La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
L’Origine de la perspective, Hubert Damisch, « Champs Arts », Flammarion, 480 p., 13 €.
De tous les travaux de longue haleine, l’Origine de la perspective est de loin le plus abouti. Il a décidé de refaire son histoire et d’éviter les ornières dans lesquelles sont tombés ses prédécesseurs. Il se réfère à l’essai désormais célèbre où Erwin Panofsky fait de la perspective une « forme symbolique ». Sa démarche a consisté à se demander, comme Benestive de quoi elle est l’histoire. Il montre alors de quelle façon Panofsky a repris les thèses de Casirer, qui déclarait : « Dans chaque signe qu’il projette librement, l’esprit saisit l’objet en saisissant en même temps et lui-même et la légalité propre de son activité imaginaire. » Il n’est donc pas ici question de faire l’historique de la perspective qui est bien connue, mais plutôt de comprendre son mécanisme interne comme construction symbolique alors que plusieurs conceptions cohabitaient. En dépit d’un recours trop prégnant à la philosophie moderne et à la psychanalyse qui ne fait que brouiller son raisonnement, Hubert Damisch a accompli une recherche passionnante qui détruit le mirage d’une Renaissance ayant eu un point de vue unique, qui serait celui des Florentins, de Brunelleschi et d’Alberti, puis de Piero della Francesca, jusqu’à Raphaël. Il suffit d’ailleurs de confronter ce qu’affirme Alberti, qui n’entend rien à la peinture à l’auteur de La Flagellation pour comprendre qu’ils ont envisagé la question d’une façon assez opposée. De plus, d’autres modes de définition de l’espace picturale refusaient la perspective de caractère mathématique, comme le prouvent les ouvrages de Pisanello. La suite des événements ne fait que rendre la question encore plus épineuse. En définitive, cette riche et intelligente étude nous conduit à penser l’art de la Renaissance mais aussi celui du XVIe et du XVIIe siècle avec un œil neuf, plus critique et en établissant des rapports un peu plus sophistiqués entre l’art, l’architecture et les sciences.
De l’Ecole de Paris, en deçà et au-delà
Hans Hartung, opere scelte, 1947-1988, Paola Repetto & Chiara Stefani, galleria Repetto, Florence, 88 p.
Hans Hartung, né à Leipzig en 1904, devenu français après s’être engagé dans la Légion étrangère, est devenu français. La vigueur est l’originalité de ses ouvres abstraites ont sans nul doute inspiré les jeunes artistes de cette nouvelle école abstraite qui s’est affirmé peu après la Libération. Le grand intérêt de ce catalogue est de montrer la grande diversité des ouvrages d’Hartung pendant l’après-guerre. Comme pour tous les monstres sacrés du XXe siècle nous nous sommes forgé une image un peu stéréotypée de son travail, en oubliant un peu vite des moments où il a fait des tentatives formelles assez éloignées des grandes séries qui s’imposeront par la suite. Il suffit de contempler le petit papier avec encre, gouache et crayons de 1947 où l’espace est divisé en deux parties, la première présentant un étagement de couleurs et, vers le centre, un enchevêtrement de signes noirs (cercle, spirales, traits verticaux et horizontaux plus ou moins épais). Et l’on voit plusieurs exemples de compositions de 1956 (encre de Chine sur papier) où l’artiste semble avoir travaillé sur une transcription dans le langage de la peinture occidentale les signes de la peinture chinoise ancienne. Son œuvre est restée en mouvement, même si certains dispositifs s’imposent à lui au fil des années. Mais on le voit toujours tenter autre chose, même à la fin des années soixante-dix jusqu’à cette petite toile De 1980 (T 1980-K20), qui est une surface noire presque monochrome. Cette exposition et le catalogue qui l’a accompagné rendent bien justice à cette artiste qu’on a souvent accusé de se répéter.
précédent 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 suite
- Promesses d’épiphanies
par Belinda Cannone - Biographie
- « Le Corps ressent l’espace »
par Jean-Philippe Domecq - Griffes et plumes
par Isabelle Monod-Fontaine
- Auguste Chabaud, un artiste oublié...
par Gérard-Georges Lemaire - Un art qui vaut son pesant d'or : Vitantonio Russo imagine une mise en scène esthétique et ironique des relations de l'art et de l'économie
par Gérard-Georges Lemaire - Si vous passez par Apt : la Fondation Blachère
par Sophie Braganti - Louis Soutter, un langage singulier
par Marie-Noëlle Doutreix