Dossier Sergio Birga Birga lautoportraitiste par Jean-Luc Chalumeau Jai sous les yeux les reproductions de pas moins de vingt-trois autoportraits par Sergio Birga, de toutes les époques, depuis lAutoportrait à 19 ans (1959) jusquà létrange Autoportrait dans lascenseur (2004). Cette constance signifie évidemment quelque chose, sur laquelle lartiste ne sest cependant jamais expliqué à ma connaissance. La manière dont il a étudié et traduit son visage, qui est toujours sans concession, exclut le narcissisme : Birga est resté fidèle à un genre particulier dexpression plastique, dautant plus approfondi quil le sait difficile. " On dit et je le crois fort volontiers quil est difficile de se connaître soi-même mais il nest pas aisé non plus de se peindre soi-même" : Van Gogh a écrit cela au moment de lAutoportrait à la palette daoût-septembre 1889. Birga avait peut-être cette phrase en tête en 1962, au moment où il peignait son propre Autoportrait à la palette, violemment expressionniste, notamment par le traitement des mains immenses et torturées masquant presque entièrement la palette, et par celui du visage jaune tourmenté, zébré de vert comme létait celui de Van Gogh. Ce dernier voulait signifier quil était malade, mais Birga? À cette date, son voyage en Allemagne na pas encore eu lieu, mais sa fascination pour les grands expressionnistes doutre-Rhin est éclatante dans ce tableau : on comprend que, bientôt, il ira vérifier ses affinités profondes avec notamment Otto Dix, et ce ne sera pas par hasard que ce dernier voudra dessiner le portrait du jeune peintre. Quant à la référence à Van Gogh, elle ne paraît pas inopportune concernant Birga, à en juger par son pastel Autoportrait à 33 ans (1973) dans lequel on distingue nettement, accrochée au mur juste au dessus de la tête de lartiste, un autoportrait du Hollandais. La manière expressionniste de Birga culmine en 1965-1967, cest à dire pendant la période marquée par le voyage en Allemagne. Dans lAutoportrait à 25 ans, en particulier, le peintre sacharne sur son apparence jusquà se rendre méconnaissable. La tonalité générale est rouge-sang, le fond est peuplé de monstres grimaçants: ne pas y voir lexpression dune souffrance psychique mais bien une expérience plastique menée aussi loin que possible, que lon pourrait traduire de la sorte : comment traduire lidée du paroxysme en peinture ? Une variante est proposée par lAutoportrait contre le ciel étoilé de la même année. Le peintre, torse nu, fulmine, ses yeux semblent lancer des éclairs. Il brandit une poignée de pinceaux comme un défi à un monde de violence et de turpitudes (un petit personnage en haut-de-forme, symbole de la bourgeoisie, est en train de poignarder une femme nue, symbole des victimes exploitées, la mort et sa faux ensanglantée ne sont pas loin ). Birga visite la peinture expressionniste, mais cest précisément aussi le moment de sa vie pendant lequel il milite à lextrême gauche, comme en témoignera bientôt lAutoportrait au foulard rouge de 1968. La manière dont il se représente lair décidé, tenant dans son poing serré deux pinceaux verticaux semble limpide: la peinture est aussi un instrument de combat dans la révolution en train de se faire. Birga est alors un des acteurs les plus engagés de la Jeune Peinture le " salon" le plus politique de lhistoire et il faut comprendre lautoportrait de 1968 comme un véritable manifeste. Il y aura eu coïncidence entre un épisode politique de la vie de Sergio Birga et son intérêt plastique pour lexpressionnisme allemand : les deux éléments se sont confondus dans des tableaux dune intensité extrême, dont des autoportraits. Mais le Florentin a dautres sources, dautres centres dintérêt artistiques : la conception hegelienne du portrait selon laquelle ce dernier ne doit traduire que ce qui appartient à lessence immuable du modèle ne lui est pas étrangère. Depuis la Renaissance, les peintres et tout particulièrement les Florentins se pensent eux-mêmes comme fragments du monde visible: cest bien ainsi que raisonne Birga, méditant depuis plus de quarante ans sur le fait que ce fragment a un statut particulier puisquil est à la fois sujet et objet de la représentation. Après Poussin, Vélasquez, Chardin et tant dautres, lautoportrait selon Birga signifie dabord : " je peins donc je suis ", et ce que je suis sappelle en loccurrence un peintre. Cest pourquoi les autoportraits de Birga représentent presque toujours également les moyens de la peinture, magnifiquement réunis, par exemple, dans lAutoportrait à 41 ans (1982) : voici le peintre, pipe au bec, manifestant la plus grande sérénité dans son atelier parfaitement reconnaissable (cest celui de la rue Titon, avec son escalier en colimaçon) tenant sa palette, ses pinceaux et un appuie-main. La sérénité affichée par Birga léloigne des autoportraits de Van Gogh dans la mesure où ce dernier savait son identité menacée et lexprimait avec angoisse. Hors la période expressionniste- politique, les autoportraits de Birga sont quant à eux paisiblement affirmatifs : celui qui est ici représenté est le peintre qui a réalisé ce tableau, et cest beaucoup moins pour lui loccasion de vous faire une confidence que de vous parler peinture. Ainsi dans le Petit autoportrait au rideau rouge (1989), Birga évoque lobsession de tout peintre : la lumière et lart de la saisir. Il sagit dun effet de contre-jour : le soleil se couche derrière la baie vitrée de latelier (un splendide ciel avec nuage rose en atteste), les rayons sont filtrés par le rideau dont le rouge se colore du blanc du couchant. Pour une fois, le tableau sur lequel lartiste est en train de travailler est tourné vers nous, mais nous le distinguons à peine, puisque nous sommes nous-mêmes placés à contre jour ! En définitive, luvre de Sergio Birga constitue essentiellement, dans son ensemble, une méditation sur lart de peindre, ce dont les autoportraits témoignent en premier lieu. " Il nest pas aisé de se peindre soi-même" ? Avec Birga, pour qui cette démarche paraît absolument naturelle, on ne le dirait pas. Jean-Luc Chalumeau
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