« Si ta photo n’est pas bonne c’est que tu n’es pas assez près » disait Robert Capa.
Distance et grain : la grammaire de la photo volée
A l’inverse, longtemps, ce qui faisait la marque d’une photo volée était la distance qui séparait le photographe de sa proie. Cette distance s’incarnait par l’accentuation du grain photographique, parfois jusqu’au flou. Les téléobjectifs souvent équipés de doubleurs de focales, ou l’agrandissement successif d’une partie de l’image en étaient les raisons.
Le film « Blow up » d’Antonioni en est la représentation exacte : on voit un photographe chercher au sein même de la matière photographique, en agrandissant jusqu’à l’illisible, un détail d’une image qui serait la preuve d’un meurtre auquel il aurait assisté sans le voir mais qui n’a pu échapper à l’enregistrement de la pellicule.
Ce qui caractérise les photos réalisées à proximité de leur sujet contre leur volonté, c’est souvent une attitude précise, la tête enfoncée dans le col relevé par les deux mains, ou celles-ci tendues vers l’objectif afin de se protéger de la meute. Ces images ont influencé nombre d’artistes de Warhol à Cindy Sherman… Dans leur lignée aujourd’hui on trouve Alison Jackson qui met en scène des sosies. Comme ce faux George W. Bush, concentré sur un Rubik's Cube, ou la Reine d’Angleterre sur des cabinets…
Le grain de la pellicule et les gestes de protection des sujets photographiés concourent à donner à l’image une intensité dramatique qui s’accentue avec le temps d’autant plus s’il s’agit d’un personnage « historique » ayant marqué notre mémoire collective.
L’une des photos les plus publiées dans le monde a longtemps été celle du Général de Gaulle lors de sa retraite de 1969 en Irlande. Photographie de journaliste ou de paparazzi ? La frontière est mince entre people et politiques, entre journalistes et paparazzis, qui souvent cumulent plusieurs activités, faits divers, portraits, grands reportage, guerre. Il est d’ailleurs un épisode qui illustre cette porosité : des photographes en planque se sont trouvés par hasard au cœur de l’arrestation des membres d’action directe en 1980. Ils ont su, parce que ce sont des journalistes aguerris, faire face à l’événement et en capturer tous les instants, malgré les tirs de balles dont ils étaient la cible.
Comme beaucoup d’autres genres, la photographie de paparazzi a aussi eu ses faussaires. Et cela confine au grand art. En 1982, Sophia Loren rattrapée par le fisc passe 17 jours à la prison pour femmes de Caserte en Italie. Une photo en noir et blanc fait alors la Une des journaux, où l’on voit le visage de l’actrice derrière des barreaux. La photo est très granuleuse, semble avoir été prise de loin puis agrandie. On apprendra plus tard que la photo est truquée : il s’agit d’une superposition de deux négatifs.
Idem pour une photo de Jean-Paul II prise alors qu’il se baignait dans sa piscine de Castel-Gondolfo et qui s’avéra être un montage avec la photo d’un footballeur italien.
N’oublions pas que c’était l’époque de l’argentique et que pour arriver à ces montages il fallait de grandes heures de manipulations en « labo » et si tout n’était pas possible comme à l’ère du numérique, il était facile de travailler à partir de plusieurs négatifs la matière même du grain, pour se rapprocher au plus près de l’image volée caractéristique de « l’esthétique paparazzi ».
Cela se passait à la fin du siècle dernier. Puis advint le numérique, la télé réalité … on connait la suite.
Si la pratique des reporters, (on va les appeler comme ça…) suit toujours deux tendances bien différentes, l’enquête, - la traque puis la prise de vue (pas « d’instant décisif », mais l’enregistrement d’un moment fractionné en plusieurs images grâce au moteur de l’appareil photo), et le contact rapproché avec le même mode d’enregistrement mais à quelques mètres de la proie, (qui donne ces images de stars aux lunettes noires tentant de se protéger.), il en est tout autrement de la lecture que nous faisons des images.
Notre regard a commencé à évoluer au début des années 90 avec l’apparition de la presse people qui imposa des « Unes » multiples, influencée en cela par l’arrivé d’Internet et des nouvelles formes de lecture que cela imposait, en particulier par les liens hypertextes et la multiplication des images par l’intermédiaire de fenêtres ou pop-up. Il ne suffisait plus d’avoir en couverture un gros titre et une image pleine page mais plusieurs accroches avec des titres et des images différentes. Insidieusement cela nous préparait à lier entre elles un certain nombre d’images qui finissaient par n’en faire plus qu’une.
Nous étions habitué aux différentes censures, retouches, des propagandes des pays totalitaires mais il nous faut maintenant faire face à ce qui ne s’apparente non plus à de la retouche mais à de l’insinuation. On sait tout, mais on ne voit rien…
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