La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Le Moins aimé, Bruno de Cessole, La Différence, 288 p., 17 €.
Ce roman remémore la vie de Charles de Sévigné, fils de Madame de Sévigné. Tout commence quand celui-ci reçoit une lettre de M. de Grignan, son beau-frère, qui lui apprend que sa mère est au plus mal. Ces tristes circonstances sont pour lui l’occasion de se remémorer toute son existence de fils mal-aimé, sa mère n’ayant d’affection que pour sa fille. Il résume aussi ce qu’a été la vie de cette mère dans une longue lettre qu’il lui adresse, qui est l’histoire de ses origines bretonnes – son mariage pas très heureux, le château des Rochers, son entrée dans le monde des lettres à Paris, ses amitiés nombreuses et diverses (Bussy-Rabutin, Scarron et sa femme, Corneille, Mlle de Scudéry, qui a inventé la carte du tendre, entre autres). Puis il se voit jeune lieutenant du roi, qui combat pour reprendre l’île de Candie, possession vénitienne tombée aux mains des Ottomans, et qui s’est conclue par un échec.
Il devient ensuite officier dans la Petite Gendarmerie chargée de la garde du roi. Il participe à la guerre contre la Ligue d’Augsbourg où il fait colonel. Mais les vicissitudes militaires ne sont pas des on goût. Il se rend à Paris, mène une existence licencieuse, connaît Ninon de Lenclos. Il fréquente Racine, La Fontaine, Saint-Évremond. Lassé de ces jours passés dans l’oisiveté et la luxure, il retourne en Bretagne. Puis repart en campagne dans les terres allemandes. Quant à Mme de Sévigné, son grand chagrin est le mariage sa fille qui l’éloigne d’elle et la difficulté de marier ce fils dont elle ne pense pas beaucoup de bien. Il se marie enfin avec Jeanne de Mauron à Rennes en 1684. Il s’assagie, lit les Provinciales, discute de la mort avec sa mère.
Après la mort de cette dernière, il s’installe à Paris. Quand paraissent ses célèbres lettres en 1725, tout un chacun peut découvrir son amour immodéré pour Mme de Grignon, sa fille, et son peu d’attrait pour son fils Charles. Ce roman, en grande partie épistolaire, est un beau morceau de bravoure qui nous plonge dans l’univers du Grand Siècle et nous restitue avec conviction la figure de ce fils méprisé. Ces portraits croisés sont peints avec délicatesse et subtilité. Le roman de Bruno de Cessole est fidèle à cette relation, même s’il la transposée sous une forme romanesque avec ses licences.
Les Bas-fonds du rêves, Juan Carlos Onetti, traduit de l’espagnol (Uruguay) par Laure Guille-Batailllon, Abel Gerschenfield et Claude Couffon, « L’Imaginaire », Gallimard, 364 p.
Juan Carlos Onetti (1909-1994) a été le plus grand écrivain uruguayen du XXe siècle. Plus doué pour la nouvelle que pour le roman – ce recueil datant de 1976 – le prouve amplement. Ses récits sont souvent des histoires absurdes, sans vraiment une histoire dans le sens traditionnel, oscillant entre le réalisme et l’onirisme, l’un alimentant l’autre dans une réciprocité infinie. Ses héros ne sont pas vraiment des héros : ce sont des personnages improbables qui sont emportés par une intrigue souvent absurde, mais qui a le mérite de faire apparaître un univers décalé. Tout ici est placé à l’enseigne de la corruption, du délabrement, de la décomposition. Et pourtant, ces hommes et ces femmes sont bel et bien l’expression de la vérité uruguayenne de l’après-guerre, quand d’un pays prospère (on surnommait la R. O. U. la Suisse de l’Amérique latine) est devenue un pays arriérée, connaît la dictature, puis une hyper démocratie impuissante. Onetti ne dénonce pas la politique ou l’économie de son pays. Il nous la vivre par les moyens qui lui sont propres, c’est-à-dire une écriture étrange et surtout un sens inné de la narration qui a le pouvoir de transformer la plus mince anecdote en épopée. Les Bas-fonds du rêve est un livre qu’on lit avec un mélange de tristesse et de jubilation, un à la façon dont vivent ses personnages, souvent en chasse d’illusions perdues d’avance. Ce fut un grand écrivain et sa réédition s’imposait.
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