Entretien « Une uvre dart na pas besoin de coûter des centaines de milliers de dollars pour être dart » ! Entretien de Béatrice Josse, Directrice du FRAC Lorraine, avec Thierry Laurent La réhabilitation de ces lieux historiques vient dêtre achevée sous la responsabilité de larchitecte Jean-François Bodin. Le FRAC Lorraine est détenteur dune collection de près de six cents uvres, photographies, sculptures, vidéos et installations, valorisant en particulier le travail de femmesLe grand Monde antique Les éditions Hazan publient une collection faisant office dintroduction à des périodes de lhistoire de lart baptisée « LAtelier ». Les livres sont agréables à manipuler, plaisant à lire et bien informés. Le dernier titre en date, Le Gothique international, nous présente un moment très particulier de lart en Occident, à cheval entre le Moyen Âge et la Renaissance, avec des différences notables entre les différents pays. Cest sans doute lun des plus fascinants et Ines Villela-Petiot sest bien sortie de cette tâche qui na pas dû être simple. Indispensable pour sinitier à un monde en mutation. Louvrage intitulé Du gothique à la Renaissance devrait compléter le précédent. Il sagit de monographies des maîtres du début de cette révolution profonde des connaissances, de la vie sociale et politique et des arts. Le choix des artistes peut surprendre (labsence de Cimabue est presque sidérante) et on se demande pourquoi lon va aussi loin que Masaccio et Lippi. Cest vraiment regrettable car une présentation des maîtres qui ont marqué de leur empreinte cette transition manque à lheure quil est. Le Gothique international, Ines Villela-Petiot, Hazan/Louvre. Du Gothique à la Renaissance, Hazan. La somme de Panofsky sur Dürer reste un modèle du genre. Le rééditer est non seulement nécessaire pour les spécialistes, mais aussi pour qui veut apprendre à connaître les maîtres dautrefois sans tomber dans les leurres de la mythologie du génie immortel ni dans la dissection historiographique. Lauteur de Melancolia est ici restitué dans toute la richesse de son existence et la profondeur de sa recherche, à partir de son contexte dans toute sa complexité (existentiel, historique, artistique, culturel, scientifique), mais aussi de sa démarche propre. Ce livre demeure aujourdhui un modèle qui na pas été dépassé loin sen faut. Avec son étude sur Le Titien, Panofsky a montré quels avantages apportent sa méthode de travail telle quelle a été présentée dans ses Essais diconologie (Gallimard, 1968). Aucune méthode nest parfaite, celle-là pas plus quune autre. Mais cest au moins la plus respectueuse de luvre picturale. Elle permet aussi dexplorer les différentes significations après avoir soigneusement analysé ses bases matérielles, historiques, culturelles. Les conférences réunies dans ce volume permettent de traiter de chaque question avec la même perspective, mais chaque fois en posant des questions spécifiques. Et cest chaque fois loccasion dexplorer une des grandes problématiques de la Renaissance comme, par exemple, la relation avec la littérature antique, comme on le constate, par exemple, dans « Le Titien et Ovide ». Mieux connaître Le Titien en connaissant mieux tous les paramètres de son temps et de son horizon littéraire, artistique et scientifique, voilà ce que nous offrent ces parleries de Panofsky, précieuses et incontournables. La vie et luvre dAlbrecht Dürer, Erwin Panofsky, préface de François-René Martin, tr D. Le Bourg, Hazan. Le Titien. Questions diconographie, Erwin Panofsky, préface de D. H. Bodart, tr. E. Hazan, Hazan. Qui na jamais vu lune ou lautre des illustrations de ce Kâma Sûtra publié au XVIIe siècle à Bikaner ? Mais de les retrouver pour la plupart réunis en petit volume élégant est un grand plaisir quon ne saurait bouder. Lintroduction de Wendy Doninger nest guère passionnante (elle enfonce des portes ouvertes) et on aurait préféré que le texte soit reproduit à côté de ces merveilleuses miniatures, qui allient érotisme et esthétisme, ce qui est devenu chose rare à lépoque des parties fines de C. M. Évidemment, tout