Gladys
au pays des Merveilles
Ces perspectives étranges, ces angles de prise de vue troublants, ces jeux avec les différences déchelle, ces allers et retours entre micro et macrocosme, tout ce vocabulaire riche qui irrigue cette uvre singulière, attachante, vient sans nul doute de là. Soudain la jolie dame rousse aux yeux bruns bondit pour exhumer dun tiroir la maquette dun livre jamais publié, uniquement conçu sous forme de miniatures, où satisfaisant son côté ludique, elle réduisit les adultes à la taille de poupées. Merveilles photographiques comme le voyage au pays dAlice, que dévoilait déjà en partie son livre Album. Aujourdhui, à presque cinquante ans un visage lisse et un corps souple en affichent à peine quarante , gardant jalousement un lien fidèle avec la petite fille toujours nichée en elle, Gladys a mûri et son uvre avec elle ; lune attendant lautre, sur le chemin de la maturité, avec une bienveillante sagesse.
Depuis cinq ans ses voyages ont ainsi trouvé de nouvelles destinations, plus proches mais plus abyssales. Aux incertitudes de la rue, elle préfère maintenant le fauteuil rouge et les tentures du studio improvisé dans un coin de son atelier. Les espaces quelle explore aujourdhui lui offrent de nouvelles perspectives. « Lorsque lon est allongé sur la plage, la perception se trouve transformée. Tout dans le visage est inversé. Cela mintéressait de mapprocher dun visage renversé en arrière. Cela bouscule la forme classique du portrait. » Pull noir, petite jupe droite et grise, jambes minces gainées de bas couleur brique, souliers sport, de ses gestes élégants Gladys appuie chacune de ses phrases. Avec cette peur de ne pas se faire comprendre qui revient dans la conversation comme une ritournelle. « Je-me-suis-dit-inconsciemment-toujours-en-image », tente-t-elle dexpliquer, comme si elle pensait les mots de tout temps fâchés avec elle.
Dans ce souple va-et-vient que fait constamment son il entre linfiniment petit et linfiniment grand, au cours de ses voyages donc, voici que les visages, les crânes, les ufs, les pierres, les galets, forment son nouveau lexique suivant une esthétique dépouillée, minimaliste jusquà lépure. Paysages de chair où un crâne finit par devenir minéral comme une pierre, végétal comme un cur de salade ou comme une boule débène. Autant de petits cailloux jalonnant un chemin qui recèle son mystérieux fil dAriane. « Jai toujours ramassé des galets. Jai choisi ceux-ci un par un sur une plage en Grèce », murmure-t-elle tout en soulevant le couvercle dune boîte de Butter Cookis danois remplie de charmants petits galets blancs, véritable jardin secret japonais. Des pierres, il y en a partout, dans son atelier, chez elle, chez sa mère. De Grèce où elle va se ressourcer dès que loccasion se présente, elle a rapporté cette fascination pour la pierre et pour la statuaire antique. Ainsi travaille-t-elle actuellement sur une série de visages photographiés comme des bustes de marbre. « Soyez une statue au regard figé », demande-t-elle à ceux, amis ou inconnus visages déphèbes, de déesses, ou gueules de vieux patriarches , quelle fait poser. Une bien singulière galerie où, dans une étrange revanche sur le temps, la photographie semble percer les desseins de la sculpture antique. Des visages sidérés qui ne sont pas sans rappeler ce portrait du Fayoum posé près de cet aquarium rempli de coquillages, sur une étagère.
Le travail créatif plutôt que
de devoir aller « se vendre » dans les journaux ou les galeries
Vous ne verrez jamais Gladys rêver devant une vitrine dappareils photo. Pour elle, la technique est un passage obligé qui na malheureusement pas la sensualité de la peinture. « Pendant longtemps jai eu du mal à me présenter comme photographe. Jai plutôt toujours voulu être peintre », explique celle qui se serait bien vue aussi chanteuse lyrique. Cette photographe timide mais obstinée reconnaît que les sacrifices financiers sont énormes. Elle préfère se plonger dans le travail créatif plutôt que de devoir régulièrement reprendre son bâton de pèlerin pour aller « se vendre » dans les journaux ou les galeries. Superstition ou paranoïa, comme beaucoup dartistes Gladys rechigne à parler de ses projets. Pour lheure, cette fausse calme, stressée par un départ imminent pour New York où elle doit prendre des contacts professionnels, nen dira pas plus. Il lui faut dailleurs descendre remettre de largent dans le parcmètre. En face, dans la cour de lécole maternelle, le gros chat de bois bleu à tête jaune veille sur le toboggan et le bac à sable, tandis que sonne lheure de la sortie.
Armelle Canitrot
Article extrait de la revue pour"Voir" les photographies de mai 2000.
Gladys au pays des Merveilles
Bourse Villa Médicis «hors les murs» en 1987 pour un séjour au Japon, prix Niepce en 1989, deux livres : « Album » et « Gens de Bourges » parus en 1993, Gladys marqua le début des années 1990 de son uvre singulière. Que devient Gladys? Quels espaces photographiques explore-t-elle aujourdhui?.
