Chroniques des lettres Chroniques de lan VII (1) par Gérard-Georges Lemaire Passé composé | La Peinture romaine, Ida Baldassarre, Angela Pontrandolfo, Agnès Rouveret, Monica Savadori, Actes Sud. | Louvrage sur la peinture romaine à peine réédité pose un vrai problème: comment peut-on parler justement de peinture romaine alors quil nen a subsisté aucune trace? Les auteurs en font part au lecteur, mais nhésitent pas à intituler leur ouvrage de cette manière. Or les fresques retrouvées, en particulier les plus connues dentre elles, retrouvées à Pompéi et à Herculanum, appartiennent au registre des arts décoratifs. Cette peinture nous la connaissons par les textes (par exemple : Pline lAncien, Philostrate), mais nous ne pouvons que limaginer. Cela étant dit, cet ouvrage est une bonne propédeutique à lart de lantiquité latine et permet davoir une idée précise de lesthétique vernaculaire des Romains. | 100 Chefs-Duvre de la peinture, Michel Nuridsany, Flammarion. | Avec les 100 chefs-duvre de la peinture, Michel Nuridsany invite le néophyte à découvrir de quelle façon il peut entrer dans un tableau et, plus généralement, dans une uvre picturale puisque son parcours commence avec le commencement: les grottes de Lascaux. Cest dailleurs un parcours divertissant et hautement symbolique puisquil se termine avec un papier marouflé de Jean-Michel Basquiat (Pegasus) qui prolonge ses travaux sur les murs de New York des cavernes préhistoriques où elle prend naissance, la peinture va finir dans la " jungle asphaltée " ! En tout cas, Nuridsany a un faible pour la peinture américaine : après Léger et Matisse, il ny en a plus que pour les pop artistes. Cest un choix discutable. Mais peu importe : cest un livre efficace et cest tout ce qui compte. | Arts et peuples de lAfrique noire, Jacqueline Delange, préface de Michel Leiris, Folio " essais" n° 470 | Dans la préface quil a écrite en 1967 pour louvrage sur la sculpture africaine de Jacqueline Delange, Michel Leiris a déclaré : " Sefforçant de dégager les caractères spécifiques de chaque style de sculpture, [elle] sest gardée de tenter une classification générale. " Et cest bien là ce qui fait toute la valeur de ce livre passionnant : lauteur ne cherche jamais à enfermer les uvres des différents peuples (des Burkinabés aux Peuls, en passant par les Dogons) quelle évoque ici dans ces systèmes clos, mais cherche plutôt à comprendre ce qui est révèle loriginalité par rapport à la culture des uns et des autres. En sorte quelle nous invite à un voyage dans la manifestation de formes qui sont profondément enracinées dans une histoire particulière. Cest sans doute lune des plus belles introduction aux arts de lAfrique, qui nont rien de " premiers". Et elle a écrit ces pages avec une belle plume qui transforme son expérience en une aventure. | La modernité, mon beau souci | La Peinture française et lart nègre, Jean Laude, Klincksieck. | Irremplaçable : limportante étude de Jean Laude sur limpact de lart nègre (il faut appeler un chat un chat, sinon on court le risque de perdre son âme) sur lart français au début du XX e siècle vient dêtre rééditée. Grand spécialiste de lart africain, Jean Laude a conçu une somme qui permet de comprendre dans quels termes les uvres rapportées du continent noir ont pu jouer un rôle dans la révolution esthétique entamée par les tenants du fauvisme et du cubisme. Il étudie le cas de chaque créateur (Vlaminck, Derain, Matisse, Picasso, etc.). Il examine ces relations complexes à la loupe et balaie toute une série de lieux communs. Ce livre fera date, soyons-en sûrs. Quiconque éprouve le désir de comprendre les formes de lavant-garde en France ne saurait sen dispenser. Le seul regret quon puisse avoir serait que lauteur na pas consacré un chapitre pour indiquer que cet engouement sest aussi manifesté dans lart allemand ou dans lart tchèque de la même période: la France na pas eu le privilège de la négritude artistique ! Mais on ne devrait tout de même pas bouder son plaisir ! | Dubuffet, Valérie Da Costa & Fabrice