Thierry Lefort,
un Cézannien au XXIe siècle
par Jean-Luc Chalumeau
Les peintures et travaux sur papier de Thierry Lefort des deux dernières années et ceux qu’il achève en ce moment même dans son atelier de Californie seront présentés en Novembre prochain à Los Angeles. Excellente occasion de faire connaissance avec un peintre français né en en 1967 qui ne se reconnaît guère comme maître que Paul Cézanne. Ce qui frappe dans des tableaux comme « Plein soleil » (huile sur toiles 180 x 180 cm) ou « L’attente » (huile sur toile 60 x 60 cm) c’est le contraste extrême entre l’ombre et la lumière. Pas de doute, ce que le peintre est venu chercher en Californie, ce sont des sensations comparables à celles que Cézanne est venu retrouver en Provence dans la dernière période de son odyssée plastique. Thierry Lefort reprend sans complexe un chantier ouvert par Cézanne il y a environ 125 ans. C’est ce qui le rend passionnant.
C’est parce qu’il a « démonté l’espace » parce qu’il a bouleversé un ordre qui fut celui de quatre siècles de peinture occidentale. » Thierry Lefort va très loin dans cette direction, par exemple dans la série Santa Monica (estampes par impression numérique de 65 x 50 cm. Où bien les palmiers comme les poteaux télégraphiques ne sont plus que l’ombre noire qu’ils projettent. Thierry Lefort en Californie, c’est un peu Cézanne devant la nature après avoir rencontré Pissarro, avec l’irruption d’une certaine manière de traiter la couleur. L’espace se charge d’énergie « désexualisée, chromatique » (comme disait Jean-François Lyotard). A ce moment le contenant atmosphérique joue désormais le rôle d’une constante stabilisatrice. L’image allait devenir une transposition dans l’abstrait avec « Le pont de Maincy » de 1879 (Musée d’Orsay). Thierry Lefort comprend qu’il ne faut s’intéresser qu’à la seule structure géométrique du paysage.
Devant les tableaux californiens de Thierry Lefort, Roger Fry reprendrait sans doute ses réflexions devant les Saintes Victoire du maître d’Aix : « la couleur, parfois exaspérément intense, parfois presque uniformément et mystérieusement grise, fait valoir le thème par l’unité de son idée générale, par l’étonnante complexité et la subtilité de ses modulations. Avec « Joshua free » (huile sur bois, 46 x 36 cm) ou « L’océan des secrets » (huile sur toile 130 x 89 cm) ? Thierry Lefort le Cézannien ne réduit pas les formes de la nature à leurs volumes les plus simples, mais il recrée les formes dans leur liberté essentielle. L’objet s’ouvre aux vibrations de l’atmosphère. Il montre moins qu’il ne suggère et, de ce fait, le champ de profondeur de l’image se trouve agrandi de tout ce qui est suggéré sans être exprimé spécifiquement. C’est de la pure peinture qui a valu à Thierry Lefort une multitude de prix et d’invitations dans les musées du monde. A notre tour de le découvrir.
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