La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Léon et Louise, Alex Capus, traduit de l’allemand par Emmanuel Güntburger, Actes Sud, 320 p., 22,50 €.
Après l’enterrement de son grand-père, un de ses petits-fils, le narrateur donc, nous raconte sa vie. Il raconte comment Léon, le grand-père, a rencontré Louise en 1918 près de Saint-Luc-sur-Oise. A l’époque, il est assistant télégraphiste. Les jeunes gens sont attirés l’un par l’autre et ils font ensemble des randonnées en bicyclette en Normandie. Un jour, alors qu’ils rentrent du Tréport, un bombardement allemand les surprend. L »on est gravement blessé et Louise a disparu. Dix ans plus tard, Léon est marié. En 1928, il habite à Paris, il habite près du Collège de France et a un gamin de quatre ans. Il a recherché Louise, longtemps et en vain. A la mairie, on l’avait assuré qu’elle était morte. Mais il rencontre Louise et celle apparaît à l’improviste dans une belle Peugeot 172. Ils font des promenades dans la forêt de Fontainebleau. Mais chaque fois elle disparaît. Une période de onze sépare leur première rencontre parisienne de la seconde. Son épouse, Yvonne, a des soupçons et cela gâte de leurs relations. Ils ont un bon nombre d’enfants (une fille naît encore en 1936). La guerre survient. Léon est au service des étrangers (service 205) et son rôle devient important pendant l’Occupation. Louise lui donne signe de vie et puis le voit en 1940. Elle lui reproche de ne pas l’avoir cherchée assez. Elle lui apprend qu’elle doit partir outre-mer. Et Léon passe sont temps à recopier des dossiers endommagés. Les Allemands lui reprochent son manque de zèle. Il reçoit une lettre provenant du Sénégal. Il parvient à s’enfuir dans le Midi et ne rentre dans la capitale qu’après la Libération. Cet homme qui a été à l’origine d’une immense famille a connu un amour malheureux… C’est là un roman bien charpenté, bien écrit, bien relaté. Mais il manque ici l’étincelle et surtout un foyer dont la lumière irradie sur le reste de l’histoire. C’est un roman réaliste bien classique fait dans un style moderne.
Le Triomphe de l’œuf, Sherwood Anderson, traduit de l’anglais par Henry Muller, préface de M. Geismar, « Pavillons Poche », Editions Laffont, 525 p., 10,90 €.
Sherwood Anderson (1876-1941) est considéré comme un des grands fondateurs de la littérature américaine du XXe siècle. Mais, à la différence de Theodore Dreiser ou de Thomas Wolfe, il n’a pas voulu raconter la naissance des grandes métropoles du Nouveau Monde et celui d’une nouvelle culture urbaine. Son monde est celui des petites gens dans de petites agglomérations, des Américains typiques, qui vivent non sans mal dans un monde qui les dépasse. Sherwood Anderson n’a pas de message social ou politique à délivrer. Il n’a pas non plus une vision du monde à proposer, comme l’avait fait Henry James en son temps. Il est à l’opposé d’Edith Warthon. Il n’est d’ailleurs pas un grand romancier, mais un formidable auteur de nouvelles – des nouvelles écrites avec simplicité et une feinte naïveté pour mieux rendre les traits et le caractère de ses personnages, de pauvres hères le plus souvent, mais si révélateur de ce qu’on pourrait appeler « l’Amérique profonde ». Son premier recueil s’intitule Winesburg, Ohio (1919), étant lui-même originaire de cet Etat. Dans cet ouvrage, nous trouvons un choix de ses récits les plus éclairants, où il révèle des qualités stylistiques remarquables, capable de changer d’optique et d’écriture selon le sujet traité. Sans doute cette façon de saisir les hommes dans leur vie de tous les jours a-t-elle influencé d’autres auteurs pendant la Grande Dépression, comme John Steinbeck. Dans son œuvre considérable, ce sont certainement ces textes plus que ses romans et ses pièces de théâtre qui sont à retenir car il a su y faire preuve d’un art consommé de faire des croquis qui deviennent ensuite des types et qui, tous ensemble, forment l’humanité d’un pays qui venait à peine de passer l’âge de sa fondation mais qui n’était pas encore entré dans celui de son affirmation.
précédent 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 suite
- Promesses d’épiphanies
par Belinda Cannone - Biographie
- « Le Corps ressent l’espace »
par Jean-Philippe Domecq - Griffes et plumes
par Isabelle Monod-Fontaine
- Auguste Chabaud, un artiste oublié...
par Gérard-Georges Lemaire - Un art qui vaut son pesant d'or : Vitantonio Russo imagine une mise en scène esthétique et ironique des relations de l'art et de l'économie
par Gérard-Georges Lemaire - Si vous passez par Apt : la Fondation Blachère
par Sophie Braganti - Louis Soutter, un langage singulier
par Marie-Noëlle Doutreix