< retour | Kristina Aleksandrovska artist painter by Bruno Jamin |
Que sest-il passé en Yougoslavie ? Que sest-il passé pour que les artistes issus de ces années terribles de guerre nous offrent malgré tout leur joie de vivre avec autant dinnocence ? Les gens des pays de lEst sont des êtres résistants. Ils nont pas encore nos sociétés de consommation, presque déjà sociétés de loisir, mais ils survivent et demeurent des peuples forts, avec des tristesses profondes, si souvent tziganes, avec des joies intactes denfants éternels. Kristina Aleksandrovska donne entièrement ses joies et ses tristesses dans ses tableaux. Elle les offre au regard, avec une simplicité faussement infantile. Ses tableaux noirs et blancs, aux contours imaginaires dun monde qui devient doucement fou, qui valse, qui senvole, avec ses terres retournées, gonflées, dont les frontières dansent et se trahissent, et ses personnages sans surprise dêtre ainsi bouleversés, ses tableaux nous donnent envie de rire avec elle de choses apparemment inoffensives. Mais il nen est rien. Léchelle de Jacob qui est presque omniprésente dans ses dessins monte au ciel qui chavire, mais sauve-t-elle pour autant les malheureuses victimes de la guerre, passée ou à venir ? Après léclatement de la Yougoslavie, la Macédoine terre natale de Kristina offre des jolis paysages bucoliques à souhait, où elle se promène, où elle donne naissance à un fils, où elle aime, mais où elle reste seule, reine indépendante, femme moderne, préférant la solitude aux mauvaises fréquentations. Cest elle-même qui le dit : les hommes de son pays ne se préoccupent que de politique ou de religion. Les tensions dhier vécues au quotidien par les artistes autant que par le reste de la population préparent les tensions de demain, surtout en Macédoine, territoire lui-même encore déchiré par des conflits internes latents et dangereux. Lentrée dans la Communauté Européenne nest pas pour demain. Langoisse sourd dans ces tableaux apparemment pour enfants. Léchelle de Jacob est un espoir. Elle est lissue de secours de lâme de Kristina, qui sélève, elle, qui monte aux cieux, dès maintenant, pendant quelle peint, sans attendre de mourir pour une ascension religieuse douteuse. Car son art la sauve de ces angoisses terribles de peuples perdus. Son art lui redonne le sourire, quelle a si gracieux. Son art multiple, ici composé de noirs et blancs, ailleurs colorés, plus figuratif encore, avec un dialogue entre images et mots comme Jean-Michel Basquiat savait le faire, son art multiple est un exemple de courage et de virtuosité inlassable. Un exemple de modestie aussi, puisquelle sait maquiller à linfini lévidence du talent, pour peindre en apparence de lart abstrait chaviré, presque rendu inaudible, maquillé comme un clown pour des enfants, pour que même les enfants voient. Comprennent. Se doutent. Kristina Aleksandrovska, femme moderne et peintre dun talent qui doit être remarqué par lEurope entière, commence à reconstruire son pays, avec ses armes de Macédonienne et de femme, dartiste, avec ses pinceaux et crayons, couleurs et ordinateurs, pour nous reparler dun pays qui fut celui dAlexandre le Grand, que tout le monde oublia si longtemps. Dun pays qui danse au rythme des mélodies slaves, orientales, gitanes, comme les dessins de Kristina, qui dansent avec légèreté pour inviter à la vie, au festin des yeux, dans une énergie folle qui rappelle encore les magies des films dEmir Kusturica. La peinture de cette ex-Yougoslave, maintenant Macédonienne, bientôt Européenne espérons, donne une belle idée du monde, sans frime, sans démonstration, avec amour et humour. | |
Bruno Jamin |