Hergott, Hazan. Giacometti, Angel Gonzales-Garcia, Hazan. Rauschenberg, Sam Hunter, Hazan. Tapiès, Youssef Ishaghpour, Hazan. | Les éditions Hazan viennent de faire paraître une nouvelle collection dont les volumes associent une copieuse monographie, un choix de textes de lartiste ainsi que quelques entretiens, le tout accompagné dune abondante iconographie. Ils sont très réussis et permettent davoir une vision synthétique de chaque artiste. Parmi les premiers titres on découvre un Jean Dubuffet par Valérie Da Costa et Fabrice Hergott, un remarquable Alberto Giacometti présenté par Angel Gonzalez-Garcia (il contient la faneuse lettre que lartiste a adressé à son marchand, Pierre Matisse en 1948 pour lui présenter lensemble des uvres quil a réservées pour lui), Robert Rauschenberg, présenté avec brio par Sam Hunter (on y trouve un remarquable entretien avec Richard Kostelanetz), un Antoni Tapiès introduit par Youssef Ishaghpour (qui présente une sélection importante décrits du peintre catalan). Cette collection sannonce déjà comme une importante contribution à lart moderne. | Le Monde du surréalisme, Gérard de Cortanze, Editions Complexe. LAtelier intime, Gérard de Cortanze, Editions du Rocher. | Gérard de Cortanze vient de faire rééditer son très nécessaire dictionnaire du surréalisme. Sans doute ny trouve-t-on pas les illustrations qui accompagnèrent lédition que javais présentée dans la collection " Les Plumes du temps " chez Henri Veyrier. Mais il a corrigé et complété ses notices qui permettent de se retrouver dans cette impressionnante galaxie littéraire et artistique qui a pris une dimension internationale. Lauteur a pris soin de faire une série de renvois qui rendent son ouvrage dune consultation rapide et donc efficace. Quiconque voudra connaître un aspect ou un autre de ce mouvement ne pourra sen passer. Les lecteurs de ses romans ignorent peut-être que Cortanze a eu des relations étroites avec des artistes de notre temps. Dans LAtelier intime, il raconte des visites quil a pu faire dans le microcosme de créateurs tels que Garouste, Louise Bourgeois ou Hélène Delprat. Ces incursions dans les ateliers sont dautant plus précieuses quaujourdhui on ne sintéresse plus guère à la vie caractéristique des peintres, le dernier à lavoir fait avec beaucoup de talent étant Pierre Descargues dans ses mémoire. Quand il parle dAntonio Saura, quil a bien connu et sur lequel il a écrit de beaux textes, de Soulages ou de Hains, Jaccard ou Buraglio, il raconte lhistoire de lieux qui reflètent lhistoire dune uvre. Et cela vaut tout la littérature théorique qui est fournie par tombereau. | Picasso/Bergruen, Flammarion/RMN | Heinz Berggruen fut le marchand de Pablo Picasso après la dernière guerre. Une exposition et un livre lui rendent hommage. Cest surtout à travers sa collection personnelle quon comprend que le galeriste ne sest pas contenté de monnayer les uvres que lartiste lui confiait. Elle comprend des peintures et des dessins de toutes les périodes: on y trouve le Portrait de Jaime Sabartès de la période bleue (1904), la Tête de jeune homme (1906) qui annonce la période cubiste, des études superbes (sanguine et encre noire ou encre marron et gouache) qui illustrent cette quête révolutionnaire, des compositions exemplaires comme le Violon (1912), des toiles de lépoque où Picasso dépasse les termes du cubisme à la fin des années 10, des dessins néoclassiques, des courses de taureaux (1921-1923), le Minotaure et femme de 1937 en noir et blanc, des portraits de femmes des années trente et quarante, en somme une véritable anthologie que cet amateur a su composer avec goût, amour et discernement. Cette publication contient aussi de nombreux documents, dont une correspondance nourrie et de précieuses photographies. Cest une pièce importante à ajouter à linsondable bibliographie consacrée à lauteur de Guernica. | Art brut, linstinct créateur, Laurent Danchin, "Découvertes", Gallimard. | Lart brut, ainsi que la défini Jean Dubuffet continue à poser un véritable problème théorique. Peut-être échappe-t-il