le monde nest pas adepte de Kierkegaard et lon veut ignorer que la liberté que suppose lérotisme conjugue intimement la bestialité et le sublime. Cest une réconciliation peut-être ambiguë mais en tout cas profonde avec le divin, celle des mystiques étant une quête de labsolu qui retranche le contingent au nom de limmanent. Le Kama Sûtra de Bikaner, Wendy Doninger, Gallimard. Cest de notoriété publique : les expositions de lInstitut néerlandais de Paris sont remarquables. Celle qui a été baptisée Regards sur lart hollandais du XVIIe siècle et qui rassemble des uvres de la collection de Fits Lugt et de celle des frères Dutuit était exceptionnelle. Limposant et sérieux catalogue qui en conserve le souvenir en témoigne amplement. On y trouve de merveilleux portraits exécutés par Hendrick Pot, Adrian van Ostade, Esaias Boursse, Pieter Codde, avec toutes ces femmes et ces hommes vêtus de noir, des paysages féeriques, comme ceux Jan Hackaert ou de Jan Lievens, des intérieurs métaphysiques ou cocasses (comme celui peint par Jacobus Vrel). En somme, sans faire des énumérations fastidieuses, ces collections recèlent des trésors inestimables qui sont enfin accessibles dans un superbe volume extrêmement bien documenté. Ah, si les instituts français à létranger pouvaient prendre modèle sur cette magnifique vitrine de la Hollande
Mais il ne sert à rien de rêver
Regards sur lart hollandais du XVIIe siècle, Fondation custodia/Adam Biro. Michel Ragon a signé une très honnête vie de Courbet. Il y en a eu déjà beaucoup et, récemment, dassez mauvaises. Il a étudié avec soin le parcours de cet artiste dun talent incomparable mais qui va être victime de sa vanité et de sa vantardise. Quon se plonge dans le récit de sa participation à la Commune de Paris. Dabord président de la Commission des artistes, il se voit confier le soin de rétablir le fonctionnement des musées et dassurer la continuité du Salon, et le même jour dabattre la colonne de la place Vendôme. Il nen a fallu pas moins pour accuser le peintre den avoir ordonné la démolition. Mais il avait eu limprudence den avoir eu lidée peu de temps auparavant et, condamné, il na dautre ressource pour sortir de la prison de Sainte-Pélagie que den proposer le remboursement intégral grâce aux deux toiles qui avaient été saisies. Ragon analyse ces événements avec prudence et grand soin et rétablit des vérités. Courbet avait bien du génie mais sest souvent montré maladroit face aux événements. Et il en a payé le prix fort. Gustave Courbet, peintre de la liberté, Miche Ragon, Fayard. Le petit monde moderne Lhistoire de lart moderne présentée par Florence de Méredieu est dautant plus précieuse quelle ne ressasse pas les chronologies plus ou moins heureuses et, surtout, plus ou moins tendancieuse quon a lhabitude de trouver aujourdhui. Elle a une volonté encyclopédique qui se traduit par le traitement de grands thèmes, consacrant par exemple toute une partie sur la couleur et une autre sur la lumière. Les matériaux y tiennent une place considérable. On y trouve des entrées comme le langage ou lespace, le temps, la vitesse. En somme, cet imposant volume constitue une autre façon de pénétrer dans les arcanes de la modernité, avec intelligence et aussi avec la possibilité de se retrouver dans le foisonnement dexpériences qui ont eu lieu tout au long du siècle précédent. Histoire matérielle et immatérielle de lart moderne, Florence de Méredieu, Larousse. Que reste-t-il de lenseignement du Bauhaus ? Cet établissement est devenu un tel mythe dans lhistoire de lart du siècle passé quon a perdu de vue sa réalité et sa finalité. La publication des Cours du Bauhaus de Paul Klee, avec de magnifiques fac-similés de ses notes préparatoires nous fournit loccasion rêvée de se demander est-ce que les grands artistes font de grands pédagogues ? Comme Kandinsky, Klee sest servi de sa position magistrale pour élaborer une théorie de la peinture qui est avant tout la sienne propre et non une méthode permettant à des jeunes gens de sinitier au métier. Lartiste sinterroge et partage ses préoccupations