Mes moires
par Pierre Corcos
Quand on est resté un certain temps sans écrire longuement sur le théâtre, tout en continuant à aller voir des spectacles, les pièces se brouillent dans la mémoire car on ne les a pas fixées par les mots. Des visages, des scènes, des images, des intrigues flottent, éparses, et l'on est effaré de cette glauque dispersion, pressentant que notre vie entière deviendra, plus tard, dans le grand âge, ce désordre épandu, flottant, disparate, dont il faudra se convaincre qu'il fut en vérité une même pièce de théâtre, cohérente et sensée, dont on a été, semble-t-il, l'auteur et le personnage principal... Mais lorsqu'on fixe, avec le regard intérieur, certaines moires qui, dans cette sorte d'obscur canal de rétention, apparaissent en premier, une image se précise et, peu à peu, l'on reconstitue ces spectacles qui, sans être forcément les "meilleurs" qu'on ait vus, possèdent cette caractéristique intéressante d'avoir rencontré suffisamment notre subjectivité pour que la mémoire, aux ordres de notre affectivité, leur réserve une place durable et surtout accessible.
Une sorte de Louis de Funès dilaté... Le physique de Patrice Thibaud me vient en premier en mémoire, sans doute parce que je n'avais pas ri comme ça depuis longtemps (le mauvais théâtre de boulevard a donné une image si médiocre et déprimante du comique qu'il est devenu rarissime, dans les bons spectacles, de rire), sans doute aussi parce qu'il synthétise un certain nombre de figures majeures du comique : par les gestes, il croise le burlesque de Buster Keaton; par les gags et la silhouette, il fait penser à Jacques Tati; et enfin par les mimiques, les grimaces expressives, il évoque le grand Louis de Funès (dont Valère Novarina a su, fort heureusement, exhausser l'image de comique essentiel, mais qui a eu le malheur d'avoir mis son prodigieux talent au service de quelques réalisateurs insignifiants). Dans ce spectacle, appelé Cocorico, "tous publics" comme on dit, on peut mêler son rire à celui des gamins, ce qui est une cure de jouvence, même si ces derniers ne comprennent pas toujours les références de certains sketches à la culture historique et cinématographique... Voilà, je me rappelle, un spectacle sans paroles (ou presque) qui a fait beaucoup parler : de l'importance des capacités mimétiques, des moyens non-verbaux chez l'acteur, du rôle primordial des rythmes dans ce genre de spectacle, et enfin de cette étonnante capacité de Patrice Thibaud consistant à produire les sons les plus divers. La musique d'accompagnement de Philippe Leygnac (qui n'est pas seulement musicien ici) transporte ce spectacle de pantomime hilarante au niveau du burlesque délirant des grands films de Chaplin... Voilà, c'était le premier souvenir qui m'est venu spontanément à l'esprit, et j'aurais été mécontent s'il avait concerné un travail quelconque.
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