Chroniques des lettres

Chroniques de l’an VII (1)
par Gérard-Georges Lemaire

Passé composé
La Peinture romaine,
Ida Baldassarre, Angela Pontrandolfo,
Agnès Rouveret, Monica Savadori,
Actes Sud.
L’ouvrage sur la peinture romaine à peine réédité pose un vrai problème: comment peut-on parler justement de peinture romaine alors qu’il n’en a subsisté aucune trace? Les auteurs en font part au lecteur, mais n’hésitent pas à intituler leur ouvrage de cette manière. Or les fresques retrouvées, en particulier les plus connues d’entre elles, retrouvées à Pompéi et à Herculanum, appartiennent au registre des arts décoratifs. Cette peinture nous la connaissons par les textes (par exemple : Pline l’Ancien, Philostrate), mais nous ne pouvons que l’imaginer. Cela étant dit, cet ouvrage est une bonne propédeutique à l’art de l’antiquité latine et permet d’avoir une idée précise de l’esthétique vernaculaire des Romains.
100 Chefs-D’œuvre de la peinture,
Michel Nuridsany,
Flammarion.


Avec les 100 chefs-d’œuvre de la peinture, Michel Nuridsany invite le néophyte à découvrir de quelle façon il peut entrer dans un tableau et, plus généralement, dans une œuvre picturale puisque son parcours commence avec le commencement: les grottes de Lascaux. C’est d’ailleurs un parcours divertissant et hautement symbolique puisqu’il se termine avec un papier marouflé de Jean-Michel Basquiat (Pegasus) qui prolonge ses travaux sur les murs de New York – des cavernes préhistoriques où elle prend naissance, la peinture va finir dans la " jungle asphaltée " ! En tout cas, Nuridsany a un faible pour la peinture américaine : après Léger et Matisse, il n’y en a plus que pour les pop artistes. C’est un choix discutable. Mais peu importe : c’est un livre efficace et c’est tout ce qui compte.
Arts et peuples de l’Afrique noire,
Jacqueline Delange, préface de Michel
Leiris, Folio " essais" n° 470


Dans la préface qu’il a écrite en 1967 pour l’ouvrage sur la sculpture africaine de Jacqueline Delange, Michel Leiris a déclaré : " S’efforçant de dégager les caractères spécifiques de chaque style de sculpture, [elle] s’est gardée de tenter une classification générale. " Et c’est bien là ce qui fait toute la valeur de ce livre passionnant : l’auteur ne cherche jamais à enfermer les œuvres des différents peuples (des Burkinabés aux Peuls, en passant par les Dogons) qu’elle évoque ici dans ces systèmes clos, mais cherche plutôt à comprendre ce qui est révèle l’originalité par rapport à la culture des uns et des autres. En sorte qu’elle nous invite à un voyage dans la manifestation de formes qui sont profondément enracinées dans une histoire particulière. C’est sans doute l’une des plus belles introduction aux arts de l’Afrique, qui n’ont rien de " premiers". Et elle a écrit ces pages avec une belle plume qui transforme son expérience en une aventure.
La modernité, mon beau souci
La Peinture française et l’art nègre,
Jean Laude,
Klincksieck.


Irremplaçable : l’importante étude de Jean Laude sur l’impact de l’art nègre (il faut appeler un chat un chat, sinon on court le risque de perdre son âme) sur l’art français au début du XX e siècle vient d’être rééditée. Grand spécialiste de l’art africain, Jean Laude a conçu une somme qui permet de comprendre dans quels termes les œuvres rapportées du continent noir ont pu jouer un rôle dans la révolution esthétique entamée par les tenants du fauvisme et du cubisme. Il étudie le cas de chaque créateur (Vlaminck, Derain, Matisse, Picasso, etc.). Il examine ces relations complexes à la loupe et balaie toute une série de lieux communs. Ce livre fera date, soyons-en sûrs. Quiconque éprouve le désir de comprendre les formes de l’avant-garde en France ne saurait s’en dispenser. Le seul regret qu’on puisse avoir serait que l’auteur n’a pas consacré un chapitre pour indiquer que cet engouement s’est aussi manifesté dans l’art allemand ou dans l’art tchèque de la même période: la France n’a pas eu le privilège de la négritude artistique ! Mais on ne devrait tout de même pas bouder son plaisir !
Dubuffet,
Valérie Da Costa & Fabrice Hergott,
Hazan.