au champ spécifique de lart, peut-être en constitue-t-il la périphérie, ou tout simplement la caricature. Quoi quil en soit, le petit livre de Laurent Danchin constitue une parfaite introduction à cette problématique et aux expressions majeures de cette forme dactivité artistique propre aux fols et aux simples desprit avant quelle ne soit accaparée par dhabiles faiseurs. A cette exposition très complète et très concise sajoutent des documents pertinents. | José de Guimararães, Pierre Restany, " Les irréguliers ", Éditions de la Différence. | La Différence vient de publier une monographie que le regretté Pierre Restany a consacré à lartiste portugais José de Guimarães Ce dernier a voulu associer dans ses créations différents modes dexpression, parfois contradictoires, de lart africain aux arts amérindiens, de labstractions géométrique à lart brut. Cela donne une oeuvre un peu décousue avec des moments éclatants. Et on lira avec beaucoup dintérêt lessai de Restany qui a montré du talent en toutes circonstances. | La revue Aera Ciel et eau, Christine Jean, Pierre Descargues, Christine Buci-Glucksman, Area. Area n°12. 50 rue dHauteville, Paris 10. | A loccasion de lexposition de Christine Jean à la Réserve, les éditions Area ont publié une belle monographie. Cette jeune artiste sest intéressée à la baie de Somme et aux jeux changeants de leau, de la terre et du ciel. Elle transpose sur la toile ces métamorphoses incessantes de la côte quelle envisage comme une métaphore de sa pensée plastique. Cet ouvrage est présenté par Pierre Descargues et est accompagné dun dialogue très tonique entre Christine Jean et Christine Buci-Glucksman. | N.d.t.. | La Lumière qui séteint, Rudyard Kipling, traduit par P. Coustillas, " LImaginaire", Gallimard. | La Lumière qui séteint, paru en 1891, nous présente un visage mal connu de Rudyard Kipling. En effet, ce roman ne nous entraîne dans les Indes fabuleuses tombées dans lescarcelle de la reine Victoria. Laction commence au Soudan où le héros, Dick, est blessé au cours dune escarmouche avec des rebelles. Mais lAfrique, son mystère et ses dangers ne sont ici que le préambule dune intrigue qui se déroule pour lessentiel à Londres et, accessoirement en France, dans la région parisienne. Le sujet ? La peinture, lamour de la peinture et lamour entre des peintres. Dick est très liée avec une jeune artiste, Maisie, qui partage son atelier avec une jeune collègue rousse. Il cultive aussi une amitié profonde pour Gilbert B. Torpenhow. Dick donne des conseils à Maisie qui enrage de ne pas réussir. Il veut être son mentor, mais bientôt il se rend compte quil est amoureux delle. Les discussions âpres sur lart se mêlent alors à un dialogue sentimental. Bien des quiproquos sinstallent et Dick finit par lancer un défi à la jeune fille : peindre une mélancolie. Il ne lui dit pas quil va peindre le même sujet. Il trouve par lintermédiaire de son ami un modèle, Bessie, dorigine plébéienne. Après bien des difficultés il exécute cette composition et pense quelle est sa plus belle réalisation. Mais il apprend quil va devenir aveugle. Quand Maisie revient le voir, il léloigne et lui offre le tableau. Ce nest que plus tard quil apprend que Bessie lavait effacé avec de la térébenthine
Le penchant au mélodrame de Kipling est compensé par lidée de cet étrange et tragique duel sur le thème de la mélancolie. Dommage que la traduction présente autant de lacunes graves (par exemple, studio, en anglais, signifie atelier). | Le Poète mourant, Ernst Pawel, tr. Ph. Bonnet & A. Greenspan, "Le Cabinet de lecture", Aie de lauteur du Pavillon dorctes Sud. Jours heureux dans les années noires, Ernst Pawel, tr A. Giraud, Flammarion. | Ernst Pawel a eu la superbe idée dévoquer le séjour parisien de Henrich Heine. Le poète a rencontré en 1834 une jeune plébéienne, Crescence Eugénie Mirat quil va épouser après quelques années de concubinage. Dans sa poésie, elle se taille une place de choix sous le doux prénom de Mathilde. Pendant les huit dernières années de lexistence de lauteur du Romancero, années