avec ses étudiants. Est-ce une théorie ? Il sagit là plutôt dune méditation à voix haute où il tente de sexpliquer le processus de la création plastique. Il nest pas innocent que Klee commence son cours en comparant létude de luvre dart à lanalyse en chimie. Bien sûr, il serait intéressant de compléter cette étude avec ce quil a pu réaliser dans les ateliers de reliure ou de peinture sur verre où laspect pratique passe au premier plan. Lart moderne peut-il senseigner ? Peut-être pas ou sinon par lexemple. Cest ce que semblent prouver les écrits de Klee. Lexposition de Klee au Musée dart moderne et contemporain de Strasbourg a donné lieu à un superbe catalogue. Celui-ci, maintenant que lexposition est achevée, permet de prendre toute la mesure de létonnante aventure plastique de lartiste suisse. Laspect le plus remarquable de cette revisitation de son uvre est quelle ne constitue jamais un système et quelle ne fonctionne pas par cycles. On éprouve même le sentiment quelle est sous-tendue par une poétique plus que par une conception de lart. Plusieurs peintres cohabitent en lui et travaillent à des conceptions sensiblement différentes de lespace pictural. Leur point commun est de ne pas chercher à faire des tableaux monumentaux mais, au contraire, de produire des ouvrages menus qui sont plus proches de lesquisse ou de lébauche. Klee se plaît à saisir léphémère et lémotion dun moment précieux mais infime. Cela ne lempêche pas de construire ses aquarelles ou ses huiles avec une science consommée et une application rare. Klee a travaillé dans ce paradoxe. Cest ce qui rend unique ce quil a accompli. Cours du Bauhaus, Paul Klee, tr. Claude Riehl, Hazan/Musées de Strasbourg. Paul Klee et la nature de lart, Hazan/Musées de Strasbourg. Les musées Picasso se multiplient et les ouvrages sur son compte continuent à paraître en quantités astronomiques. Il faudra bientôt construire une Très Grand Bibliothèque Pablo Picasso pour les conserver. Lexposition qui lui est consacrée à Céret ajoute un bel ouvrage, qui démontre que Picasso a voulu ne rien ignorer : la terre cuite, la céramique, la faïence, les bijoux, rien, vraiment rien na échappé à sa voracité. Ce volume fournit loccasion de découvrir cet attachement de lartiste pour les arts dits mineurs, surtout à la fin de sa carrière. Une partie est consacrée au décor de théâtre, mais ce thème nest ici traité que de manière fragmentaire. Cela fait tout de même un beau catalogue plutôt destiné à ceux qui veulent découvrir les aspects moins connus de lénorme manufacture picassienne. Picasso, peinture dobjets, objets de peinture, Gallimard. Salvador Dali revient à la mode. Et on redécouvre son travail décrivain, qui est loin dêtre indifférent. Les éditions Sabine Wespieser viennent de rééditer Visages cachés, sans doute son plus beau livre. La parution de Journal dun génie adolescent (malheureux ce titre est un pastiche pour un texte retrouvé par hasard et qui sintitulait simplement « Un journal intime 1919-1920 : mes impressions et mes souvenirs intimes ») qui est inédit en français est une révélation : on apprend à connaître le jeune Dali (il a alors quinze ans) encore au lycée qui tient la chronique des affrontements entre lArmée rouge et lArmée blanche en Russie, suit de près les événements politiques en Espagne (manifestations, coups de main, échauffourées, lock out, grèves
). Il va au théâtre avec sa mère, raconte son Cadaquès, se réveille le matin en évoquant la situation climatique qui lémerveille, parle de ses conquêtes (Lola ou Carmen) avec orgueil et pudeur. Bref on est encore loin du Dali du surréalisme et de toutes les extravagances. Cest un ouvrage surprenant, écrit dans un catalan phonétique, mais qui laisse déjà deviner un style dans tous les sens du terme. Le petit ouvrage que Jean-Louis Gaillemin a écrit sur Salvador Dalî mérite tous les éloges. Il nest pas aisé de faire un excellent travail lorsquon est corseté par une formule éditoriale aussi prégnante. Il est tout de même parvenu à faire une monographie complète, claire, détaillée, riche de documents