La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Je parle toutes les langues, mais en arabe, Abdelfattah Kilito, « Sindbad », Actes Sud, 144 p., 19 €.
Les conférences et essais réunis dans l’ouvrage d’Abdelfattah Kilito baptisé Je parle toutes les langues, mais en arabe, sont remarquables. Elles sont d’abord merveilleusement écrites, souvent drôles et surtout judicieuses. Les questions qui concernent la langue sont toujours complexes, sinon retords. Dans son cas, la situation est complexe car quelle sa langue « maternelle « ? L’arabe, cela semble évident. Mais quel arabe ? Le dialecte qu’il parlait chez lui ou l’arabe classique des autorités de son pays ? Et puis il y avait le français, qu’il avait appris à l’école comme une autre langue maternelle. Dans la partie intitulée « Comment peut-être monolingue », il montre tous les problèmes qui peuvent être soulevés dès qu’on aborde le thème de la langue. Et puis il donne des exemple, très drôle, celui de Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert, celui d’Amélie Nothom, dont l’héroïne faisait enrager son patron parce qu’elle s’exprimait trop bien en japonais, ou encore celui d’Hercule Poirot, le personnage célèbre d’Agatha Christie, qui parlait avec un fort accent et en faisant des fautes pour que ses interlocuteurs anglais baissent leur garde et le prenne pour un idiot. Il aborde aussi un autre problème, non moins épineux. Quelles sont les meilleures traductions des Mille et une Nuits ? Il lui vient de répondre naturellement Antoine Galland et Mardrus. Mais il y repense encore et finalement en vient à croire que la meilleure traduction serait une digression philosophique comme faisaient les Grecs. (Dis entre nous, les dernières traductions dites « scientifiques » de ce grand œuvre sont illisible et, en fin de compte, Galland est le plus fidèle à leur esprit à mes yeux...) C’est un livre qu’on lit avec ravissement, mais qui représente une vaste somme de culture que l’auteur a su dépasser pour en faire une pensée sans cesse se retournant sur elle-même.
Célibataires, Agnès Pataux, texte d’Alain Badiou, Flammarion, 128 p., 40 €.
Aujourd’hui Alain Badiou suit les traces de Michel Onfray. Tout avait bien commencé pour ce dernier : des livres passionnant sur la philosophie matérialiste, un enracinement dans la pensée de Marx, un engagement personnel. Et puis de fil en aiguille, de livre de moins en moins soigné à des préfaces bâclées, il en est arrivé à passer d’Epicure et à l’épicurisme moderne, c’est-à-dire de parler cuisine dans les pages d’un hebdomadaire féminin connu. Ce n’est pas le fait de parler de recettes et de plats mitonnés qui est choquant en soi, mais ce glissement d’une philosophie de la jouissance, pour parler comme La Mettrie, à une philosophie du profit et de la notoriété à bon marché. Son combat, Onfray l’a rangé dans un tiroir et fait feu de tout bois paraphilosophique. Alain Badiou, qui publie un livre par mois, semble suivre le même chemin. De grands espoirs sont nés avec sa pensée qui revenait aux sources du communisme, une fois de plus à une vision de Marx rénovée et le voilà aujourd’hui préfacier d’un méchant livre de photographies d’une certaine Agnès Pataux. Le sujet n’est guère palpitant : les célibataires. En fait il s’agit de personnes plutôt âgées, en majorités des hommes, en général des campagnards, qui se sont présentés à la pose. Cela donne une collection de figures pittoresques et un peu pathétiques dans un style vieillot que lui consent le tirage argentique. Et voici le commentaire de Badiou (morceau choisi) : « Donnant exemple de ce travail de la pensée dans le visible. Il est certain que nombre de photos nous donnant à voir la solitude masculine comme telle. » Ou encore : « On voit ainsi que “célibataire” n’est pas un mot réductible à une présence compacte, solitaire, masculine et associable. » Et bien, avec ces considérations, et d’autres que vous trouverez dans le livre, vous pouvez être tranquilles - les vaches sont bien gardées ! Maintenant seul compte le nom du préfacier. Ce que contient le livre, mon Dieu, peu importe.
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