L'envol, Marilena Vita
par Gérard-Georges Lemaire
J’efface le ciel. Trop bleu, trop clair. Je l’efface avec son nuage transparent, un nuage haut, un cumulonimbus sans nul doute, d’un blanc liquide, ou, peut-être, un altostratus, un cirrostratus, mais en tout cas pas un altocumulus, qui forme de petits troupeaux de moutons immaculés dans les nuées. Mais si c’était un cirrus, de quel cirrus parlons-nous ? Du cirrus castellanus, du cirrus spissatus, cirrus fibratus, du cirrus floccus, du cirrus uncinus, ou encore du cirrus intortus, ducirrus Kelvin-Helmholtz, du cirrus duplicatus, du cirrus vertebratus, du cirrus radiatus. J’ai du en oublier en cours de chemin.
J’efface le rocher, au premier plan rocher, tourmenté, escarpé, mais dont j’ignore toute la forme. Je n’en devine que la partie où se tient la figure. On pourrait croire à un rocher au bord de la mer. Je crois distinguer des algues vertes coller au rocher. Mes yeux me trompent-ils encore ?
Il ne me reste plus qu’une forme humaine enveloppée dans des voiles. Il me semble distinguer :
- un manteau noir d’un tissu léger, mais qui ne laisse rien transparaître du corps ;
- un voile bleu qu’agite le vent que je devine souffler avec une certaine force car ce voile entoure la tête du personnage ;
- un écharpe rouge, mais qui pourrait bien être aussi une pièce de vêtement.
Mais le manteau est-il vraiment noir où est-ce un jeu d’optique ? Et ce rouge qui se découpe sur les épaules et sur la poitrine de l’actrice, de quel registre appartient-il ? Il semble éteint et pourtant il a une belle densité.
J’efface le ciel et la terre et il me reste la femme. Ou, tout du moins, je suis amené à croire qu’il s’agit d’une femme. Ce pourrait être l’habitant solitaire d’une contrée torride, un shaman, un fantôme dans un film de série B, un garçon travesti. Au fond, où est la femme ? Ici, sous mon crâne. Je l’ai inventée et je l’ai modelée avec la glaise de mes désirs.
J’ai écrit : « actrice » - car personne, sinon un sorcier, un ectoplasme ou un être venu de l’espace infini (qui me fait si peur) pourrait adopter une telle posture. Mais ce pourrait pourtant être le prêtre d’un culte obscur, une divinité de la mythologie grecque, une héroïne tragique – Médée par exemple, que Sénèque a immortalisée.
Ou est-ce une danseuse sacrée, un monstre de carnaval qui danse avant d’être brûlé.
Je pourrais me perdre en conjectures. En conjectures sans nombre, oui. En conjectures, c’est vrai, mais jamais en venir à bout, sans jamais saisir le sens de cette mascarade. La figure porte une petite statue au-dessus de la tête que je ne distingue pas bien. Elle porterait donc une couronne.
Mais plus les détails se précisent et se présentent devant le tribunal de ma raison, moins je distingue de choses. En toute logique, je comprends de moins en moins. Ce que je vois, je ne le comprends pas car je ne vois pas ce qu’il y aurait à voir.
Une perspective démente, accélérée, à perte de vue !
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