et qui noublie aucun aspect de cet artiste, qui a excellé dans la peinture, le dessin, mais aussi dans lart publicitaire, le cinéma et aussi, ce quon a souvent ignoré, en littérature. Dali fut un grand homme de lettres, mais on a retenu le roi de lesbroufe, lamuseur public, linconditionnel à la télévision du chocolat Lanvin. Cet aspect là existait, tout comme son affairisme (ce nest pas pour rien que Breton avait trouvé cet anagramme : « Avida Dollars » !) qui aboutit au désastre que lon sait et qui défraye encore la chronique. Au moins avec Gaillemain, on a entre les mains lessentiel de ce quil faut savoir sur Dali (et, en plus, un beau dossier sur son amitié avec Lorca). Journal dun génie adolescent, Salvador Dali, préfacé par F. Fanès, tr. P. Gifreu, « Motifs », Le Serpent à Plumes. Dali, le grand paranoïaque, Jean-Louis Gaillemain, « Découvertes », Gallimard. Réédité voici peu, ce Paris capitale des arts est un excellent outil pédagogique. On regrettera seulement que sa forme ne corresponde pas au fond : on aurait préféré un « usuel » plus facile à consulter et moins cher. Mais, malgré tout, cest un livre utile pour tous ceux qui veulent découvrir cet immense continent qui est né sur quelques morceaux de trottoir et dinfâmes ateliers de Montparnasse et de Montmartre. Et il est encore plus utile pour ceux qui croient encore que New York a détrôné définitivement Paris : car on en est encore là, hélas
Paris capitale des arts 1900-1968, Hazan. Le petit essai de Giovanni Joppolo sur lart italien du siècle dernier a le grand mérite de combler un vide assez inexplicable. Certes, les Français méprisent leurs voisins transalpins et connaissent partiellement (et partialement) leur création, quand ils ne lignorent pas tout à fait. Des avant-gardes des années dix (futurisme, métaphysique) jusquà la période confuse qui a suivi lArte povera et la transavangardia, Joppolo fait une synthèse très claire et malgré tout assez complète de ce que lItalie a pu produire au cours de décennies qui ont vu se succéder des courants de toutes sortes (aussi figuratifs quabstraits entre les deux guerres) que des individualités fortes de laprès guerre comme Burri, Fontana, Capogrossi, Merz, Paladino et bien dautres encore. Jen suis sûr, ce livre dinitiation permettra aux étudiants et aux amateurs dart de se familiariser avec ce monde qui reste encore à découvrir. LArt italien au vingtième siècle, Giovanni Joppolo, « histoires et idées des Arts », LHarmattan. Rarement peintre fut plus méprisé et vilipendé que Bernard Buffet. Cela ne la jamais empêché dêtre célèbre de par le monde, davoir un musée au Japon et de vendre à des prix à donner le vertige. Lalbum de photographies présenté par Annabel Buffet et commenté par Jean-Claude Lamy engendre une sensation curieuse et troublante : toutes ces photographies - dont beaucoup de scènes datelier savèrent touchantes. Et on se redit une fois encore que Buffet navait pas si mal commencé que cela et que si
En sorte quon ne peut feuilleter ce livre sans la nostalgie de toute une époque et, maintenant quon peut plus le décrier, Bernard buffet est entré dans lhistoire, peut-être par la mauvaise porte. Mais on ne loubliera pas de sitôt car il a été notre Bouguereau, notre tête de Turc, lennemi quon ne saurait abattre. Ces Secrets datelier ont donc cette saveur amère du temps jadis, dun Tout-Paris qui nexistait quà Saint-Tropez. Temps absurde. Temps béni de nos jeunes années quand tout était noir ou blanc. Comme ses tableaux. Bernard Buffet, Secrets datelier, Annabel Buffet/Jean-Claude Lamy, Flammarion. Arnulf Rainer est bien connu pour ses visages raturés et maculés. Ses dernières uvres marquent un tournant dans sa démarche. Il a décidé dintervenir sur des images religieuses, en particulier des illustrations de la Bible, des uvres médiévales de la Renaissance et mêmecelles de Chagall sont soumises au même traitement : des surimpressions, des maculages, en somme des actes sacrilèges qui les dénaturent. Que penser de ce genre dintervention ? Essentiellement le sentiment dune panne créative. Ce travail laisse un arrière-goût de facilité et dimpuissance. Mais na-t-on pas valorisé à tort et à travers le débraillé et le relâché au nom de je ne sais quel renversement des valeurs de lart ? Arnulf Rainer, Musée national message biblique Marc Chagall, Nice/RMN. Lidée est amusante et même intrigante : que faisaient-ils donc ces artistes que lon prise tant de nos jours quand ils avaient dix-sept ans ? Daniel Buren faisait de la peinture conventionnelle, tout comme dailleurs François Bouillon. Arman aime travailler avec des empâtements et Gina Pane sacrifie à la religion de labstraction
