Bibliothèque de l’amateur d’art

par Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 18/04/2012

Dans le vaste parc de leur propriété (près de la villa Magia, dans l’enceinte de la Fattoria Celle) située non loin de Pistoia, en Toscane, Guliano Gori et sa famille ont commandité des œuvres à des artistes contemporains tels qu’Alberto Burri (Le grand fer, 1986), Robert Morris, Roberto Barni, Kosuth (Modus Operandi Celle, Ian Hamilton Finlay (Le Bois de Virgile), Giuseppe Spagnulo, Dani Karavan, Michel Gérard (Cellsmic), Sol LeWitt, Anne & Patrick Poirier, Richard Serra. Au total, pas moins de quarante-trois créations, à l’heure qu’il est.
De plus, certains artistes sont intervenus dans une dépendance de la belle villa du cardinal Agostino Fabroni (fin du XVIIe siècle), comme Nicola de Maria, Giuseppe Pennone, Luciano Fabro, Giulo Paolini, pour ne citer qu’eux.
Au XIXe siècle, le parc est agrandi et entièrement réaménagé et de nouvelles constructions sortent de terre comme la volière, la chapelle, le monument égyptien en même temps que la cascade et les deux petits lacs.
Les sculpteurs ont eu toute latitude pour trouver un lieu dans cette nature modelée par l’homme dans l’esprit des jardins italiens, avec des dénivellations, des zones boisées et d’autres ouvertes sur la nature superbe de cette belle vallée toscane.

La dernière œuvre inaugurée en ce lieu métamorphosé par toutes ces formulations esthétiques des années 80 à nos jours est celle de Daniel Buren. Il s’agit d’une grande fontaine formant un hexagone. Elle s’intitule « Six murs fontaine à trois couleurs pour un hexagone ». Elle est placée non loin de la villa sur un vaste terre-plein dégagé (on peut admiré les collines qui se découpent au loin) et pavé de larges dalles. Chacun de ces murs est garni de bandes caractéristiques de l’artiste (8,7 cm ! sa signature), qui sont creusées dans la pierre. Les bandes sont peintes les unes en rouge, les autres en bleu, les deux dernières en jaune, utilisant les trois couleurs pures d’Anton Raphaël Mengs ou d’un ouvrage didactique du Bauhaus (la question reste ouverte !). Au pied de ces plans géométriques tous semblables, se trouve un bassin d’eau. Au centre du terre-plein formant une belle place se trouve une construction elle aussi hexagonale qui est à la fois un banc et un bassin d’une grande simplicité rappelant les plans de villes fortifiées de Vignola.
David Palterer fait une belle description de cet ouvrage qui, il faut le reconnaître, possède sa beauté, a contrario d’autres réalisations de Buren (je songe au Palais-Royal à Paris) avant d’entreprendre une analyse précise du développement du projet et des intentions de l’artiste. Il resitue aussi ce travail dans l’optique de l’architectue radicale de l’après-guerre en Italie. Palterer se tire à merveille de cette tâche loin d’être aisée car l’artiste, en dehors des croquis reproduits dans l’ouvrage, a été peu disert sur le cheminement de ses idées.
Daniel Buren, David Palterer, Gli Ori,136 p.

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Franco Marrocco est un jeune artiste (on peut encore dire cela aujourd’hui d’un homme né en 1956) qui a un parcours assez singulier et fascina nt car il se trouve toujours en marge des grands courants artistiques auxquels il s’est trouvé confronté au fil du temps. Il a commencé par faire des œuvres « figuratives », où déjà les figures se défont en partie à mesure qu’elles s’inscrivent sur la toile. Le rapport qu’il établit alors (nous sommes à la fin des années 70) entre ses « sujets » et l’espace font comprendre qu’il est déjà en quête d’un autre mode d’expression. Il ne cesse de diversifier ses propositions, avec la belle insolence de la jeunesse, mais non parce qu’il est indécis, mais qu’il ne veut pas s’arrêter sur un moment déterminé qui l’engagerait pour un grand cycle de peinture. Son esprit est conduit par le goût de l’aventure picturale. Très rapidement, il en arrive à faire un tableau dans le tableau et parvient à trouver son équilibre en ayant recours à des structures géométriques surajoutées. Le grand triptyque intitulé Sur mon ciel volent aussi des anges (1986) en est l’exemple parfait : le personnage du volet de gauche, de facture plutôt réaliste, contraste avec la figure du volet de droite, qui est un corps douloureux qui semble se dissoudre (mais ce n’est pas un pastiche de Francis Bacon). Nul mieux que lui alors incarne la « déconstruction » de la peinture, mais pas dans une optique radicale – dans une optique purement expérimentale. La Coupole (1985-1986) qui fait référence à la célèbre coquille de Piero della Francesca. Puis il entre dans le territoire de l’abstraction et fait partie de ces créateurs qui ont eu l’ambition de la renouveler sans la sacraliser ni la désacraliser. Avec un langage ancien, il a fait une peinture moderne.

Massimo Bignardi a écrit une préface très juste pour relater ce parcours qu’il n’est pas aisé de définir par des formules car il échappe justement aux formules. Il raconte l’histoire d’un peintre qui s’acharne à créer un sens dans une peinture qui est écartelée entre la doctrine de la fin du tableau (doctrine empruntée à un grand théoricien russe, Nikolaï Taraboukine, et qui a écrit en 1923 un livre s’intitulant Du chevalet à la machine, traduit en français sous un autre titre : le Dernier tableau – donc peu de choses à voir avec nos idéologues à la petite semaine) et les thuriféraires de la peinture pour la peinture, réactionnaires par définition. Dans la dynamique de l’œuvre de Franco Marrocco, on sent néanmoins le désir de partir en quête de ce dernier tableau et d’affronter les grands obstacles spéculatifs de l’art du XXe siècle qu’il se repropose autrement, le monochrome, surtout en noir, la finitude et l’infinitude du champ spatial de la surface, la matière de la couleur dans l’histoire de l’art et dans sa saga personnelle (qui se concrétise par le recours récent à l’art).
L’ouvrage comprend aussi une riche anthologie des auteurs qui ont écrit sur l’artiste de ses débuts à ce jour.
Franco Marrocco, Massimo Bignardi, Nomos Edizioni, 204 p.

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