La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
I LES ARTS
Quando Marina Abramovic’ morirà, James Wescott, Johan & Levi Editore, Milan, 352 p., 32 euros.
Marina Abramovic est considérée comme l’un des artistes les plus importants de l’art contemporain. Soit. Sa relation au corps me paraît bien pâlotte et policée après les excès de Gina Pane et de Michel Journiac. Ce qui me frappe le plus dans ses performances, c’est qu’elles sont propres, spectaculaires sans doute, réglées avec précision et ressemblant plus à du théâtre qu’à une action artistique. Ce livre pléthorique et apologétique a été conçu dans la perspective de suivre pas à pas les actes, les propos et les prises de position de l’artiste. C’est un reportage, avec tout ce qui peut rendre passionnant de se retrouver aussi près d’une célébrité telle que Marina Abramovic ; mais c’est aussi bien des concessions à l’anecdote et au superflu. Mais on finit par perdre de vue l’essentiel : quelle est la spécificité de sa démarche ? Par exemple, à la fin de ce volume épais, il est question de la performance que Beuys avait réalisée dans une galerie de Düsseldorf en 1965 et qu’Abramovic a « reproduite » à sa façon en 2002, lors de ses 7 Easy Pieces au musée Guggenheim de New York : on n’apprend absolument rien des raisons de ce « remake » théâtralisé et, il faut bien le dire, trahi à plusieurs titres. Elle a fait de Beuys une figure d’une basse et facile mythologie de l’art contemporain et a oublié sa pensée sur la « sculpture vivante ». Là, le bât blesse. Et sérieusement.
Les Ecrits, Daniel Buren volume 1, 1965-2012, Flammarion/CNAP, 2000 p., 45 euros.
Buren, Guy Lelong, Flammarion/CNAP, Flammarion, 240 p., 45 €.
Vous cherchez un professeur es modernité ? Nul besoin d’aller chercher trop loin : Daniel Buren s’est attribué ce rôle. Satisfait d’avoir imposé sa bande de 8,7 cm de large dans tous les musées du monde comme l’expression pure et dure de la modernité (quelle qu’elle soit au fil du temps), il vaticine sans interruption depuis la création du groupe BMPT (les initiales des quatre protagonistes, Buren, Mosset, Parmentier, Toroni). Le maître mot de sa doctrine : la rupture. Sa vision de l’art évolue (fort heureusement) au fil des ans, mais reste la rupture. Depuis sa première exposition personnelle à la galerie Apollinaire de Milan en 1968 (un an après Yves Klein), il refuse d’exposer à Cologne avec les nouveaux réalistes. Pour une seule et bonne raison : la rupture.
La raison de cette rupture - nul ne le saura jamais au terme de ces 2000 pages touffues. C’est l’être unique, qui a une capacité rhétorique époustouflante : il peut démontrer en quoi sa démarche se distingue de celle des minimalistes et de Klein avec une maestria remarquable. Mais la révélation de l’espace, qui est la clef de voûte de son travail, ne paraît pas aller au-delà de ce qu’ont fait Sol Le Witt ou Donald Judd sinon que l’œuvre elle-même disparaît - ou presque, car chez Buren, il y a « œuvre ». L’exposition du Centre Pompidou et ce qu’il a fait pour « Monumenta » au Grand Palais reste une jolie construction décorative qui reste ancrée dans les années 70. Mais Buren sait y faire : à place du talent, des mots, des milliers de mots et des mots qui prouvent son intelligence et sa malice. Art/Langage, connaît pas ? Chaussez vos lunettes et vous connaîtrez ses arcanes secrets - celle d’un art qui se voit avec mauvaise grâce mais qui se rend légitime sans cesse par l’écrit. Mais ce livre raconte aussi tout ce qui s’est fait depuis la fin des années 60. C’est un document curieux (payé aux frais de la princesse !) et peut-être ne restera-t-il de Buren que cela : des centaines et des centaines de pages et non du tissu imprimé. Démodé - « démodernisé ».
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