La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Pino Pinelli, Incognita e quanta, Claudio Poleschi Arte Contemporanea, Lucques.
Pino Pinelli, museo archeologico Santa Caterina, Lipari.
Pino Pinelli est sans aucun doute l’un des artistes les plus passionnants dans le domaine de l’abstraction italienne de ces dernières décennies. Il a cherché une solution à l’impasse qui s’était créée dans cette sphère de recherche en faisant éclater la surface du tableau. Il en résulte une dissémination dans l’espace (qui est essentiellement le mur de la galerie ou du musée), le support étant une superficie blanche sans qualité. Cette attitude a pu le libérer des formats traditionnels. Chacune de ses œuvres peut être autonome, monochrome, bicolore ou polychrome, ou constituer des suites plus ou moins importantes. Leur apparence physique est aussi laissée au gré de son imagination. Ces toutes dernières années, il a privilégié, a croix, non dans une optique théologique, mais strictement formelle. Ces croix sont disposées selon des compositions qui peuvent être modifiées au gré des expositions et ne sont pas alignées de manière régulière. En revanche, elles peuvent être toutes d’une même couleur, le rouge, par exemple, ou le blanc. On retrouve chez lui quelque chose de Supports/Surfaces, mais qui aurait conservé la peinture comme fondement de toute entreprise plastique. Il demeure toujours dans la recherche du tableau. Et quand il se contentait de juxtaposer des tableaux monochromes (un bleu et un rouge, comme dans Opera BI, 2007), on peut se demander s’il ya deux toiles ou s’il n’y en a qu’une seule, divisée de manière ostentatoire. La variété des associations permet à Pino Pinelli de développer une pratique artistique qui ne fait que s’enrichir au lieu de s’épuiser en atteignant ses confins. La pratique sérielle est chez lui fondamentale, mais pas nécessaire et suffisante : il peut fort bien accrocher une seule création sans que cela soit perçu comme un retour en arrière. Il faut dire que ses dernières propositions sont l’aboutissement d’un long cheminement et, quelles qu’en soient les contours, les teintes et l’importance des pièces mises en jeu. Il joue de plus en plus sur l’espace investi en imaginant des boucles larges ou des alignements serrés de trois pièces allongées de la même couleur. Le tableau n’a plus de limite « géographique » et pourtant, il est omniprésent. Sa recherche l’entraîne à l’invention permanente d’un autre tableau, qui pourrait être plus facilement l’héritier de la Renaissance ou de l’âge baroque que de la période des avant-gardes. Enfin, comme le démontrent les deux expositions récentes de Lipari et de Lucques, il a encore et toujours le pouvoir d’émerveiller et de bouleverser le spectateur en engendrant des perspectives où ses ouvrages emplissent des surfaces qui deviennent des volumes signifiants.
Murano, chefs-d’œuvre de verre de la Renaissance au XXIe siècle, Musée Maillol/Gallimard, 228 p., 39 €.
Murano, l’île de la lagune vénitienne célèbre pour ses verreries, a laissé le souvenir de miroirs somptueux et surtout de lustres de contes de fées. Son image a été altérée ces derniers temps par la découverte que les petits souvenirs en verre proposés au touriste étaient fabriqués en Chine. C’est un monde qui change. L’industrie du verre s’est déjà depuis un moment réfugié dans le grand luxe, abandonnant le reste à la mondialisation. Venise sera chinoise ou ne sera pas, que n’en déplaise à Paul Morand et aux petits marquis des arts et lettres d’une France confite qui l’ont envahie au nom des grands sentiments esthétiques ! La belle exposition présentée au musée Maillol montre des coupes extraordinaires des siècles où le goût était de rigueur, des flacons et des vases sublimes, des glaces, des bouteilles et des plats et, bien sûr, ces extravagants chandeliers et lustres qui peuvent faire rêver. En somme, le passé glorieux de Murano est exhibé dans toute sa splendeur, non seulement pour ses qualités artisanales, mais aussi pour la beauté et le raffinement irréfutables de ses productions. Mais ce que révèle cette manifestation, c’est que Murano est aujourd’hui un lieu expérimental pour l’art et le design les plus audacieux. De belles expositions nous l’ont déjà prouvé lors de précédentes Biennales de Venise. Mais on peut aussi voir de très beaux vases dessinés par le grand architecte Carlo Scarpa, ces ouvrages d’Ettore Sottsass et d’Olivier Gagnère et des ouvrages moins convaincants de nos contemporains, tel Thomas Shütte. Dommage qu’on ne retrouve pas ici ce qu’on a pu voir lors de la Biennale d’il y a quatre ans, dont un étonnant Robert Rauschenberg. Mais on ne peut pas tout avoir, n’est-ce pas ?
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