Beaucoup dentre eux ont bien sûr abandonné leurs premières amours pour sinscrire dans lhistoire bien précaire des néologismes infinis de lart actuel. Souvent à tort. Cest une exposition et un livre qui incitent à la méditation. A dix-sept ans, aucun dentre eux nont été touché par le génie, ce nest que trop évident. Et bien peu lont été par la suite (soit dit en passant). Mais pour certains, le talent était déjà au rendez-vous. Dix-sept artistes à 17 ans, Musée Arthur Rimbaud, Charleville-Mézières/École nationale des beaux-arts. Avec Le Très Grand Véda, Claude Mollard a écrit un texte oulipien radical puisque toute la narration repose sur le jeu de mots. En sorte que les aventures qui emportent à un rythme échevelé les personnages qui ont eu laudace de monter dans ce T.G.V. prennent aussitôt une tournure délirante et un humour bizarre. Les illustrations de Tomi Ungerer ne font que renforcer cette gigantesque et fantastique fresque burlesque avec son prophète inquiétant, sa cohorte de gastéropodes anthropoïdes et ses visions grotesques de la production industrielle de notre temps. Lexposition qui a eu lieu au musée du Montparnasse a permis de découvrir lunivers grinçante et irrévérencieux de ce dessinateur désormais célèbre. Ce livre a de particulier davoir été le lieu dune symbiose étonnante entre lécrivain et lartiste : lun ne fait quapprofondir le monde délirant de lautre au cours dun voyage au bout de labsurde. Le Très Grand Véda, Claude Mollard/Tomi Ungerer, Gallimard. Laventure artistique de Cy Twombly est une des plus fascinantes de la seconde moitié du siècle précédent. Sa relation singulière avec les formes décriture sauvages ou iconoclastes, en particulier le graffiti, instaure dans sa peinture un champ de contradictions qui bouleverse du tout au tout les fondements de la création picturale. Le catalogue de lexposition de dessins présentée au Centre Georges Pompidou témoigne de la richesse de cette expérience des limites du langage graphique. Jusquà la fin des années 80, la recherche inquiète de Cy Twombly repose sur la tension extrême entre une forme de peinture qui se défait et des écritures qui envahissent son espace et lanamorphosent radicalement. Avec le recul, celle-ci na pas pris une ride et demeure déconcertante et la source dinterrogations sur la relation intime et conflictuelle du peintre avec le langage écrit. Cy Twombly, cinquante années de dessins, Centre Georges Pompidou/Gallimard. Né à Amsterdam après la Grande Guerre, Constant Nieruwenhuijs étudie à lAcadémie des beaux-arts au début de la guerre suivante. Il fait un voyage à Paris en 1946 et y fait une rencontre déterminante : celle dAsger Jorn. A la fin des années quarante, il sest déjà forgé un univers composé danimaux fantastiques qui le met en relation avec le groupe Cobra. Son histoire épouse alors celle de ce mouvement nordique et ensuite avec la fondation du Mouvement pour un Bauhaus imaginiste, puis avec celle de lInternationale Situationniste. Mais il sen exclue et change les perspectives de son uvre. Son uvre gravée prouve à quel point Constant a tenu à être libre de toute influence et de toute contrainte, nhésitant pas à conjuguer abstraction et figuration, et payant son tribut à lexpressionnisme flamand qui a eu de superbes développements aux Pays-Bas. Constant graveur, Philippe Dagen, Editions Cercle dArt. Philippe Forest a réalisé une très honnête étude sur Raymond Hains sans doute un peu boursouflée quand on contemple lensemble de luvre