La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
L’Europe des esprits, ou la fascination de l’occulte, 1750-1950, sous la direction de Joëlle Pijaudier-Cabot et de Serge Fauchereau, Musées de Strasbourg, 424 p., 48 €.
La relation des arts et des traditions ésotériques est complexe et l’exposition présentée à Strasbourg est des plus intéressantes, mais embrasse des territoires très vastes. Le volume commence d’ailleurs par un excellent résumé écrit par Daniel Bornemann de l’histoire de l’ésotérisme dans l’antiquité, où les sciences se conjuguent avec l’astrologie, le zodiaque et en Grèce le pythagorisme. Il examine ensuite le Moyen Age, aborde la mystique avec Maître Eckart, aborde la question de l’alchimie, l’hermétisme et, en remontant le cours du temps, nous fait fréquenter Michel Scott, Raymond Lulle, Roger Bacon. On apprend que c’est Plethon, un Byzantin qui se rend à Rome en 1439, qui y a répandu le néoplatonicisme. Puis il nous expose le cas de Paracelse et de Swedenborg, qui fut mis à l’index, et de tous les personnages ambigus du XVIIIe siècle qui ont fait métier des sciences de l’occulte comme le comte de Saint-Germain et Cagliostro. Enfin, ce panorama s’achève avec les Grands initiés d’Edouard Schuré.
Quand on aborde la question artistique,, on ne peut que rencontrer Belding Griess, Cranach l’Ancien, Martin Schongauer, avec son Palefrenier ensorcelé, et nous arrivons au Faust de Goethe illustré par Delacroix. Serge Fauchereau nous fait découvrir « L’Europe de l’obscur », avec les décors de La Flûte enchantée de Mozart dessinés par Schinkel, les romantiques anglais - Ann Radcliffe, Matthew Gregory Lewis, Mary Shelley -, mais aussi William Blake, et des peintres comme Fuseli ou Richard Dadd. Pendant cette période où les sensibilités changent en profondeur, les peintres se tournent vers Shakespeare et s’attachent à ses aspects obscurs, et aussi bien chez Chassériau que chez Gustave Doré. Et il ne faut pas oublier de citer John Martin, Rodolphe Bresdin et Victor Hugo parmi ces créateurs qui ont entretenu un lien avec un autre monde mystérieux. L’Allemagne de la même période a donné Friedrich (qui a lui aussi illustré Faust) et Otto Runge. Antonio Bona Correa nous introduit à tradition noire espagnole qui culmine chez Goya et, c’est de nouveau Fauchereau qui explore la riche vivier du symbolisme, qui s’est présenté sous des formes très diverses, de Félicien Rops à Jan Toroop, de Jean Delville à Arnold Böcklin.
La question devient plus épineuse avec l’art moderne. Difficile selon moi de considérer que Kandinsky ou que Malevitch puissent être ranger dans cette énorme et hétéroclite catégorie. On peut encore discuter de la question de Jean Arp et de sa « naturophobie » et prend en ligne de compte La Médiation médiumnique et s’intéresser aux tableaux de Romolo Romani. Le surréalisme, bien sûr regorge de toutes ces notions de magie avec André Breton qui, peu à peu, a dérivé vers les arts occultes. Mais retenons l’œuvre de Wifredo Lam, qui a transposé, les croyances des Antilles, les compositions étranges de Brauner, un pan du travail de Josef Sima et certains aspects de Matta.
C’est l’exemple typique d’exposition à discuter longuement, comme le sont celles de Jan Clair. Un énorme travail de recherche a été accompli pour arriver à ce résultat qui est passionnant, mais s’il est discutable de-ci et-là. Mais comment pourrait-il en être autrement ?
Rome, 1630, Yves Bonnefoy, « Champs Arts » Flammarion, 288 p., 12 €.
Ce fut sans doute le livre le plus achevé et donc le plus passionnant jamais écrit par Yves Bonnefoy. Ce dernier avait choisi cette année précise parce qu’elle correspond aux grands travaux entrepris par le génial peintre sculpteur et architecte Bernini pour réaliser le maître-autel de la basilique Saint-Pierre et au moment où Nicolas Poussin fait une seconde version de L’Inspiration du poète, l’un de ses chefs-d’œuvre. Son livre est donc une réflexion sur ce grand moment de métamorphose des arts qui ont lieu alors. Mais son analyse n’est pas strictement formelle. Elle s(attache surtout à nous montrer que ce que Rome était et allait être grâce aux grands créateurs qui y ont travaillé et qui ont imposé le baroque alors que le Français Poussin envisageait un art d’une tout autre nature. C’est un livre fascinant et passionnant, qui nous présente les grandes familles dominantes, sur les relation de Galileo Galilei avec les arts, des grands courants qui se développent en parallèle (il place les Carrache dans la catégorie du réalisme, ce qui me semble injuste pour les trois grands artistes bolonais), nous apprend qui est Artemisia Gentileschi et surtout son père Orazio (sur lequel il ne s’étend pas assez à mon goût), sur les peintres français influencés par le Caravage… En somme ce livre, en dépit de défauts dans le détail (inévitables dans ce genre d’entreprise) permet de mettre en relation tout ce qui se passe en Europe et de comprendre ce que l’Europe doit à Rome ou refuse d’elle. Rome, 1630 demeure sans le moindre doute un livre de référence incontournable. A condition de savoir juger là où il est nécessaire d’apporter des amendements.
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