Giacometti,
Angel Gonzales-Garcia, Hazan.

Rauschenberg,
Sam Hunter, Hazan.

Tapiès,
Youssef Ishaghpour, Hazan.


Les éditions Hazan viennent de faire paraître une nouvelle collection dont les volumes associent une copieuse monographie, un choix de textes de l’artiste ainsi que quelques entretiens, le tout accompagné d’une abondante iconographie. Ils sont très réussis et permettent d’avoir une vision synthétique de chaque artiste. Parmi les premiers titres on découvre un Jean Dubuffet par Valérie Da Costa et Fabrice Hergott, un remarquable Alberto Giacometti présenté par Angel Gonzalez-Garcia (il contient la faneuse lettre que l’artiste a adressé à son marchand, Pierre Matisse en 1948 pour lui présenter l’ensemble des œuvres qu’il a réservées pour lui),
Robert Rauschenberg, présenté avec brio par Sam Hunter (on y trouve un remarquable entretien avec Richard Kostelanetz), un Antoni Tapiès introduit par Youssef Ishaghpour (qui présente une sélection importante d’écrits du peintre catalan). Cette collection s’annonce déjà comme une importante contribution à l’art moderne.
Le Monde du surréalisme,
Gérard de Cortanze,
Editions Complexe.

L’Atelier intime,
Gérard de Cortanze,
Editions du Rocher.


Gérard de Cortanze vient de faire rééditer son très nécessaire dictionnaire du surréalisme. Sans doute n’y trouve-t-on pas les illustrations qui accompagnèrent l’édition que j’avais présentée dans la collection " Les Plumes du temps " chez Henri Veyrier. Mais il a corrigé et complété ses notices qui permettent de se retrouver dans cette impressionnante galaxie littéraire et artistique qui a pris une dimension internationale. L’auteur a pris soin de faire une série de renvois qui rendent son ouvrage d’une consultation rapide et donc efficace. Quiconque voudra connaître un aspect ou un autre de ce mouvement ne pourra s’en passer. Les lecteurs de ses romans ignorent peut-être que Cortanze a eu des relations étroites avec des artistes de notre temps. Dans L’Atelier intime, il raconte des visites qu’il a pu faire dans le microcosme de créateurs tels que Garouste, Louise Bourgeois ou Hélène Delprat. Ces incursions dans les ateliers sont d’autant plus précieuses qu’aujourd’hui on ne s’intéresse plus guère à la vie caractéristique des peintres, le dernier à l’avoir fait avec beaucoup de talent étant Pierre Descargues dans ses mémoire. Quand il parle d’Antonio Saura, qu’il a bien connu et sur lequel il a écrit de beaux textes, de Soulages ou de Hains, Jaccard ou Buraglio, il raconte l’histoire de lieux qui reflètent l’histoire d’une œuvre. Et cela vaut tout la littérature théorique qui est fournie par tombereau.
Picasso/Bergruen,
Flammarion/RMN


Heinz Berggruen fut le marchand de Pablo Picasso après la dernière guerre. Une exposition et un livre lui rendent hommage. C’est surtout à travers sa collection personnelle qu’on comprend que le galeriste ne s’est pas contenté de monnayer les œuvres que l’artiste lui confiait. Elle comprend des peintures et des dessins de toutes les périodes: on y trouve le Portrait de Jaime Sabartès de la période bleue (1904), la Tête de jeune homme (1906) qui annonce la période cubiste, des études superbes (sanguine et encre noire ou encre marron et gouache) qui illustrent cette quête révolutionnaire, des compositions exemplaires comme le Violon (1912), des toiles de l’époque où Picasso dépasse les termes du cubisme à la fin des années 10, des dessins néoclassiques, des courses de taureaux (1921-1923), le Minotaure et femme de 1937 en noir et blanc, des portraits de femmes des années trente et quarante, en somme une véritable anthologie que cet amateur a su composer avec goût, amour et discernement. Cette publication contient aussi de nombreux documents, dont une correspondance nourrie et de précieuses photographies. C’est une pièce importante à ajouter à l’insondable bibliographie consacrée à l’auteur de Guernica.

