La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Peter Knapp dessine l’Ecriture ou la vie de Jorge Semprun, Chêne/Gallimard, 96 p., 29 €.
L’Ecriture ou la vie, Jorge Semprun, « Folio plus classiques », 448 p., 8,10 €.
Peter Knapp a été un grand directeur artistique. Mais il ne s’est jamais limité à sa profession. Il est peintre et photographe, se montrant prolifique dans un domaine comme dans l’autre. Il a choisi cette fois de mettre en image le récit de Jorge Semprun, l’Ecriture ou la vie, un ouvrage qu’il publie en 1994 et qui évoque surtout sa permanence dans le camp de concentration de Buchenwald. Ces pages de Semprun sont sans toute parmi les plus insolites qu’il nous ai laissées : il ne s’agit pas d’une histoire qui se déroule, mais d’une méditation qui s’interrompt et reprend, parfois après d’autres considérations. C’est un texte bouleversant sur la reconstruction de l’être après son quasi anéantissement. Peter Knapp a traduit sa lecture par des corps défigurés et gesticulant, de terribles marionnettes qui s’agitent sur le fond blanc de la feuille, s’y découpant dans des scènes grotesques ou épouvantables. Ce n’est pas l’horreur que traduit Knapp, mais le soupçon de l’effroi. Il nous présente des figures sorties d’un rêve et qu’on redoute de voir s’insinuer dans la réalité. Ce rêve (qui est la manifestation de l’horreur pure) ne fait qu’un avec un réel qu’on refuse de voir et de comprendre, ce pas de miroir, ce pas de Visage dont parle Semprun dans son expérience éprouvante de la terreur des camps. Peter Knapp a su restituer ce que, posément, calmement, Semprun écrit de son histoire, sans emphase, sans amertume, sans révolte, mais avec l’idée de restituer les sentiments crues d’une vie qui ne pouvait se vivre que sur un mince fil.
Semprun, avec l’écriture ou la vie, a composé son plus beau livre. Sa vision du monde concentrationnaire est extraordinaire et très loin de celui de Primo Levi, Si c’est un homme : il dépeint la vie qui a lieu dans ce prélude à l’Enfer (à moins que ce soit l’Enfer qui soit le prélude à ce monde) dans ce qu’il peut avoir d’absurde, de grotesque et parfois de beau, quand l’humanité et son désir de transcendance réussit à surmonter la machine à humilier et à détruire. Là où Levi s’attache à décrire les mécanismes du système, Semprun tente de restituer le mode de vie qui s’instaure là où le but final du cantonnement est de trouver la mort. La troisième partie du livre est d’une tout autre nature : il y est question bien sûr de ces moments effroyables, mais aussi de Weimar, de Salzbourg, de Kafka et de Prague, de Zoran Music, rescapé lui aussi des camps et qui en a rapporté des dessins bouleversants. C’est un livre « testamentaire », où l’auteur ne cesse de s’interroger sur sa propre existence (ou sa propre survivance) en remettant en cause da relation à l’écriture.
Annette Messager, Catherine Grenier, Flammarion, 240 p., 46 €.
On a élevé Annette Messager au rang d’un des plus grands artistes de ces dernières décennies. Son œuvre rappelle curieusement la position qu’a occupée Niki de Saint-Phalle au sein du Nouveau Réalisme. Et, en certains points, son œuvre a un lointain rapport avec celle de cette dernière : mise en avant de sujets féminins, infantilisme marqué, un goût marqué pour les formes molles et pour la multiplication des objets de toutes sortes. Quand on consulte l’ouvrage de Catherine Grenier, on découvre l’ensemble de son travail et c’est une bonne chose. On voit un artiste sérieux, qui a tenté à ses débuts de dépasser les termes de l’art conceptuel et à réintroduire la peinture dans une optique renouvelée. C’est n’est bouleversant, mais c’est néanmoins un moment intéressant. Par la suite, les boîtes remplies de jouets et d’objets hétéroclites (toujours une réminiscence de l’enfance !) paraissent une redite de bien des choses déjà vues. Après on se retrouve dans un univers de marionnettes mal fagotées et grotesques affirment peut-être plus de personnalité, mais rien de très convaincant. L’impression que laisse ce gros volume, c’est le sentiment d’une régression incessante, accentuée par une déconstruction formelle sans cesse plus forcée. Annette Messager n’est pas dépourvue de talent, loin s’en faut. Mais il lui manque ce « je ne sais quoi », pour reprendre l’expression de Vladimir Jankélévitch, pour que ses œuvres prendre du poids, de l’épaisseur et aient une résonnance plus intense. Cela étant dit, pour ceux qui sont amateur de cet artiste, le livre de Catherine Grenier est bien fait à son habitude et parvient avec clarté à exposer le cheminer de cette femme qui a déjà une très belle carrière derrière elle.
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