marquées par une étrange et terrible maladie qui le tourmente et le ronge avec ses symptômes changeants et invalidants. La fin de Heine a été une longue agonie, ponctuée par les relations difficiles avec son éditeur et le peu de succès de ses proses, en particulier de Lutèce, qui relate la vie culturelle à Paris. On le voit dans ses pages en compagnie Balzac, de Gautier et de Nerval, quil a aidé financièrement quand il a fallu lhospitaliser. Le portrait que fait de lui Pawell est passionnant : avec lui, on a limpression que Heine est quasiment notre contemporain. Et pourtant, le XIX e siècle français est dépeint avec pré- citions, dans tous ses aspects. En somme, une belle réussite. En outre, les mémoires de Pawel viennent de paraître chez Flammarion. Il y évoque sa jeunesse à Berlin dans une famille juive, son départ pour Belgrade en 1933 quand Hitler accède au pouvoir et, enfin, son exil aux États-Unis. Lauteur raconte son départ en Afrique du Nord, où il est affecté à linterrogatoire des prisonniers des troupes de Rommel. Voilà un livre passionnant qui se lit dans un seul souffle et avec passion. Pawell reste un grand témoin de son époque. | Mishima, modernité, rite et mort, Henri-Alexis Baatsch, " Les Infréquentables", Éditions du Rocher. | Henri-Alexis Baatch a voulu nous communiquer sa pensée sur la figure énigmatique et souvent discutée de Yuko Mishima. Au lieu de se lancer dans une longue et fastidieuse biographie, il a voulu faire uvre de peintre : cest un portrait très personnel quil a brossé. Mais cest aussi une lecture très épurée de ses principaux livres. En sorte que ce livre est une magnifique introduction à cet écrivain si atypique et un travail saisissant de Baatch qui a su croquer son modèle avec beaucoup de vérité. | Je pense souvent à Louis-Ferdinand Céline, Sture Dahlström, tr. M. Desbureaux, Éditions du Rocher. | Lidée est amusante : le héros de ce roman de Sture Dahlström, quon nous présente comme lenfant terrible de la littérature suédoise, disparu en 2001, un anti-héros, musicien et séducteur à la petite semaine, qui aime Hemingway et Faulkner, découvre que Céline sest réfugié au Danemark pour échapper au mauvais sort quon lui a réservé en France. Il décide de le rencontrer et de le faire entrer en Suède caché dans sa contrebasse. Toutes sortes de situations cocasses naissent de cette aventure rocambolesque quand il quitte la ville de Spjut pour partir avec son instrument et son nouvel habitant. Mais on en reste au stade de la pochade et les autres nouvelles incluses dans ce volume démontrent que cet écrivain anticonformiste savait manier lironie et la dérision mais quil avait le souffle un peu court. | En français dans le texte Lettres à Madeleine, Guillaume Apollinaire, Folio. | La rééditions dune partie de la correspondance de Guillaume Apollinaire, les nombreuses lettres adressées à Madeleine Pagès, quil a rencontrée par hasard dans un train au début de 1915, révèlent son sentiment à légard de lex-périnsse de la guerre. Lérotisme se mêle chez lui à une esthétisant de la bataille. Lécrivain écrit à la jeune femme jusquen novembre 1916, juste après quil soit sorti de lhôpital du Val-de-Grâce. | Marguerite Duras, Jean Vallier, " Passion", Textuel. | Les éditions Textuel viennent de publier un imposant album consacré à Marguerite Duras dans la collection " Passion " sous la direction de Jean Vallier. La vie de lécrivain est ici racontée essentiellement par limage, de lIndochine où elle passe sa jeunesse jusquà son adhésion au PCF en 1945, la fondation des éditions de la Cité Universelle et laventure du Nouveau Roman au cours des années 50. Cest très bien fait et particulièrement instructif. Au fond, on ressort de la lecture de cet ouvrage avec une idée renouvelée de lauteur de Moderato Cantabile et dIndia Song. Cest là lessentiel | Poésie 1, OEuvres IV, Michel Butor, Éditions de la Différence. Répertoire 1, uvres II, Michel Butor, Éditions de la Différence. Répertoire 2, OEuvres III, Michel Butor, Éditions de la Différence. Michel Butor, Marie