ID : 41
N°Verso : 66
Dossier Benjamin Lévesque
Titre : Quand Benjamin fait du Fifre d'Édouard Manet le point de fuite de sa pensée sur le sujet de la peinture.
Auteur(s) : par Gérard-Georges Lemaire
Date : 11/01/2013



Quand Benjamin fait du Fifre d'Édouard Manet le point de fuite de sa pensée sur le sujet de la peinture.
par Gérard-Georges Lemaire

L’œuvre de Benjamin (Lévesque) m’a toujours surpris et déconcerté. Elle avait son évidence, sa personnalité bien affirmée, son écriture, ses hantises, ses extraordinaires glissements entre différentes strates de la peinture, naviguant entre ce qui est figurable et ce qui ne l’est plus vraiment, entre les ténèbres et les éclats fastueux de l’or. Elle ne se laisse pas prendre dans les filets des genres et des normes. Au contraire : elle échappe à notre tentative de lui attribuer un statut bien défini. Alors que bon nombre d’artistes s’efforcent d’imposer leur style - leur marque de fabrique -, c’est-à-dire ce qui les distingue dans une petite ou une grande histoire, lui, il choisit des chemins de traverse que quasiment personne n’emprunte. C’est un homme de goût, raffiné et cultivé. Mais il tient avant tout à son incognito - qui est peut-être le summum de l’exigence et de l’ambition. Il veut être celui qui n’est pas là où on le pense. Il est là où la peinture ne cesse de se remettre en jeu avec les dés des légionnaires romains et ceux de Stéphane Mallarmé.
      De lui, je voudrai examiner avec vous deux séries d’œuvres. La première est Les Petits cols (2008) et la seconde s’intitule Chroniques d’un joueur de fifre et a été réalisée en 2011.

 

I

Un certain nombre d’artistes de talent, à l’occasion de l’exposition baptisée Leçons de ténèbres, qui était un hommage à Patrizia Runfola et à son œuvre, dont les extraordinaires Leçons de ténèbres, présentées par Claudio Magris, ont choisi souvent dans ces pages les scènes se déroulant à Prague ou les moments intimes (Anne Gorouben, Sergio Birga, Catherine Lopès-Curval, Solange Galazzo, Olivier de Champris, Nathalie Du Pasquier, Estelle Courtois, Didier Tolla). Il n’y a guère que Bernard Lacombe qui s’est intéressé aux chapitres consacrés aux « vies imaginaires » des peintres d’autrefois. Claude Jeanmart, lui, a embrassé l’ensemble de la fiction. La plupart d’entre eux se sont placés dans l’optique de l’illustration, même si leurs dessins ou tableaux échappaient aux lois de l’illustration traditionnelle.
      Benjamin Lévesque a opté pour une tout autre démarche. Il a choisi un détail dans le livre et l’a développé sur six tableaux qu’il a intitulés Les Petits cols (six peintures et dessins (pastel, fusain et feuille d’or, sur toile de lin et laine, 60 x 92 cm, 2008). Il s’est attaché à un paragraphe qui met en scène l’héroïne de l’ouvrage et sa sœur malade : « … je vois mes mains effleurer ses vêtements en tâtonnant dans la mémoire, ces vêtements qu’elle rangeait avec tant de soins avant de dormir, quand, elle s’attardait en silence sur le pli de ses cols pour en refermer la courbe… Et je vois les petits cols ornés de fils de perles et les précieux gilets orientaux où de minuscules disques d’argent sont brodés… ces bleus, ces jaunes, pleins de soleil, de terre… de pluies chaudes et de vapeurs… »
      Ce passage correspond exactement à l’esthétique de Benjamin (Lévesque) à l’époque, où des fragments figuraux sont traités de telle sorte qu’on ne le remarque qu’après coup et que des objets sont insérés dans la composition pour achever de donner un sens au tout.

 

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