La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Sonnets, Pier Paolo Pasolini, traduit de l’italien et postfacé par René de Ceccatty, « Poésie », Gallimard, 288 p., 9,90 €.
Pier Paolo Pasolini est toujours un écrivain qui surprend. C’est l’un de ses charmes. Ces sonnets sont une manifestation paradoxale de son esprit : d’une part, la forme consacrée, la plus classique et la plus appréciée est conjuguée avec une écriture qui peut prendre des formes parlées, familières, en tout cas bien éloignées des poèmes de la Pléiade ! En fait, en lisant ces œuvres atypiques, on se rend compte que l’auteur a eu besoin d’une forme, et d’une forme assez contraignante, pour se raconter. Car il ne s’agit ic que de fragments autobiographiques. Je ne saurais dire si ces sonnets sont de grandes pièces de littérature. Mais ce sont de très beaux et très touchants aveux d’un homme qui n’a pas craint de se dévoiler, sans impudeur, mais avec le souci de la vérité avant toute chose. Ce qui apparaît en tout cas, c’est que le sonnet, avec toute son histoire, son prestige et ses exigences, n’a pas écrasé Pasolini – au contraire, il lui a donné la capacité de dire des choses souvent simples, toujours sincères parfois bouleversantes, en somme d’écrire le roman de lui-même sans fioriture aucune. Parfois il dépasse quelques bornes et verse dans des images crues et un peu kitsch. Mais l’ensemble fait oublier ces dérives, car la vérité est bonne à dire, à condition de le faire selon des règles non de bonne éducation, mais d’intelligence d’une situation réelle ou d’un sentiment, ou encore d’une pensée, parfois scandaleuse.
Les Lapins ne meurent pas, Savatie Bastovoi, traduit du roumain (Moldavie) par Laure Hinckel, Editions Jacqueline Chambon, 304 p., 22 €.
C’est sans doute le premier livre moldave paru en France. Et ce livre n’est en rien décevant. Sous son titre énigmatique, se cachent les traits de caractère du personnage principal, Sasha, un jeune garçon de la campagne à la fin du régime communiste (l’action se déroule au cours des années 80). C’est un esprit simple, qui suit à la lettre les consignes du parti à l’école comme dans la vie courante. Mais sa passion la plus grande, c’est la nature, les forêts et les animaux qui y demeurent. Et il est entouré de bêtes domestiques en particulier de lapins qui jouent un rôle récurrent dans le fonctionnement du récit. Alors qu’on assiste aux fêtes, cérémonies, déclarations politiques vantent les mérites du bon Lénine et du socialisme (toujours à construire), on retrouve nos Sasha par monts et par vaux, dans une forme de schizophrénie surprenante. Plus sa foi dans le communisme se fait inébranlable, plus il s’échappe dans le monde qui l’entoure, loin de toute civilisation. C’est presque une fable, d’une grande richesse puisqu’à travers un principe très simple elle relate la Moravie de cette période. L’autre aspect passionnant est qu’il ne consiste pas en une dénonciation sans appel de ces temps qui sont désormais révolus. Malgré la maigreur du récit et des épisodes rapportés par l’auteur, il demeure captivant d ébout en bout. Une belle gageure !
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