Chroniques des lettres
Chronique de lan IX (1)
par Gérard-Georges Lemaire
A la recherche du temps perdu |
Les Phéniciens,
collectif, Lunivers des formes, Gallimard.
Naissance de lart grec,
Pierre Demargue, Lunivers des formes, Gallimard. |
La prestigieuse collection « Lunivers des formes » créée par André Malraux a pu récemment renaître de ses cendres. Cette réédition se fait dune manière plus plébéienne, mais aussi plus économique. Trois titres viennent de reparaître. Assur nous fait découvrir la civilisation des Assyriens, qui ont laissé une trace profonde dans notre imaginaire avec les fabuleuses décorations du palais de Babylone conservées à Berlin et au musée du Louvre. Mais ce sont aussi les chapiteaux aux protomes de taureaux dans le palais dAtarxerxès II et les tablettes en terre cuite couvertes décriture cunéiforme à lorigine des écritures qui vont se développer en Occident.
Le second volume concerne la culture phénicienne qui devrait être plus proche de nous si les Romains ne lavait pas anéantie.Son art est largement contaminé dès le IIIe siècle avant notre ère par linfluence grecque. Si ses formes primitives sont divertissantes, lart de ce peuple nest remarquable que par son sens aigu de la figure humaine à son apogée. Enfin, Pierre Demargue évoque lart archaïque grec, un art très dépouillé à la fin de la préhistoire et fastueux dans son style mycénien (1600 avant J.C.) ou minoen (autour de 1400 avant J.C.). La sculpture grecque archaïque a profondément impressionné des sculpteurs tels que Brancusi, Giacometti et Modigliani. |
Assur,
André Parrot,
«Lunivers des formes », Gallimard.
Le Symbolisme,
Rodolphe Rapetti, «Tout lart», Flammarion. |
Le symbolisme na été ni un groupe ni un mouvement. Ce fut un état desprit qui a pris les formes les plus diverses. Quel lien pourrait-on établir entre Arnold Böcklin et James Ensor ? entre Khnopff et Vallotton ? Ce serait même absurde dhasarder une définition. Le livre de Rodolphe Rapetti permet de se faire une idée de ses développements les plus extravagants dans toute lEurope, parfois sous les formes les plus contradictoires. Cest une bonne introduction à un moment complexe de la culture occidentale à la fin du XIXe siècle. Peut-être faudra-t-il abandonner ce terme, trop vague, trop connoté et souvent inadéquat. |
Notions desthétique,
Mériam Korichi, Folio
« plus philosophie». |
La petite anthologie préparée par Mérian Lorichi donne au lecteur les principales clefs de la réflexion esthétique depuis Platon. Aristote, Hume, Kant, Hegel, Schopenhauer, Nietzsche constituent les principales étapes de cette histoire. Cest un petit outil pédagogique très utile. En revanche, on peut sinterroger sur le dossier critique où il est question, entre autres, des Tableaux anthropométriques dYves Klein. |
Moderne ou contemporain ? |
De Kooning, vite,
Philippe Sollers, « Matière dimages »,La Différence. |
Alemporte-pièce, Philippe Sollers raconte sa vision de loeuvre de Willem de Kooning. Quil ait baptisé ce texte De Kooning, vite résume laffaire. Cest bien dommage car on pouvait attendre de lécrivain des considérations plus posées, qui nauraient dailleurs pas gêné la dynamique de sa prose. Mais il y a de temps à autre des fulgurances, des intuitions qui font oublier ce caractère relâché de lexpression. Je songe en particulier à ce quil dit du néant actif dans la tension entre le blanc et le noir. En dépit des effets de manche et des facilités, Sollers éclaire quelque chose de laventure picturale de lartiste américain. |
Le Féminin dans lart occidental, Claude Leibenson, Les Essais, Editions de la Différence. |
Javoue avoir été très déçu en lisant le livre de Claude Leibenson. Cette dernière parle beaucoup dAndy Warhol, ne retenant que des idées reçues sur son compte et en tirant des conclusions très convenues. Idem pour les autres courants contemporains (Land Art, performance, etc.) Quant à « lidéal masculin de domination » (une vieille rengaine), lauteur ne parvient pas à nous convaincre de son enracinement dans lart. Cest lexpression même de la pensée faible qui régit lart contemporain. |
Saulnier/Redon, Correspondances, n° 17, Musée dOrsay.
