La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Omnithéisme et démocratie, Michelangelo Pistoletto, traduit par Matthieu Bameule, Actes Sud, 60 p., 8 €.
Michelangelo Pistoletto ne se contente plus d’être un artiste célèbre. Il s émet à vaticiner. Et ce n’est pas la première fois. Le voici qu’il philosophe. Il fait son Jean-Jacques Rousseau à la mode Arte Povera et surtout, aussi curieux que cela puisse paraître, de l’art conceptuel. Il ne dit d’ailleurs pas que des choses stupides, loin de là. On a d’ailleurs le sentiment d’entendre, de loin, l’écho de certains propos de Joseph Beuys. Mais Pistollo ne pastiche pas l’artiste allemand ni le copie. Il a de comparable sa volonté de trouver une issue par l’art aux problèmes de ce monde. Ce petit pamphlet, publié à l’occasion de son exposition au musée du Louvre, est une analyse de la démocratie, qui me semble assez juste : elle ne remplit pas son office et est même un leurre pernicieux. Mais cela était déjà vrai chez les Grecs anciens ! Au contraire de Malraux, il ne voit pas l’art se substituer à la religion, mais proposer son remplacement. A ses yeux, le miroir est l’instrument de la vérité crue, mais uniquement dans l’optique d’une relativité absolue. Il prêche en faveur d’un troisième paradis, qui dépasserait le paradis terrestre (et même céleste), le paradis perdu (notre monde actuel) et conduirait un troisième paradis qui serait l’espace de la réconciliation. Il voit dans toute œuvre d’art une référence à la sensibilité spirituelle. En disant cela, il s’appuie sur les écrits de Kant. Soit. Mais la condition sine qua non de son affaire est que l’art prenne ce chemin - ce qui ne semble pas être toujours le cas !
Correspondance, Rodin/Bourdelle, édition de Colin Lemoine & Véronique Mattiussi, « Art & artistes ”, Gallimard, 416 p., 25 €.
On pensait que tout avait été fait et que tout avait été dit sur Auguste Rodin. Eh bien, il faut croire que non. Véronique Mattiusi et Colin Lemoine viennent de rassembler la correspondance entre Rodin et son émule, Antoine Bourdelle. C’est une édition remarquable en tout point, pour le sérieux et la richesse des recherches de références et pour la sobriété des auteurs, ce qui n’est pas toujours, hélas, le cas.Au début, Bourdelle, qui est un des plasticiens du sculpteur déjà célèbre, s’adresse à lui en employant l’expression « Cher Maître », puis il passa è « Cher Monsieur Rodin », pour revenir à « Cher Maître » quand il a commencé à présenter ses propres travaux. Jamais les liens entre eux ne se sont défaits. Bien sûr, l’ouvrage est un peu ingrat pour ceux qui ne sont pas spécialistes, car tout l’intérêt de l’affaire, surtout les premières années, réside dans les notes très précises qu’ont rédigés les deux auteurs de ce chantier incroyable. Les années passent et Bourdelle vous à son vieux maître un respect sans borne. Pendant les années 1906 et 1907, en plus d’une grande estime réciproque, on voit qu’une amitié s’est nouée, mais Rodin demeure toujours le « Maître », que son cadet salue avec le plus grand respect ! D’ailleurs, il réalise des travaux pour le futur musée Rodin. Mais le plus curieux est qu’il reçoit de lui des dons, en particulier des dessins préparatoires. Bourdelle se confie à lui quand il éprouve une difficulté devant un projet un projet d’église. Une grande confiance s’est installée, mais aucune intimité. Ce sont deux artistes qui se parlent. Il lui demande des conseils, sur avis sur d’autres collègues du siècle passé. En somme, ils font reposer leur relation sur ce rapport permanent de maître à élève (et il reste « Monsieur Bourdelle » !), de méfiance à l’encontre de l’Académie et de tout ce qu’elle représente et d’une admiration mutuelle. Il évoque son voyage à Prague et les heures qu’il a passé chez J. Sucharda, que Rodin connaît avant de donner une conférence sur l’auteur de La Porte de l’Enfer. Ils se fréquentent, mais ils discutent peu de leurs œuvres. Mais personne n’aurait pu imaginer la force de ce rapport entre deux créateurs finalement si différents, quand bien même peut faire des analogies entre elles. Le célèbre Héraklès de Bourdelle sort de Rodin, c’est évident, mais est exprimé dans une toute autre direction. Rodin soutient Bourdelle à sa manière. Sans jamais dire que cela lui plaisait ! En 1908, leurs relations se distendent. Rodin s’est s’installer dans l’hôtel Biron où il va mourir dans des circonstances tragiques en 1917.
précédent 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 suite