Minsseux-Chamonard, Culturesfrance. | Il faut se demander pour quelle raison Michel Butor a abandonné brusquement lart romanesque et a privilégié la poésie. Le premier tome de son uvre poétique met en relief son caractère pléthorique. Sans doute faut-il corriger cette impression de trop-plein en admettant que ce que Butor appelle poésie excède largement les lois du genre ce sont souvent des proses très libres. Ensuite, un bon nombre de ces textes réunis dans ses Illustrations sont des commentaires sur des uvres artistiques Calder, Jírí Kolar, Cremonini, Peverelli, et tant dautres des répons à dautres poètes, des digressions à partir de propositions photographiques. Et, plus généralement, ils sont conçus comme un gigantesque laboratoire décriture où Butor explore des territoires inconnus. Quant aux Répertoires, dont paraissent aujourdhui deux tomes énormes, ils répondent à la même boulimie intellectuelle. Mais Butor se révèle un érudit avisé et surprenant, et aussi un homme qui adopte des points de vue vraiment déconcertants et par conséquent dune richesse sans fond. Quil parle de Stendhal, de Montaigne, de Kierkegaard ou de Victor Hugo, il est toujours déroutant et capable de jeter un nouvel éclairage sur une uvre ou une posture. Ses Répertoires sont un véritable laboratoire de pensée sur le fait littéraire. Pour découvrir les prémisses et les grandes orientations de luvre de Butor, M. Minssieux-Chamonard a écrit une étude très claire et très pertinente avec de nombreux documents qui constituent une excellente mise en bouche. | Vert Paradis, Max Rouquette, Anatolia Éditions du Rocher. | Samuel Brussels est un éditeur surprenant. Il a fait de sa petite maison dédition une précieuse bibliothèque pour grands amateurs de littérature. Son cosmopolitisme est réjouissant quand on observe légotisme qui règne à Paris. Jai donc été surpris quand jai ouvert le livre traduit de loccitan de Max Rouquette, Vert paradis. Il avait déjà publié plusieurs ouvrage du même auteur, disparu en 2003. Cela mavait échappé. Nous voilà dans la pure ligne de Raboliot, dans du Giono sacralisant la terre et dans toute la mythologie de la grande culture campagnarde qui revient cette fois sous une forme " politiquement correcte". Ce livre est une sorte de grand répertoire des beautés de notre Midi (cévenol et camarguais), presque un musée avec emphase et lyrisme et une pointe de mysticisme. A mesure que je lisais, jétais envahi par une sorte dangoisse : derrière le ton bonhomme hérité des Lettres de mon moulin se cache une sacralisation de ce coin dOccitanie qui ne semble pas avoir changé depuis mille ans : on ny voit que des peupliers, des oiseaux, de vieilles gens et des ânes. Très vite cette atmosphère de veillée une fois que le chant des cigales sest tu ma indisposé. Van Gogh, lui, quand il a peint les environs dArles na pas oublié den représenter les premiers signes dindustrialisation
| Tu me fais mal avec ton coude, Stéphan Lévy-Kuentz, Éditions du Rocher. | Un titre frappant (Tu me fais mal avec ton coude) et une couverture amusante (une secrétaire délurée les jambes croisée de manière provocante) : la fiction de Stéphan Lévy-Kuentz ne peut quaiguiser la curiosité. Elle relate lhistoire de lépouse dun homme dont on ne sait presque rien sinon quil professe un fascisme virulent. Cette Ida Karloff observe cette femme qui vit avec cet individu tout à fait normal (cest dailleurs la raison de sa névrose profonde) et, à travers ce regard indiscret, elle observe ce couple et donc cette relation bizarre doù émerge peu à peu une nouvelle idée de la féminité. Cest un livre original et dérangeant qui fait remonter à la surface ce microcosme très trouble qui reflète et peut-être même anticipe le macrocosme politique dune monde qui essaye doublier ses vieux démons tout en en créant de nouveaux. | La Scène primitive, Charles Dobzynski, "Clepsydre", La Différence. Les Jours, Serge Delaive, "Clepsydre", La Différence. Les Paludiques, Mourad Djebel, "Clepsydre", La Différence. Figure rose, Emmanuel Moses, " Poésie", Flammarion. | La