Art brut, l’instinct créateur,
Laurent Danchin,
"Découvertes", Gallimard.
L’art brut, ainsi que l’a défini Jean Dubuffet continue à poser un véritable problème théorique. Peut-être échappe-t-il au champ spécifique de l’art, peut-être en constitue-t-il la périphérie, ou tout simplement la caricature. Quoi qu’il en soit, le petit livre de Laurent Danchin constitue une parfaite introduction à cette problématique et aux expressions majeures de cette forme d’activité artistique propre aux fols et aux simples d’esprit – avant qu’elle ne soit accaparée par d’habiles faiseurs. A cette exposition très complète et très concise s’ajoutent des documents pertinents.
José de Guimararães,
Pierre Restany, " Les irréguliers ",
Éditions de la Différence.


La Différence vient de publier une monographie que le regretté Pierre Restany a consacré à l’artiste portugais José de Guimarães Ce dernier a voulu associer dans ses créations différents modes d’expression, parfois contradictoires, de l’art africain aux arts amérindiens, de l’abstractions géométrique à l’art brut. Cela donne une oeuvre un peu décousue avec des moments éclatants. Et on lira avec beaucoup d’intérêt l’essai de Restany qui a montré du talent en toutes circonstances.
La revue Aera Ciel et eau,
Christine Jean, Pierre Descargues,
Christine Buci-Glucksman, Area.
Area n°12. 50 rue d’Hauteville, Paris 10.


A l’occasion de l’exposition de Christine Jean à la Réserve, les éditions Area ont publié une belle monographie. Cette jeune artiste s’est intéressée à la baie de Somme et aux jeux changeants de l’eau, de la terre et du ciel. Elle transpose sur la toile ces métamorphoses incessantes de la côte qu’elle envisage comme une métaphore de sa pensée plastique. Cet ouvrage est présenté par Pierre Descargues et est accompagné d’un dialogue très tonique entre Christine Jean et Christine Buci-Glucksman.
N.d.t..
La Lumière qui s’éteint,
Rudyard Kipling, traduit par P.
Coustillas, " L’Imaginaire", Gallimard.
La Lumière qui s’éteint, paru en 1891, nous présente un visage mal connu de Rudyard Kipling. En effet, ce roman ne nous entraîne dans les Indes fabuleuses tombées dans l’escarcelle de la reine Victoria. L’action commence au Soudan où le héros, Dick, est blessé au cours d’une escarmouche avec des rebelles. Mais l’Afrique, son mystère et ses dangers ne sont ici que le préambule d’une intrigue qui se déroule pour l’essentiel à Londres et, accessoirement en France, dans la région parisienne. Le sujet ? La peinture, l’amour de la peinture et l’amour entre des peintres. Dick est très liée avec une jeune artiste, Maisie, qui partage son atelier avec une jeune collègue rousse. Il cultive aussi une amitié profonde pour Gilbert B. Torpenhow. Dick donne des conseils à Maisie qui enrage de ne pas réussir. Il veut être son mentor, mais bientôt il se rend compte qu’il est amoureux d’elle. Les discussions âpres sur l’art se mêlent alors à un dialogue sentimental. Bien des quiproquos s’installent et Dick finit par lancer un défi à la jeune fille : peindre une mélancolie. Il ne lui dit pas qu’il va peindre le même sujet. Il trouve par l’intermédiaire de son ami un modèle, Bessie, d’origine plébéienne. Après bien des difficultés il exécute cette composition et pense qu’elle est sa plus belle réalisation. Mais il apprend qu’il va devenir aveugle. Quand Maisie revient le voir, il l’éloigne et lui offre le tableau. Ce n’est que plus tard qu’il apprend que Bessie l’avait effacé avec de la térébenthine… Le penchant au mélodrame de Kipling est compensé par l’idée de cet étrange et tragique duel sur le thème de la mélancolie. Dommage que la traduction présente autant de lacunes graves (par exemple, studio, en anglais, signifie atelier).
Le Poète mourant,
Ernst Pawel, tr. Ph. Bonnet &
A. Greenspan, "Le Cabinet de lecture",
Aie de l’auteur du Pavillon d’orctes Sud.

Jours heureux dans les années noires,
Ernst Pawel, tr A. Giraud, Flammarion.


