Gérard Schlosser. Les dessous du sensible.
par Amélie Adamo
Après l’exposition parisienne des œuvres récentes de Gérard Schlosser, à la galerie Laurent Strouk, le Palais Synodal de Sens et le musée des beaux-arts de Dôle organisent cette année 2013 une importante rétrospective sur le travail de l’artiste. Une riche actualité qui permet de reconsidérer la singularité d’une démarche figurative attachée depuis les années 1960 à s’immiscer dans les arcanes du Réel. Erotique voyage de l’œil dans les petits dessous du sensible...
I- Le voyeur moderne.
Peintre voyeur, comme s’il regardait les trésors secrets du monde cachés derrière un trou de serrure, il aime regarder Gérard Schlosser. Curieux, il s’approche, se rapproche. Encore et encore. Jusqu’à frôler, de l’œil et de la main, l’objet de son désir.
Ce qu’il désire par-dessus tout ? Le corps. Il aime le reluquer jusqu’à le voir et le toucher dans sa plus intime réalité : détails par détails.
Dans les années 1950 déjà, lorsqu’il était attiré par la sculpture, l’artiste croquait des fragments de statues, telle la Victoire de Samothrace. Dessins de corps : sans visage. Parce qu’un visage souvent ça dissimule. Le corps lui ne ment jamais.
Devenu peintre, Schlosser a construit une œuvre où la place du corps est essentielle. Corps humain donc mais aussi corps du Réel. Tant dans la sur-présence de la figure humaine que dans les paysages anthropomorphiques, l’ensemble de sa peinture embrasse la dimension sensuelle des formes, celles de l’homme comme celles des choses.
Depuis la photographie et le photomontage jusqu’à la peinture, Schlosser puise ses motifs dans la réalité quotidienne, qu’elle soit intime ou sociale. Ses modèles véhiculent une dimension banale et populaire (ils ne renvoient ainsi jamais à l’univers spectaculaire de la mode ou des médias). L’anonymat des corps, saisis en gros plan, participent à ce caractère commun. Tout comme l’action des personnages : oisifs, lézardant au soleil, ils s’enlacent, lisent, se baladent, se déshabillent, dans l’intimité d’une chambre, au parc, à la campagne ou à la mer. Ils goûtent ainsi la saveur des petites choses, l’odeur d’un corps à voyager, le goût d’un paysage à étreindre, la joie d’une rencontre ou la rêverie d’une ballade solitaire.
Mais si Schlosser est voyeur, moderne il est plus encore.
S’il est question dans son œuvre d’une réalité quotidienne et banale, celle-ci se trouve filtrée, métamorphosée, au sein d’une figuration critique. Une Figuration qui, fut-elle liée à l’usage de la photographie, opère une mise à nu du Réel. Dépassant le filtre des apparences et la perfection mimétique d’un hyperréalisme, la peinture de Schlosser se fonde sur deux critères modernistes : planéité et frontalité (la toile étant en ce sens abordée comme un mur de peinture). Ce à quoi participent la toile sablée, la focalisation, le gros plan, l’unification des textures ou le rabattement des perspectives.
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