de celui-ci, qui sest affirmé avec laffichisme sous la férule de Pierre Restany. Hains est un homme sympathique, intelligent et inventif. Mais depuis les temps lointains des palissades, on reste un peu coi devant ses petites mises en scène mi-surréalistes mi-conceptuelles. Raymond Hains un roman, Philippe Forest, « Arts et Artistes », Gallimard. Lessai de Maurice Fréchuret intitulé Le Mou et ses formes commence par une longue digression sur les ready-mades de Marcel Duchamp qui nutilisent pas des éléments en métal, comme les Trois stoppages étalons, le Pliant de voyage et Prière de toucher. Cette première partie du livre a un aspect quasi théologique qui en fait une uvre dexégèse qui fait de Duchamp le père fondateur de lÉglise de lart moderne. La seconde partie est beaucoup plus passionnante puisquelle analyse les créations qui utilisent des matériaux non conventionnels. De Beuys à Manzoni, de Claes Oldenburg à Supports/Surfaces, elle constitue une bonne introduction aux problématiques de lart moderne qui ont nié les principes mêmes de la sculpture. Le Mou et ses formes, Maurice Fréchuret, Éditions Jacqueline Chambon. On le sait, depuis déjà pas mal dannées Michel Nuridsany a exploré les pays dAsie, en particulier la Corée du Sud et la Chine. De la connaissance de ce dernier pays, il a pu produire cet Art contemporain chinois qui est constitué dun choix de trente créateurs représentatifs dune nouvelles culture. On est loin des pitoyables simulacres de peintures traditionnels quon trouvait dans la revue officielle Littérature chinoise pendant la Révolution culturelle. Laspect positif de louvrage est que nous découvrons des propositions plastiques qui nont rien à envier à lOccident (et qui se révèlent parfois même un peu plus originales), avec, en plus, un caractère « local » pour reprendre la terminologie de William Carlos Williams et une critique acerbe et directe (ce qui est courageux) du système communiste. Laspect négatif est quon a ici la confirmation de la « globalisation « de lart dans notre monde. Ce que jai vu à Prague, à Bratislava ou à Budapest au début des années 90, on le retrouve ici : une sorte dhomologation généralisée avec des formes de langage qui sont interchangeables si lon fait exception de détails exotiques ou événementiels. Cest inquiétant. En tout cas, si vous désirez découvrir les nouveaux artistes de la Chine moderne, cet ouvrage est incontournable. LArt contemporain chinois, Michel Nuridsany, Flammarion. Qui aurait jamais pensé que Paul Facchetti allait créer une des galeries les plus importantes de laprès guerre à Paris. Sa passion, cétait la photographie et ses premières manifestations sont consacrées à cet art. Ce nest que peu à peu que la peinture envahit son univers. Et la galerie Facchetti, au gré de ses divers déplacements dans la capitale, montre les uvres de Pollock, de Mathieu, de Degottex, de Fautrier, dAeschbacher, de Bryen, de Wols, de Michaux, dAppel, de Dubuffet et de tant de créateurs qui, dun côté ou de lautre de lAtlantique, transformaient lesprit de lart de la seconde moitié du XXe siècle. Cest Georges Mathieu qui la introduit à lart informel auquel il va longtemps rester fidèle, sans aucun esprit de chapelle. Un esprit qui a permis de faire de sa galerie lun des hauts lieux de la modernité pendant les années cinquante et soixante. Paul Fachetti, le Studio, Frédérique Villemur & Brigitte Pietrzak, Actes Sud. La France est sans aucun doute le pays où il y a la plus grande inflation de monographie dartistes contemporains. Celle de Marc Desgranchamps en est la preuve manifeste. Le travail de ce dernier mérite-t-il un ouvrage aussi considérable. Nest-il pas un peu trop tôt ? Lavenir devrait nous apporter des grandes et sérieuses études sur des créateurs avant quil ne fassent quoi que ce soit. Ainsi personne ne sera déçu
