La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
La Nuit des femmes qui chantent, Lidia Jorge, traduit du portugais par Geneviève Leibrich, Editions Métailié, 324 p., 22 €.
Singulier et original, ce roman écrit par une femme, elle fait le récit de l’existe de cinq femmes qui vont connaître un destin exceptionnel alors que le Portugal connaît un déclin inexorable et une grande misère. Les colonies se sont devenues indépendantes et la dictature de Salazar est proche de sa chute. Des dizaines de milliers d’émigrés ont fui le pays pour chercher fortune ailleurs en Europe. Contre tout ce qui pouvait faire obstacle à leur destin qui semblait signer (elle n’avait devant elles que la perspective de la misère), elles s’en sont inventé un autre en décidant de formant un groupe vocal. Elles sont d’origines bien différentes et on aurait pu croire qu’elles n’avaient rien à partager. Leur courage et leur volonté de réussir prouvent le contraire.
Ne sachant rien de ce que peut comporter ce nouveau métier, elle vont s’éduquer, se former, s’entraîner, s’entraider en affrontant bien des difficultés. Lidia Jorge relate cette belle aventure, profondément touchante, avec un luxe de détails qui est peut-être le point faible du livre. Même si elle emploie quelques stratagèmes dans la composition pour le rendre plus vivant et fort, ils ne suffisent pas à rendre la narration plus intense. L’histoire est belle, cela est incontestable, mais Lidia Jorge ne la rend pas aussi vivante et intense comme elle devrait l’être pour le lecteur. Son roman est trop long, trop descriptif et n’a pas assez de moments d’intensité. Et ce ne sont pas ces phrases isolées qui ponctuent le récit qui parvient à le sortir de ces ornières. C’est dommage, car Lidia Jorge n’est pas dépourvue de talent. Elle manque seulement du sens de la concision et d’une intelligence des modes dramatiques. Et puis son livre semble plutôt un projet pouvant être adapté au cinéma, où il aurait sans doute une plus grande densité émotive.
Sur les pas de Jean-Jacques Rousseau, Actes Sud/FondationFacim, 192 p., 15 €.
Rousseau et la Révolution, Gallimard, 248 p., 40 €.
Le problème que pose cet ouvrage est qu’il exige du lecteur à la fois d’aimer Jean-Jacques Rousseau et les promenades en Savoie ! C’est beaucoup demandé à un seul homme ! En relisant Les Rêveries d’un promeneur solitaire, je pus revivre mes sentiments de lycéen : je ne parviens toujours pas à se couler dans sa prose et à l’aimer. Même chose pour Les Confessions, que je trouvais et trouve encore d’une complaisance impossible. Je suis d’accord avec ceux qui pensent que Rousseau a joué un rôle important dans l’histoire des idées en apportant une vision rénovée de la Nature. Mais je m’arrêterai là. Mais ce que je pense de Rousseau ne retire rien à la qualité de l’ouvrage, qui est très bien présenté et qui a choisi les textes avec discernement. En revanche, je suis profondément déçu par les extraits de fictions d’auteurs contemporains, d’autant certains sont franchement ineptes. Fabrice Melquiot est peut-être le plus insupportable et pourtant il a été publié par un bon éditeur… Je laisserai donc ce livre à ceux qui aiment et la marche dans les montagnes et la mauvaise littérature. A croire que la nature inspire mal les écrivains. Je veux bien me promener en compagnie de Robert Walser et j’aurais bien aimé participer aux escapades de Franz Kafka, de Max Brod et de leurs amis dans les environs de Prague. Je ne prends pas ce sentier là, car il est mal fréquenté et fait sembler géniales les pages de Rousseau qui, au moins, savait articuler ses pensées et ses sentiments.
L’exposition qui a eu lieu à l’Assemblée nationale a donné lieu à la publication d’un important catalogue. L’article de James Swenson montre à quel point Rousseau a été considéré comme l’un des précurseurs de la Révolution française. Et cela, pas seulement dans la pléthorique imagerie populaire que l’on a pu voir dans l’exposition. Louis Sébastien Mercier a écrit un ouvrage intitulé De J. J. Rousseau considéré comme un des premiers auteurs de la Révolution en 1791. Et ces pages ne sont pas uniques dans leur genre. De plus des extraits de son œuvre sont publiés à des fins éducatives comme Jean-Jacques Rousseau, des Champs-Elysées à la Nation françoise (1789). Son nom est cité lors des débats à l’Assemblée. L’iconographie qui concerne l’auteur de la Nouvelle Héloïse est considérable et est déclinée dans des gravures soignées. En sorte qu’il devient, après sa mort, un héros des idées novatrices. D’où son « Apothèose ” et le transfert de son corps au Panthéon le 11 octobre 1794 au cours d’une grande cérémonie. Des statues sont dressées en son honneur et son visage apparaît souvent sur des déclarations révolutionnaires. En somme, ce catalogue montre en détail comment, dans un laps de temps très court, Rousseau est passé de précurseur à un mythe national.
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