« Quand jai eu le prix Niepce en 1989, mes photographies correspondaient à ce que les gens avaient envie de voir à ce moment-là. Jétais à la mode, mais je nai pas su en tirer parti. Ensuite, il y a eu un grand silence. On sintéressait moins à mes images. » Dix ans plus tard, Gladys qui reçoit dans son atelier baigné de lumière situé au cinquième étage dun immeuble parisien, à deux pas de la place dItalie, nen continue pas moins à construire son uvre singulière. Sans hâte. Depuis son livre Album en 1993, on a un peu perdu la trace de celle qui fut lune des coqueluches du milieu photographique au début des années quatre-vingt-dix, lauréate de la Villa Médicis « hors les murs » et auteur dun livre sur le Japon en 1987. Quon se rassure, les artistes ne sévanouissent pas avec les modes. Ses photographies croisées de temps en temps continuent à nous donner de ses nouvelles. Au festival de Honfleur, au printemps dernier, ou sur le stand de la galerie Baudoin Lebon, en novembre, au Salon Paris photo ; dans Libération illustrant des nouvelles dauteurs de polars ou, plus récemment, dans Le Monde avec le portrait de Philippe Sollers. Son curriculum vitæ engrange par ailleurs, avec une régularité de métronome, des expositions, individuelles ou collectives, chaque année depuis plus de dix ans. Des apparitions discrètes, comme le sont aussi ses images qui chantent une musique sans doute trop douce pour percer lactuelle cacophonie.
« Je suis lente », glisse-t-elle demblée comme pour excuser ces années de silence, sa voix enfantine ayant du mal à simposer parmi les cris de la cour de récréation den face. Clic, clic et reclic, « fichier », « gestionnaire dimages », les photographies saffichent en mosaïque sur lécran dun iMac aux transparences bleu des mers du Sud. Surprise ! Les premiers instants de la rencontre avec la dame se déroulent sur le mode « numérique ». Dix ans ont passé. Gladys cest son vrai prénom scanne maintenant ses photographies, les sort ensuite sur imprimante « parce que cest moins cher que les tirages », délaisse de plus en plus la fluidité du 24 x 36 pour le moyen format posé sur un pied, travaille en Polaroid, et semble, par ailleurs, de plus en plus attirée par la couleur. En témoigne cette série dinstantanés très libres réalisés avec un petit appareil de poche lors de son dernier voyage à New York.
Il faut donc insister pour voir des tirages, des vrais, comme on aime, sur papier baryté. Elle les étale alors comme les cartes dun jeu dont elle inventerait au fur et à mesure les règles, une sorte de réussite inspirée par on ne sait quelle mémoire. Et voici que se composent lexposition et le livre promis pour lannée prochaine. « Cest très modulable, mais il y a des associations très fortes qui se font avec le temps ». Une vision caressante sur un torse dhomme allongé fait ainsi écho à un paysage pris au ras dun pré tout tendre. Les pages dun livre, souvrant comme deux jambes sur leur petit triangle noir, répondent au corps svelte dune jeune fille à rayures grimpant un escalier. Sexe indolent, homme alangui, pied respirant une herbe fraîche. Arbres, fils deau, rondeur dun bol blanc, fragile silhouette noire. Sensualité. Féminité. Négatif et positif, yin et yang, loin et près, diptyques, triptyques et polyptyques répondent à leurs logiques clandestines, que Gladys a la sagesse de respecter sans chercher à toujours en comprendre la nature. Par fidélité à elle-même, simplement. La mer qui revient sans cesse sur tant dimages. La mer encore avec cet enfant aux yeux coquillages. La mer comme lenfance en Algérie. Une enfance quelle passa les pieds dans leau, la tête dans les nuages. Jusquà lâge de dix ans. Quitter soudain lAlgérie natale pour rejoindre, en métropole, une ville de province. Pour y ressentir les morsures de lexclusion et de lisolement. Abandonnant alors son rôle daînée à ses deux surs cadettes, elle fuit dans la rêverie. « Souvent, je me réfugiais dans un placard avec mes billes et je regardais à travers. Jai toujours fonctionné dans limaginaire. Je rêvais dans les billes ». À la voir ainsi mimer la petite fille quelle fut, regardant à travers ses boules de verre, on ne peut sempêcher de retrouver là ses tous premiers objectifs photographiques de fortune.
Des merveilles photographiques, comme le voyage au pays dAlice que dévoilait « Album »
biographie
Gladys
Née en Algérie.
Bourse Villa Médicis « hors les murs » en 1987 pour un séjour au Japon.Prix Niepce en 1989.
Gladys est représentée par la galerie Baudoin Lebon.
expositions PERSONNELLES
1985. Paris galerie Agathe Gaillard.
1989. Paris, Centre national de la photographie.
1994. Paris, Mois de la photo.
1996. Lausanne, Espace Saint-François.
1996. Copenhague, Fotografisk Center.
1997. Paris, Urba images.
1998. Brest, Centre atlantique de la photo/Le Quartz.
Monographies
« Gladys », galerie municipale du Château dEau, Toulouse, 1980.
« Mamonakou 1, Japon », Mulhouse,1989.
« Mamonakou 2, Japon », C.C.Y,M. C .Bourges, LARC Le Creusot, 1990.
« Album », éd. Créaphis, 1993.
« Gens de Bourges », éd. Créaphis, 1993.
COLLECTIONS
Bibliothèque nationale, Paris.
Fondation nationale de la photo, Lyon.
Fonds national dart contemporain, Paris.
Musée Carnavalet, Paris.
Collection Polaroid (Europe, USA).
Musée Nicéphore-Niepce, Chalon/Saône.