Ernst Pawel a eu la superbe idée d’évoquer le séjour parisien de Henrich Heine. Le poète a rencontré en 1834 une jeune plébéienne, Crescence Eugénie Mirat qu’il va épouser après quelques années de concubinage. Dans sa poésie, elle se taille une place de choix sous le doux prénom de Mathilde. Pendant les huit dernières années de l’existence de l’auteur du Romancero, années marquées par une étrange et terrible maladie qui le tourmente et le ronge avec ses symptômes changeants et invalidants. La fin de Heine a été une longue agonie, ponctuée par les relations difficiles avec son éditeur et le peu de succès de ses proses, en particulier de Lutèce, qui relate la vie culturelle à Paris. On le voit dans ses pages en compagnie Balzac, de Gautier et de Nerval, qu’il a aidé financièrement quand il a fallu l’hospitaliser. Le portrait que fait de lui Pawell est passionnant : avec lui, on a l’impression que Heine est quasiment notre contemporain. Et pourtant, le XIX e siècle français est dépeint avec pré- citions, dans tous ses aspects. En somme, une belle réussite.
En outre, les mémoires de Pawel viennent de paraître chez Flammarion. Il y évoque sa jeunesse à Berlin dans une famille juive, son départ pour Belgrade en 1933 quand Hitler accède au pouvoir et, enfin, son exil aux États-Unis. L’auteur raconte son départ en Afrique du Nord, où il est affecté à l’interrogatoire des prisonniers des troupes de Rommel. Voilà un livre passionnant qui se lit dans un seul souffle et avec passion. Pawell reste un grand témoin de son époque.
Mishima, modernité, rite et mort,
Henri-Alexis Baatsch, " Les
Infréquentables", Éditions du Rocher.


Henri-Alexis Baatch a voulu nous communiquer sa pensée sur la figure énigmatique et souvent discutée de Yuko Mishima. Au lieu de se lancer dans une longue et fastidieuse biographie, il a voulu faire œuvre de peintre : c’est un portrait très personnel qu’il a brossé. Mais c’est aussi une lecture très épurée de ses principaux livres. En sorte que ce livre est une magnifique introduction à cet écrivain si atypique et un travail saisissant de Baatch qui a su croquer son modèle avec beaucoup de vérité.
Je pense souvent à Louis-Ferdinand Céline,
Sture Dahlström, tr. M. Desbureaux,
Éditions du Rocher.


L’idée est amusante : le héros de ce roman de Sture Dahlström, qu’on nous présente comme l’enfant terrible de la littérature suédoise, disparu en 2001, un anti-héros, musicien et séducteur à la petite semaine, qui aime Hemingway et Faulkner, découvre que Céline s’est réfugié au Danemark pour échapper au mauvais sort qu’on lui a réservé en France. Il décide de le rencontrer et de le faire entrer en Suède caché dans sa contrebasse. Toutes sortes de situations cocasses naissent de cette aventure rocambolesque quand il quitte la ville de Spjut pour partir avec son instrument et son nouvel habitant. Mais on en reste au stade de la pochade et les autres nouvelles incluses dans ce volume démontrent que cet écrivain anticonformiste savait manier l’ironie et la dérision mais qu’il avait le souffle un peu court.
En français dans le texte
Lettres à Madeleine,
Guillaume Apollinaire, Folio.


La rééditions d’une partie de la correspondance de Guillaume Apollinaire, les nombreuses lettres adressées à Madeleine Pagès, qu’il a rencontrée par hasard dans un train au début de 1915, révèlent son sentiment à l’égard de l’ex-périnsse de la guerre. L’érotisme se mêle chez lui à une esthétisant de la bataille. L’écrivain écrit à la jeune femme jusqu’en novembre 1916, juste après qu’il soit sorti de l’hôpital du Val-de-Grâce.
Marguerite Duras,
Jean Vallier, " Passion", Textuel.


Les éditions Textuel viennent de publier un imposant album consacré à Marguerite Duras dans la collection " Passion " sous la direction de Jean Vallier. La vie de l’écrivain est ici racontée essentiellement par l’image, de l’Indochine où elle passe sa jeunesse jusqu’à son adhésion au PCF en 1945, la fondation des éditions de la Cité Universelle et l’aventure du Nouveau Roman au cours des années 50. C’est très bien fait et particulièrement instructif. Au fond, on ressort de la lecture de cet ouvrage avec une idée renouvelée de l’auteur de Moderato Cantabile et d’India Song. C’est là l’essentiel
Poésie 1, OEuvres IV,
Michel Butor, Éditions de la Différence.

Répertoire 1, Œuvres II,
Michel Butor, Éditions de la Différence.

Répertoire 2, OEuvres III,
Michel Butor, Éditions de la Différence.

