Louis Soutter, un langage singulier
par Marie-Noëlle Doutreix
Si on accepte de considérer l’art comme un langage, celui-ci recouvre alors une infinité d’autres langages singuliers, créés par les artistes. Pour les œuvres des beaux-arts, le langage plastique peut regrouper le vocabulaire formel de l’ensemble d’une œuvre ; schèmes de couleurs, de formes, de matières, de compositions, et de lignes directrices. Le vocabulaire formel tout comme le vocabulaire thématique peuvent être connotés par l’artiste ou acquérir une dimension connotative dans le regard du spectateur : quelles figures identifiables reviennent ainsi dans l’ensemble d’une œuvre artistique, avec quelles significations et pour quel message esthétique ?[1] En l’absence de figuration le vocabulaire formel et le titre constituent les seuls éléments de langage. Au sein d’une œuvre d’art, la force suggestive augmente-t-elle de façon proportionnelle à la diminution de la dimension représentative ? Dans les peintures au doigt de Louis Soutter, les personnages sont des formes sombres d’autant plus expressives que seul leur contour est discernable. Les formes prennent alors en soi une valeur connotative ajoutée, bien qu’elles relèvent de la figuration, comme pour exprimer une sorte d’adéquation parfaite entre la manière artistique et la signification de l’œuvre. C’est peut-être sous l’angle de cette harmonie parfois violente, que l’œuvre de Louis Soutter se conçoit le mieux, tel un langage qui lui est propre, se donnant pourtant comme acte de communication.
L’œuvre de Louis Soutter exposée à la Maison Rouge à Paris, se compose essentiellement de dessins à l’encre de Chine et de peintures au doigt, à l’encre noire. Expliquer le goût de Soutter pour les dessins et peintures à l’encre noire par des difficultés financières et pratiques d’accéder à une plus grande diversité de matériaux, serait réduire son œuvre à un déterminisme négatif. Cependant, vivant depuis l’âge de cinquante et un ans dans un asile de vieillards, son activité artistique dépendait de la bienveillance de ceux qui le soutenaient.[2] Les quelques peintures à l’huile rythmant le parcours de l’exposition sous forme de portraits colorés ont majoritairement été réalisées dans l’atelier de Marcel Poncet, qui l’invita à séjourner dans sa demeure à Vich, près du lac Léman. C’est pourtant à cette période de 1922 à 1942, durant les vingt dernières années de sa vie, que son travail plastique s’intensifie et produit les œuvres que l’on admire aujourd’hui.
De même que Picasso passa sa vie à désapprendre à dessiner, Louis Soutter abandonne tout conformisme délaissant les dessins académiques de ses débuts qui portent la trace de ses brèves études d’architecture. À l’asile, face à l’isolement, la représentation fidèle de ce qui l‘entoure ne constitue plus une nécessité. Il peut dès lors explorer son intériorité, la faisant vivre sur le papier de façon imagée. Les peintures au doigt par leurs éléments descriptifs restreints suggèrent l’univers imaginaire de l’artiste et se détachent ainsi de la réalité extérieure.
[1] D’après Abraham Moles le message esthétique est à différencier du message sémantique. Le premier serait à rattacher au connotatif alors que le second serait de l’ordre du dénotatif. Voir Abraham Moles. Objet et communication. In: Communications, 13, 1969.
[2] Parmi eux Le Corbusier, Jean Giono, René Auberjonois.
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