, vertige parfois, illusion.
Pour le physicien, le temps se définit à partir d’une fonction d’onde, une fréquence issue de l’excitation de l’atome de césium dans des conditions précises. Il n’a donc pas de signification propre, puisqu’il correspond à un intervalle, à la mesure d’une durée. Il est continu, réversible, et donc étranger à notre expérience vécue. Sa connaissance ne peut apporter de véritable contribution à notre perception. Notre perception serait-elle irréductible aux savoirs scientifiques ?
L’art précède la Science. Ainsi pensait Elsa Triolet, qui précisait que l’artiste n’ayant à subir aucune des contraintes du savant, était complètement libre d’inventer l’avenir. Ce qui conduisait Vladimir Nabokov à penser que « science et connaissance, art et anticipation (sont) les deux couples qui se cachent bien des choses », et il ajoute : « mais quand ils se comprennent, rien au monde ne les surpasse. »
Lorsque je contemple, me laisse envahir devrais-je dire, dans l’œuvre de Valérie Rauchbach, je ne puis empêcher ces affirmations de revenir en mémoire tant elles deviennent ici précisément vivantes. De la même façon que l’invention du paysage dans la peinture italienne du XIVe siècle, notamment avec Ambrogio Lorenzetti, anticipe la formulation de l’écologie scientifique dans la science du XXe siècle, de même les tableaux qu’elle nous donne à voir traduisent une forme de reconstruction de tous les temps physiques, au-delà des théories relativistes, où le proche et le lointain se télescopent en une interaction permanente.
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