Michel Butor,
Marie Minsseux-Chamonard,
Culturesfrance.


Il faut se demander pour quelle raison Michel Butor a abandonné brusquement l’art romanesque et a privilégié la poésie. Le premier tome de son œuvre poétique met en relief son caractère pléthorique. Sans doute faut-il corriger cette impression de trop-plein en admettant que ce que Butor appelle poésie excède largement les lois du genre – ce sont souvent des proses très libres. Ensuite, un bon nombre de ces textes réunis dans ses Illustrations sont des commentaires sur des œuvres artistiques – Calder, Jírí Kolar, Cremonini, Peverelli, et tant d’autres – des répons à d’autres poètes, des digressions à partir de propositions photographiques. Et, plus généralement, ils sont conçus comme un gigantesque laboratoire d’écriture où Butor explore des territoires inconnus. Quant aux Répertoires, dont paraissent aujourd’hui deux tomes énormes, ils répondent à la même boulimie intellectuelle. Mais Butor se révèle un érudit avisé et surprenant, et aussi un homme qui adopte des points de vue vraiment déconcertants et par conséquent d’une richesse sans fond. Qu’il parle de Stendhal, de Montaigne, de Kierkegaard ou de Victor Hugo, il est toujours déroutant et capable de jeter un nouvel éclairage sur une œuvre ou une posture. Ses Répertoires sont un véritable laboratoire de pensée sur le fait littéraire.
Pour découvrir les prémisses et les grandes orientations de l’œuvre de Butor, M. Minssieux-Chamonard a écrit une étude très claire et très pertinente avec de nombreux documents qui constituent une excellente mise en bouche.

Vert Paradis,
Max Rouquette, Anatolia
Éditions du Rocher.


Samuel Brussels est un éditeur surprenant. Il a fait de sa petite maison d’édition une précieuse bibliothèque pour grands amateurs de littérature. Son cosmopolitisme est réjouissant quand on observe l’égotisme qui règne à Paris. J’ai donc été surpris quand j’ai ouvert le livre traduit de l’occitan de Max Rouquette, Vert paradis. Il avait déjà publié plusieurs ouvrage du même auteur, disparu en 2003. Cela m’avait échappé. Nous voilà dans la pure ligne de Raboliot, dans du Giono sacralisant la terre et dans toute la mythologie de la grande culture campagnarde qui revient cette fois sous une forme " politiquement correcte". Ce livre est une sorte de grand répertoire des beautés de notre Midi (cévenol et camarguais), presque un musée avec emphase et lyrisme et une pointe de mysticisme. A mesure que je lisais, j’étais envahi par une sorte d’angoisse : derrière le ton bonhomme hérité des Lettres de mon moulin se cache une sacralisation de ce coin d’Occitanie qui ne semble pas avoir changé depuis mille ans : on n’y voit que des peupliers, des oiseaux, de vieilles gens et des ânes. Très vite cette atmosphère de veillée une fois que le chant des cigales s’est tu m’a indisposé. Van Gogh, lui, quand il a peint les environs d’Arles n’a pas oublié d’en représenter les premiers signes d’industrialisation…
Tu me fais mal avec ton coude,
Stéphan Lévy-Kuentz,
Éditions du Rocher.


Un titre frappant (Tu me fais mal avec ton coude) et une couverture amusante (une secrétaire délurée les jambes croisée de manière provocante) : la fiction de Stéphan Lévy-Kuentz ne peut qu’aiguiser la curiosité. Elle relate l’histoire de l’épouse d’un homme dont on ne sait presque rien sinon qu’il professe un fascisme virulent. Cette Ida Karloff observe cette femme qui vit avec cet individu tout à fait normal (c’est d’ailleurs la raison de sa névrose profonde) et, à travers ce regard indiscret, elle observe ce couple et donc cette relation bizarre d’où émerge peu à peu une nouvelle idée de la féminité. C’est un livre original et dérangeant qui fait remonter à la surface ce microcosme très trouble qui reflète et peut-être même anticipe le macrocosme politique d’une monde qui essaye d’oublier ses vieux démons tout en en créant de nouveaux.
La Scène primitive,
Charles Dobzynski, "Clepsydre",
La Différence.

Les Jours,
Serge Delaive, "Clepsydre",
La Différence.

Les Paludiques,
Mourad Djebel, "Clepsydre",
La Différence.