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Quel est le rapport entre Emmanuel Saulnier et Odilon Redon ? Aucun. Cest sans doute là le secret des correspondances présentées par le musée dOrsay. Mais on a au moins la possibilité de voir ce que cet artiste a pu réaliser ces dernières années. Lui a tant travaillé sur le verre, le voici qui manipule dautres matériaux. Jélirai le Corps blanc de 1990 parmi toutes les oeuvres présentées : cest un merveilleux objet onirique en plus dêtre une extrapolation dérivée de Brancusi. |
Chemins,
Michèle Katz, Jean-Luc Chalumeau, Area. |
Michèle Katz a imaginé un univers plastique où les figures humaines ne sont plus que des silhouettes déformées, à la fois effrayantes et effrayées, qui semblent fuir un désastre sans nom. Jean-Luc Chalumeau nous introduit avec perspicacité à ce microcosme bouleversant qui tire sa substance de la mémoire obsédante de la Shoah que lartiste vit à travers la poésie déchirée de Paul Celan : il réaffirme la nécessité de prendre un sens et une profondeur face au spectateur. Le Chemin de Michèle Katz est une épreuve : il procure autant de douleur que de ravissement. Ce serait là lesthétique juste pour notre temps. |
N.d.T. |
Anthologie 1945-1990,
choix, traduction et présentation par C. de Frayssinet, Points, Seuil. |
Lanthologie poétique conçue par Claude de Frayssinet a le mérite de présenter un ensemble dauteurs de laprès-guerre dont la plupart sont peu connus, exception faite de Foix ou de Goytisolo. Son anthologie inclut les novisimos et cest bien de pouvoir découvrir lultime génération. Je regrette seulement que certains poètes de talent soient oubliés, en particulier Ana Becciu. |
En français dans le texte |
Le Fabuleux roman du théâtre de la Huchette, Gonzague Phélip, Gallimard |
Gonzague Phélip a eu lheureuse idée de produire la grande histoire dun petit théâtre parisien, La Huchette. Ce dernier sest rendu immortel pour avoir joué pendant 50 ans La Cantatrice chauve de Ionesco. Bien sûr, depuis sa fondation, dautres pièces ont été mises en scène, dAudiberti à Courteline et Tchékhov. Cet opuscule donne la nostalgie du Paris des années 50
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Le Génie du lieu 1 - 2,
OEuvres complètes V - VI,
Michel Butor, Editions de la Différence. |
Les oeuvres complètes de Michel Butor viennent de senrichir de deux nouveaux volumes. Réunis sous le titre de Génie du lieu, ils recueillent des livres tels que Réseau aérien, Description de San Marco, Mobile, Où, Boomerang, entre autres. Conçus entre 1960 et 1970, ils sont remarquables par une volonté de fondre dans une seule et même architecture des formes différentes : roman, poésie, journal intime et récit de voyage. Après lexpérience du nouveau roman, Butor en est venu à un travail purement expérimental. Le problème que pose ces ouvrages est quils nont pas abouti à une forme tendue et intense : on a souvent limpression dune structure distendue, relâchée parfois, dune polysémie se traduisant souvent par une logorrhée coupable. Cest regrettable car Butor est vraiment un inventeur. On a bien observé sa difficulté à demeurer dans le moule dune construction rigoureuse dans ses premiers romans. Mais linverse ne lui rend pas mieux service. Une chose est vraiment passionnante : son obsession des couleurs. |
Dix-sept têtes,
Bruno Edmond, Diabase. |
Quand je lis : « Bruno Edmond nous propose un récit poétique onirique proche de lunivers de Kafka », je suis envahi par un sentiment de colère : il ny a dailleurs rien de commun entre ce livre et lécrivain pragois. Mais on le lira néanmoins avec plaisir car on y découvre un lien avec le surréalisme, le fantastique et la littérature de labsurde. Il y a chez lauteur un Jérôme Bosch qui sommeille et cela ne peut que nous ravir. |
Le Petit séminariste
Poésie, Flammarion
LImmédiat labile
Polyphonix/Nèpe
Animaux industrieux
Auxeméry volumen, Flammarion |
La poésie française semble en mal dun souffle nouveau. Mais encore faut-il observer de près ce quelle nous offre. Quelques exemples se présentent pour nous prouver quil existe une nouvelle poétique. Dans Le Petit séminariste (Poésie, Flammarion), Gérard Cartier procède à un dialogue très sophistiqué entre des récits en prose et des moments versifiés. La perspective quil a choisie est celle dune interrogation saturée de doutes sur le réel et sa représentation. Avec lentêtante présence de la nature et la vision nostalgique de la culture anglaise traduite dans la réalité de la ville. Cest intense et prenant. Jacqueline Cahen, en écrivant LImmédiat labile (Polyphonix/Nèpe), illustré par Jean- Jacques Lebel, sinscrit dans loptique de la poésie narrative. Mais lunivers quotidien nest pas son objet : elle sintéresse plutôt au mouvement de la pensée, à ses extravagances, aux rêves, les incongruités du monde. Bernard Heidsieck a raison de dire : « Ce labilisme a la vertu de sexercer, par les évocations successives, tant physiques que de façon imaginaire et spéculative de façon toujours juste, vive, subtile ». Quant aux Animaux industrieux Auxeméry (volumen, Flammarion), ils renferment une mythologie singulière placée à lenseigne du bizarre, associant la haute métaphysique et une sorte de chamanisme omniprésent. Lauteur dépeint une Terre générant une vie des origines, complexe et tourmentée, riche de métaphores et chargée de vision angoissantes. |
Gérard-Georges Lemaire
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