Les artistes et les expos

Buraglio à l’Abbaye de Mondaye
par J-L. C.


Pierre Buraglio, né en 1939, est un des artistes français les plus réputés, et l’un de ceux qui ont le plus oeuvré pour des lieux cultuels depuis une vingtaine d’années. L’idée d’intervenir dans le cloître de l’Abbaye Saint Martin de Mondaye l’a particulièrement intéressé car c’est l’occasion, pour lui, de faire un bilan de son activité de peintre inspiré par l’Ecriture sainte, souvent à travers les interprétations qu’ont pu en faire les artistes du passé. Il se trouve ainsi en parfait accord avec la vocation de l’Association Art à Mondaye, qui invite des créateurs de toutes tendances à dialoguer avec l’iconographie chrétienne.

Pour autant, Buraglio ne souhaite pas être considéré comme un spécialiste de « l’art sacré », le terme étant trop fortement associé, à ses yeux, à des réalités dans lesquelles il ne se reconnaît pas : il s’en explique pour la première fois dans le catalogue, et c’est l’une des raisons pour lesquelles cette exposition fera date.

Dans les années soixante, alors qu’il était l’un des animateurs les plus en vue du Salon de la Jeune Peinture, Buraglio a estimé que la peinture était devenue problématique. Il s’en est détourné sans chercher à justifier son attitude : cela se serait passé malgré lui. Ainsi l’anorexique regrette-t-il sincèrement de ne plus pouvoir avaler les mets exquis dont il garde le souvenir ému. Après 1968, il a passé deux ans comme ouvrier dans une imprimerie, cessant toute activité artistique. Ce n’est que progressivement qu’il s’est autorisé ensuite l’usage du support papier calque pour retrouver, en quelques coups de crayon, l’articulation essentielle d’une crucifixion de Philippe de Champaigne ou d’une montagne Sainte Victoire de Cézanne. Encore la Sainte Victoire était-elle vigoureusement caviardée de noir : Buraglio, peintre occidental qui s’inscrivait dans la Tradition, pensait encore que cette tradition n’a duré et ne s’est renouvelée que grâce aux assauts de ceux qui l’ont affectueusement ou sévèrement bousculée.

Durant les années 70, Buraglio s’est donc détourné des marchands de fournitures pour artistes, préférant fréquenter les chantiers de démolition (il y a trouvé des châssis de fenêtres), les trottoirs des villes (il y a ramassé des paquets de cigarettes Gauloises vides) ou les corbeilles à papier des Administrations (il y a récupéré des enveloppes à fenêtres). Tous matériaux usagés, humbles, avec lesquels il a bâti l’essentiel de son oeuvre jusqu’à une date récente. Ces travaux manifestaient les ambiguïtés que nous sommes accoutumés à rencontrer dans ce que l’on nomme « la peinture ». Gilles Aillaud a bien observé que plus les oeuvres de Buraglio « s’identifient à leurs constituants matériels, plus leur réalité physique renvoie à la réalité physique du monde extérieur : plus ils sont des écrans, plus ils parlent de l’ouverture », et Yves Michaud, qui fait cette citation, précise : « Entre la matérialité de l’objet et l’imaginaire de la référence, entre la réalité de l’imaginaire et l’immatérialité de l’objet, en un point d’hésitation et de basculement où l’objet n’est plus luimême et la peinture présente de n’être qu’évoquée : tel est le lieu et aussi bien le non-lieu que Buraglio cherche à occuper. Depuis le début ». Ainsi s’expliquent aussi bien la série de la Leçon des ténèbres que les dessins et études « d’après » Gaspard Issernmann ou Lucas della Robbia, parmi beaucoup d’autres. Toujours exigeant, volontiers austère mais ne refusant pas, parfois, une légère touche d’humour, Buraglio cherche toujours ce point « d’hésitation et de basculement » à partir duquel une émotion pourra être transmise. Vers la fin des années 70, son « retour à la foi de son enfance », comme il dit avec pudeur, l’a engagé dans des réalisations dans des églises ou des hôpitaux dont l’exposition de Mondaye réunit des traces significatives. Ne pas y voir des exercices apologétiques, mais l’expression de sa foi par un artiste qui, ici comme dans tous les autres aspects de son oeuvre, n’oublie jamais l’axe essentiel de sa recherche qui est de s’inscrire dans l’histoire de la peinture, quand bien même elle ne serait ici présente que d’être furtivement évoquée.

(Abbaye Saint-Martin de Mondaye, 14250 Juaye-Mondaye, jusqu’au 2 novembre)
J-L. C.
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