Figure rose,
Emmanuel Moses, " Poésie",
Flammarion.


La poésie d’expression française ? Elle se porte bien, merci. Sans doute éprouve-t-elle un peu de difficultés à trouver sa place entre la philosophie et une forme cachée de religion. Et elle s’interroge sans cesse sur elle, devenant toujours plus son propre sujet. C’est ce qu’on constate chez Charles Dobzinski : " Je ne sens rien crever de moi dans votre écriture/Je suis la page blanche et l’encre reste en vous. " D’aucuns comme Serge Delaive ne peuvent que constater sa décadence : " Désolé les amis mais elle est morte/la poésie depuis des lustres ". Cet auteur se gorge de nostalgie et se réfugie dans sa tour d’ivoire : " Je m’enterre dans le poème/Je fuis les éditeurs…" Jamais on a été aussi prolixe sur la fin d’un genre qui ne s’est jamais aussi bien porté dans l’édition ! Beaucoup plus baroque, associant le rêve et la vision de paysages intérieurs, Mourad Djebel, dans Les Paludiques, représente l’écriture poétique comme une belle et tragique illusion : " J’ai tra-vesti l’aphonie/En promesse de berceuses/ La mémoire en germoir/L’encre en alcool…" Bref, la mythologie du poétique remplace chez la majeure partie de nos écrivains la poésie proprement dite. Au milieu de toutes ces voix, celle d’Emmanuel Moses a-t-elle quelque chose de neuf à faire entendre ? Il associe des métaphores extrême-orientale (sans parodie les maître chinois ou japonais, Dieu soit loué) et l’esprit des fables (il en imite le ton et le caractère narratif). Le plus souvent il part d’un incident que la vie quotidienne lui propose et il le narre à sa manière. C’est parfois émouvant et parfois intense. C’est une voix.
Bourlinguer
Sicile,
Dominique Fernandez, Ferrante
Ferranti, Imprimerie nationale.


On se dispenserait parfois de la prose lyrique de Dominique Fernandez qui nous assène par exemple des phrases de ce genre : " Deux mille huit cents ans de beauté ininterrompue, de dures épreuves, de souffrances de catastrophes constituent un réservoir inépuisable d’émotions, de transes, d’extases constamment renouvelées." Au-delà de ce kitsch stylistique si cher à l’auteur, il faut reconnaître que cet album dédié à la Sicile est magnifiquement réalisé. Les photographies de Ferrante Ferranti nous font découvrir toutes les beautés de la Sicile arabo-normande ou de la Sicile baroque. Il y aurait eu bien sûr une manière plus subtile et plus profonde de représenter Palerme : je regrette par exemple que les architecture de Basile soit totalement absentes de cet ouvrage. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas bouder son plaisir et partir à la découverte de cette grande île avec jubilation.
Paris dans la littérature française après 1945,
Marie-Claire, Bancquart, " Les Essais",
Éditions de la Différence.


Marie-Claire Bancquart a écrit une très belle étude sur le Paris de l’après guerre. Le Paris qu’elle révèle est celui de Jacques Roubaud et de Jacques Réda, de Michel Butor et Claude Simon, de Jacques Prévert et d’Henri Calet. Nous sommes bien sûr dans un bien autre univers de celui des promenades de Breton, de Louis Aragon et de Philippe Soupault. Mais son travail permet de comprendre comment l’image de Paris s’est transformée dans la littérature à mesure qu’elle de transformait dans sa réalité urbaine. Voilà un livre qui mérite qu’on s’y arrête.
Marseille l’insolite,
M.F.K. Fisher, tr. Béatrice Vierne,
Anatolia/Éditions du Rocher.


Marseille, sous la plume de M.F.K. Fisher prend un relief et une saveur très particulière. Ce n’est pas un guide que l’écrivain américain nous propose, mais une vision de l’intérieur, en somme, son expérience propre de cette ville qu’il a connu à différents moments de sa vie depuis l’année 1929. Il tente de mettre en relief ce que la rend unique, inestimable, si singulière au-delà des apparences et surtout des clichés et des préjugés qui pèsent sur elle depuis si longtemps. Ce livre est une sorte de roman consacrée à ce grand port de la Méditerranée dont on ressort avec l’impression de la connaître sous le bout des doigts, comme si on y avait vécu de très longues années… Une vraie gageure!


Gérard-Georges Lemaire
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