La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Nouveaux contes de Bustos Domecq, Jorge Luis Borges & Adolfo Bioy Casares, « Pavillons Poche », traduit de l’espagnol par Eduardo Jimènez, Robert Laffont, 216 p., 7,90 €.
Les principales œuvres de Borges ont été rassemblées dans deux volumes de la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade chez Gallimard. Les romans d’Adolfo Bioy Casares ont été tous réunis dans un volume de la collection « Bouquins ». Mais rien n’a été fait pour les livres qu’ils ont été écrits de conserve. Dommage. En attendant la réédition des Nouveaux contes de Bustos Domecq, publiées en 1977, dix ans après leurs Chroniques de Bustos Domecq. Ce fut l’une des collaborations littéraires le splus intenses et les plus étonnantes du XXe siècle avec celles de William S. Burroughs et de Brion Gysin. Ces textes sont savoureux et sont des parodies délirantes et débridées. Les deux grands écrivains ont eu ici la possibilité de considérer la faculté de mettre en avant une littérature purement ludique – ce qui a aussi été le cas dans leurs œuvres respectives, mais d’une manière plus cachée. Ils ont multiplié les genres, de la relation épistolaire au compte rendu journalistique, en passant par tous les degrés de l’art scriptural. S’il ne s’agit pas vraiment de contes, chacun de ces récits a une saveur particulière et aussi une liberté de ton rare. Les deux hommes ironisent sur leur culture et ses travers, sur eux-mêmes sans doute et il explore toutes les strates de la vie à Buenos Aires, des bas-fonds aux journaux, de la politique au petit monde de la diplomatie. C’est amusant, mais c’est aussi un livre qui dit des choses sur l’Argentine qui n’étaient pas toujours bonnes à entendre à l’époque aux ces Nouveaux contes ont paru.
Gîtes, Julio Cortàzar, traduit de l’espagnol par Laure Bataillon, « L’imaginaire », Gallimard, 280 p., 9,50 €.
S’il a voulu être naturalisé français (il a vécu la plus grande part de sa vie à Paris), Julio Cortàzar (1914-1984) a continua à écrire en espagnol. Et bon nombre de ses récits se situent dans son Argentine natale. Dans le cas de ces nouvelles, un certain nombre d’entre eux ont d’ailleurs été publiés d’abord à Buenos Aires. Mais le livre a vu le jour à Paris en 1968. Ce qui frappe le plus dans ces histoires, souvent partant d’un mince souvenir, d’une chose infime, d’un détail apparemment sans importance, Cortàzar nous introduit dans un monde curieux, à mi-chemin entre le réaliste et l’irréalisme. Je ne prononce pas le mot « surréalisme » car ce serait mettre le lecteur dans une mauvaise direction. Non. Il rend le réel soudain plus vif, plus intense, plus prégnant grâce à ce rien qui fait tout. En lisant ces textes, on assiste à l’évolution de l’écrivain qui avait déjà publié plusieurs livres, dont Rayuela, Marelle, en 1963 qui l’avait révélé. Mais il n’était pas homme à s’arrêter à une formule littéraire. Il n’a pas cessé d’évoluer. Sa « Lettre à une maie en voyage » est une merveille de subtilité et de sophistication. Plus tard, il a opté pour une écriture plus efficace, moins sophistiquée, comme on le remarque avec « Autobus », même si l’histoire est particulièrement étrange. Ce qui a semblé caractérisé Cortàzar, c’est sa volonté de s’emparer d’un fait vécu ou observé (« J’ai besoin d’un sujet très humain : de vie, d’amour, de souffrances, de contacts personnels, déclarait-il lors d’un entretien en 1979) et d’en tirer une fiction sans préméditation. Il n’ a pas eu une grande disposition pour les grands romans, mais plus pour les récits de voyage, les ouvrages qui sont des inventions en soi et pour soi, l’invention permanente d’une forme adaptée à son projet. Donc, on ne trouvera jamais chez lui une formule. Il y a un esprit et un style « Cortàzar », mais il n’y a pas une méthode. Au contraire. L’histoire doit porter sa propre identité et cette identité doit demeurer unique…
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