La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Le Cercle de l’Art moderne, ML/RMN, 248 p., 39 €
Cet ouvrage est intéressant à plus d’un titre en plus d’être le catalogue d’une belle et intéressante exposition présentée au Musée du Luxembourg à Paris. Il montre en premier lieu le rapport du Havre, grand port florissant au XIXe siècle et au début du XXe. Les fortunes qui s’y font engendrent aussi le désir de l’art et de constituer des collections. L’intérêt est tel qu’un Salon est créé dans cette ville et le pavillon de l’art moderne au sein de l’Exposition maritime internationale de 1868 a été jugé fort audacieux : on voit Boudin, l’enfant du pays, mais aussi Manet, Monet et Daubigny, pour ne citer qu’eux. Il y eut ensuite un Salon havrais (Il faut lire à cet effet l’essai d’Isabelle Pludermacher). De grands collectionneurs apparaissent et Le Havre n’est pas la ville de France la plus éloignée de la peinture et de la sculpture, même la plus aventureuse à l’encontre de l’Académie encore puissante, loin s’en faut. Et c’est d’ailleurs ce climat qui permet la création d’une situation tout à fait originale, qui faisaient déjà partie de la vénérable, mais active et ouverte Société des amis des arts : la fondation du Cercle de l’art moderne. Ce cercle a de particulier de réunir des artistes et de riches dilettantes. Le séjour estival d’Albert Marquet et de Raoul Dufy en 1906 est sans doute l’élément déterminant qui a déterminé l’esprit de cette nouvelle société l’année même où éclate le scandale de la « cage aux fauves ».
Annette Haudiquet et Géraldine Lefèbvre relate cette histoire extraordinaire, qui nous permet de comprendre la quête de ces collectionneurs très avisés mais aussi très prudents : ils vont adopter le « fauvisme » mais à condition qu’il soit bien tempéré ! Le fait que des artistes les conseillent ne suffit à les faire adhérer à tous les excès (supposés) de l’art en pleine révolution à Paris (ils sont loin de Munich et de Berlin, pour des raisons politiques trop évidentes, mais aussi de Vienne et même de Londres et de Bruxelles). Mais ils ont néanmoins contribué à faire du Havre un des grands lieux non de la création artistique dans notre pays (en dépit du séjour dans la région de Monet et d’autres peintres d’un certain calibre), mais de sa défense par le choix d’hommes d’affaires qui n’avaient pas mauvais goût.
Edward Hopper, RMN, 368 p., 45 €.
Hopper, ombre et lumière du mythe américain, Didier Ottinger, « Découvertes », Gallimard/RMN-Grand Palais), 128 p., 13,60 €.
Je ne sais pourquoi l’on s’acharne à faire d’Edward Hopper le descendant de l’Ashcan School de New York et le précurseur du Pop Art américain. Il est beaucoup plus proche de la Nouvelle Objectivité allemande que de n’importe quoi d’autre - si tant est que cette comparaison ait un sens ! C’est une figure solitaire, qui n’a pas quasiment pas son pareil dans son temps et en son pays. La seule qu’on puisse admettre, c’est que ses voyages a paru lui ont fait découvrir la peinture moderne et qu’il est bien probable que le « cadrage » si particulier de ses œuvres provienne de l’exemple que lui a donné d’Edgar Degas qui, lui-même, s’est inspiré des grands xylographes japonais. Quoi qu’il en soit, il a suivi un chemin solitaire n’a certainement pas désiré se pencher sur le mythe américain - ce qu’il a peint ne coïncide pas avec ce que l’Amérique valorise alors. Ce n’est que rétrospectivement qu’on a pu, à juste titre, le considérer comme l’un de ceux qui ont forgé la mythologie américaine.
Il s’est concentré sur des scènes de la vie quotidienne, dans les villes sou les banlieues, parfois dans la campagne ou au bord de la mer. FromWilliamsburg Bridge (1928) montre la partie supérieure de quelques immeubles disparates se découpant sur un ciel clair. Comme tant d’autres de ses sujets urbains ou de vues de maisons isolées, depuis Rain, Rooftops (1913), il a aimé peindre des bâtisses sans qualités ou qui peuvent sembler étranges avec le recul comme la magnifique House by the Railroad (1925). Bien sûr, Hopper, comme tout artiste de grand talent a une pensée sur ses sujets, des sentiments et des préférences reflétant sa vision du monde. Mais il ne cherche pas l’effet dramatique. Le sujet n’est pas indifférent, loin s’en faut, mais il ne sert pas de tremplin à un autre discours. Qu’il ait eu une tendance à une peinture de caractère « métaphysique » à la manière de Chirico ne fait aucun doute, bien que le terme « métaphysique » ne convienne pas exactement dans son cas. Ses scènes d’intérieur, la plupart du temps insolites avec ses personnages solitaires et ses couples paraissant s’ennuyer ne doivent être pris d’abord que comme une de ses manières de déchiffrer sa modernité. Ce lointain héritier de Manet engendre du sens et des affects à partir d’une indifférence feinte. Tout ce qu’il touche transforme anodin, le banal, même le vulgaire et le médiocre en un moment de beauté fulgurant chargé d’émotions fortes. Ce qui en a fait un artiste hors classe.
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