poésie dexpression française ? Elle se porte bien, merci. Sans doute éprouve-t-elle un peu de difficultés à trouver sa place entre la philosophie et une forme cachée de religion. Et elle sinterroge sans cesse sur elle, devenant toujours plus son propre sujet. Cest ce quon constate chez Charles Dobzinski : " Je ne sens rien crever de moi dans votre écriture/Je suis la page blanche et lencre reste en vous. " Daucuns comme Serge Delaive ne peuvent que constater sa décadence : " Désolé les amis mais elle est morte/la poésie depuis des lustres ". Cet auteur se gorge de nostalgie et se réfugie dans sa tour divoire : " Je menterre dans le poème/Je fuis les éditeurs
" Jamais on a été aussi prolixe sur la fin dun genre qui ne sest jamais aussi bien porté dans lédition ! Beaucoup plus baroque, associant le rêve et la vision de paysages intérieurs, Mourad Djebel, dans Les Paludiques, représente lécriture poétique comme une belle et tragique illusion : " Jai tra-vesti laphonie/En promesse de berceuses/ La mémoire en germoir/Lencre en alcool
" Bref, la mythologie du poétique remplace chez la majeure partie de nos écrivains la poésie proprement dite. Au milieu de toutes ces voix, celle dEmmanuel Moses a-t-elle quelque chose de neuf à faire entendre ? Il associe des métaphores extrême-orientale (sans parodie les maître chinois ou japonais, Dieu soit loué) et lesprit des fables (il en imite le ton et le caractère narratif). Le plus souvent il part dun incident que la vie quotidienne lui propose et il le narre à sa manière. Cest parfois émouvant et parfois intense. Cest une voix. | Bourlinguer Sicile, Dominique Fernandez, Ferrante Ferranti, Imprimerie nationale. | On se dispenserait parfois de la prose lyrique de Dominique Fernandez qui nous assène par exemple des phrases de ce genre : " Deux mille huit cents ans de beauté ininterrompue, de dures épreuves, de souffrances de catastrophes constituent un réservoir inépuisable démotions, de transes, dextases constamment renouvelées." Au-delà de ce kitsch stylistique si cher à lauteur, il faut reconnaître que cet album dédié à la Sicile est magnifiquement réalisé. Les photographies de Ferrante Ferranti nous font découvrir toutes les beautés de la Sicile arabo-normande ou de la Sicile baroque. Il y aurait eu bien sûr une manière plus subtile et plus profonde de représenter Palerme : je regrette par exemple que les architecture de Basile soit totalement absentes de cet ouvrage. Quoi quil en soit, il ne faut pas bouder son plaisir et partir à la découverte de cette grande île avec jubilation. | Paris dans la littérature française après 1945, Marie-Claire, Bancquart, " Les Essais", Éditions de la Différence. | Marie-Claire Bancquart a écrit une très belle étude sur le Paris de laprès guerre. Le Paris quelle révèle est celui de Jacques Roubaud et de Jacques Réda, de Michel Butor et Claude Simon, de Jacques Prévert et dHenri Calet. Nous sommes bien sûr dans un bien autre univers de celui des promenades de Breton, de Louis Aragon et de Philippe Soupault. Mais son travail permet de comprendre comment limage de Paris sest transformée dans la littérature à mesure quelle de transformait dans sa réalité urbaine. Voilà un livre qui mérite quon sy arrête. | Marseille linsolite, M.F.K. Fisher, tr. Béatrice Vierne, Anatolia/Éditions du Rocher. | Marseille, sous la plume de M.F.K. Fisher prend un relief et une saveur très particulière. Ce nest pas un guide que lécrivain américain nous propose, mais une vision de lintérieur, en somme, son expérience propre de cette ville quil a connu à différents moments de sa vie depuis lannée 1929. Il tente de mettre en relief ce que la rend unique, inestimable, si singulière au-delà des apparences et surtout des clichés et des préjugés qui pèsent sur elle depuis si longtemps. Ce livre est une sorte de roman consacrée à ce grand port de la Méditerranée dont on ressort avec limpression de la connaître sous le bout des doigts, comme si on y avait vécu de très longues années
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