Marc Desgrandchamps, Flammarion. La Très Grande Bibliothèque a sans aucun doute faussé limage quon peut avoir de Dominique Perrault. Lapparition spectaculaire de ce jeune architecte chargé du plus important projet parisien du second mandat de François Mitterrand a fait de lui une comète dans le ciel médiatique. Quil soit aussi un artiste est alors passé inaperçu. Lexcellente monographie de Gilles de Bure montre qui a été ce jeune architecte qui, de projet en projet, a affirmé avec audace sa double appartenance, nhésitant pas à présenter le pont Charles de Gaulle comme lentrecroisement de deux extenseurs ou à penser lInstitut français de mécanique appliquée comme un assemblage à dominante métallique. Par la suite, il conserve cet état desprit, mais lapplique dans une autre perspective comme le prouve le vélodrome et la piscine olympique de Berlin (1992), qui consiste en deux bâtiments géométriques simples (un cercle et un carré) alors que laménagement se révèle une complexe texture de verre et dacier. Perrault se passionne pour les nouvelles techniques et les nouveaux matériaux et il manifeste une incroyable dextérité (et aussi une grand inventivité) dans lusage de mailles métalliques, comme il la fait pour les Archives départementales de la Mayenne. Il conserve aussi une insolente volonté de rupture avec le passé avec des projets téméraires comme celui de la Fondation Pinault sur lîle Séguin ou lopéra de Saint-Pétersbourg, qui tranche violemment avec larchitecture de la ville. A titre personnel, je ne sais pas si je lui pardonnerai la nouvelle Bibliothèque nationale, qui est un désastre à bien des points de vue. Mais je tiens à louer le travail de Gilles de Bure, qui sait faire valoir le meilleur de la démarche dun architecte très doué et encore marqué par lesprit maléfique du modernisme, avec lequel il joue et, parfois, dépasse. Dominique Perrault, Gilles de Bure, Terrail/Vilo. Henri Michaux et ses purgatoires artificiels Quand on prend connaissance de ce troisième et dernier tome des uvres de Michaux, on saperçoit en fin de compte que la poésie (du moins dans le sens convenu du terme) passe au second plan. Non quil tourne le dos à la poésie, mais il entend lenvisager différemment. Dans la version inédite dEmergences-Résurgences, il indique : « Javais pris quelques années, lépoque aussi avait pris quelques années. Les reproductions didéogrammes, pictogrammes et graphies de langues étrangères étaient venues en beaucoup de mains, si bien que ce qui vingt ans plus tôt avait paru dépourvu de raison dêtre, était regardé maintenant dun autre il, éclairé par des comparaisons. Valeur du signe renouvelée. » Et il se passionne pour ces écritures quil peint et quil expose à partir de 1957 à la galerie Daniel Cordier puis, quand ce dernier ferme, dans dautres lieux comme Le Point Cardinal où, lycéen, je le découvris pour la première fois. Il illustre parfois ses textes de dessins à la plume, comme Emergences-Résurgences (1972) ou Par la voie des rythmes (1974). Parallèlement, Michaux explore les univers que lui ouvrent les substances hallucinogènes. Comme lavait fait Ernst Jünger avant lui, il tâte de toutes les drogues possibles pour en éprouver les effets. Ces expériences, il les consigne dans linestimable Connaissance par les gouffres (1961-1967). Et il va jusquà tourner un film, images du monde visionnaire, où il tente de reproduire à cru les effets de la psilocybine, de la mescaline ou du cannabis. Enfin, il reprend une vieille tradition des lettrés, de Jean Paul à Kafka, qui consiste à consigner ses rêves. Il fait plus que ça : il sefforce de saisir, dans leur fugacité, des genres différents de rêves, sans élargir la définition. Façons dendormi, façons déveillé est un véritable voyage de géographe dans des territoires encore mal connus. En sorte quil quitte les sentiers ordinaires de la création poétique pour aller là où le langage existe toujours au pluriel et sous des formes imprévues et aléatoires. uvres complètes III, Henri Michaux, édition de Raymond Bellour avec Ysé Tran et la collaboration de Mireille Cardot, La Pleïade, Gallimard. Façons dendormi, façons déveillé, « LImaginaire » Gallimard. Gérard-Georges Lemaire © visuelimage.com - reproduction autorisée pour usage strictement privé - |
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