La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Léonard de Vinci, posthumes, Nadeije Lanerye-Dagen, Nouvelles Editions Scala, 336 p., 23 €.
Mme Lanerye-Dagen a créé une collection aux éditions Scala avec des ouvrages qui ne sont ni des biographies classiques, ni des monographies ; Ce sont des parcours d’artistes réels, mais narrés comme un roman. De tous ceux parus, le sien est le meilleur. Elle raconte la fin de l’existence de Leonardo da Vinci après de 1516, donc un an après la bataille de Marignano et la prise de Milan par les Français. D’une certaine façon son univers s’écroule tout d’un coup. Sa collaboration avec le duc de Sforza est interrompue. Heureusement le chancelier Du Prat lui apprend qu’il est invité à séjourner à la cour du roi de France, François Ier. Avant de partir avec Francesco Melzi, son admirateur passionné et secrétaire, il règle certaines affaires en Italie. Il est reçu sur un grand pied au château d’Amboise et le souverain lui offre le manoir du Clu (aujourd’hui le Clos). Le long voyage s’était bien déroulé, même s’il fut fatigant. Une seule ombre noire : un tableau a été perdu en route. L’auteur relate la fin de l’existence du vieux peintre en mettant en parallèle deux récits : celui de Melzi et celui de Léonard. C’est une manière astucieuse de narrer son existence de l’extérieur et de « l’intérieur ». L’auteur de La Joconde revit des moments de son histoire passée en Italie, ce qui fait que le lecteur découvre des pans entiers de sa carrière mouvementée. Nous assistons au dialogue du peintre et du roi, qui parle avec lui de ses tableaux, de ses inventions et qui lui demande de dessiner le plan d’une ville, à l’achèvement sa Sainte Anne, son rêve d’avoir de nouveau une bottega avec des garzone, les faits et les méfaits de sa relations avec Salaï, qui a été son élève et son amant, et qui le rejoint sur les bords de la Loire. Le livre se termine avec le testament de l’artiste, comblé d’honneur, mais nostalgique. C’est bien fait, astucieux, dans les limites de ce genre hybride.
Des supports et des surfaces
« Robinson ou la force des choses », MAMAC, Nice, 156 p., 26 €.
Dictionnaire de Supports/Surfaces, Daniel Dezeuze, Bernard Ceyson, 166 p., 20 €.
« Géométries variables », Daniel Dezeuze, Maison des Arts, Bages d’Aude, 80 p.
A la fin des années soixante, un groupe d’artistes français (surtout du Midi) décident d’en finir avec le vieil art, qu’il soit figuratif ou abstrait. Trois des principaux fondateurs de ce groupe qu’ils ont baptisé « Supports/Surfaces », Daniel Dezeuze, Patrick Saytour et Claude Viallat, ont exposé ensemble au musée d’Art moderne et contemporain de Nice. Ils ont choisi comme thème fédérateur celui de Robinson pour mettre en exergue leurs affinités. L’un des grands ressorts de leur pensée à l’époque (nous sommes à la fin des années 60 et au début des années 70) a été le regard ethnographique sur la préhistoire, d’une part (surtout en lisant Leroi-Gourhan), et la vie ancestrale des paysans et des hommes de la mer ou des marais. Les matériaux qu’ils ont choisis alors sont pauvres et leurs œuvres ont été tout ce que l’on veut, sauf des tableaux (même si la question pourrait être discutée dans les développements de cette aventure). La première chose qui les a caractérisé a été de retrouver dans le monde « primitif » (dans le sens le plus étendu) les ressources pour la fondation d’un art nouveau, hors des lieux consacrés, que ce soit les galeries ou les musées.
Le caractère idéologique et théorique du groupe a pesé sur son image et sur sa postérité : quand on revoit aujourd’hui les ouvrages de cette époque, on comprend qu’elles ne sont dépourvues ni d’humour ni d’un caractère ludique. L’aspect « art pauvre » de leur démarche n’est une facette de leur recherche. Aucun des trois ne l’a d’ailleurs renié, mais l’a fait considérablement évoluer au cours des ans. Même Viallat, qui a beaucoup répété son motif fétiche sur toile libre a fait à côté des œuvres - en général, des assemblages - qui restent dans cet esprit. En tout cas, cette exposition et ce beau catalogue (si l’on fait abstraction des oublis majeurs dans la bibliographie) nous restituent une image très fidèle de cette quête artistique qui, aussi radicale fut-elle, a voulu retrouver la peinture par d’autres moyens - et y est parvenu, avec éclat.
Daniel Dezeuze a présenté cet été une belle exposition à la Maison des arts de Bages d’Aube. Celle-ci lui a permis de montrer des travaux anciens - les colombages, les triangulations, les treillis ») - et des travaux plus récents « panneaux extensibles ») ainsi que les Blasons et les Boucliers de fraîche date.
Ces œuvres n’ont pas été choisies au hasard : elle montre la cohérence de sa démarche depuis le début, mais une cohérence qui est sans cesse remise en jeu par l’expérience, de nouvelles lectures, d’autres expériences et des prises de risque. Par exemple, le Moyen Age a pris une importance considérable dans son « iconographie » depuis quelque temps, sans pourtant s’éloigner de ses repères initiaux. L’ensemble est précédé, dans le catalogue, par des notes d’atelier de l’An 2000. Cela déroute au début, mais on est vite pris par ce que ces textes peuvent receler de passionnants. L’artiste formule les choses de manière aphoristique ou sous forme de tableaux avec des flèches. Mais une fois dépassé cet obstacle initial, on peut y puiser les principaux mobiles de ses actes esthétiques.
En outre, Dezeuze a publié l’an passé un petit dictionnaire de Supports/Surfaces qui est en fait une encyclopédie miniature où il résume avec bonheur et parfois ironie ce que furent les véritables intentions du groupe initial, les idées force et les faits les plus importants qui ont marqué la brève existence de ce cénacle. En le lisant, on ne manquer de se dire : pourquoi diable la critique et surtout le monde muséographique est-il tant passé à côté de groupe. Sans doute l’observe-t-on avec respect, mais sans comprendre son importance dans l’art du temps du minimalisme et du conceptuel.
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