Chroniques des lettres Chronique de lan V (4) par Gérard-Georges Lemaire IMAGES DE LA MODERNITÉ | LAction restreinte, lart moderne selon Mallarmé, Jean-François Chevrier Editions Hazan | On sait quels liens Stéphane Mallarmé a pu entretenir avec les arts de son temps. Ses relations avec Edouard Manet et Odilon Redon ont été profondes et ont laissé des traces significatives Dans lénorme catalogue de lexposition du musée de Nantes baptisée LAction restreinte, lart moderne selon Mallarmé, présentée par Jean-François Chevrier, il est question de lart moderne du XX ème siècle beaucoup plus que des contemporains de lauteur de Divagations. Lauteur nous avertit que cette manifestation et par conséquent cette publication est « une relecture de lart moderne selon Mallarmé». Comme ce dernier est décédé en 1898, lentreprise peut sembler hasardeuse et elle lest. Sans doute cela fait-il partie de cette nouvelle approche de lhistoire de lart qui consiste justement à nier lhistoire ; personne nest obligé de suivre le cours de la chronologie qui présente bien des pièges. Mais de là à annoncer que «Fernand Léger est le moins mallarméen des quatre grands peintres cubistes » il y a une marge un gouffre. De plus, Léger na jamais été tout à fait cubiste. Ce qui pose un autre problème. Broodthaers et bien entendu Duchamp, père le lÉglise réformée de lart, sont omniprésents, comme une multitude de grands et de petits saints de la modernité, tous adoubés (rétrospectivement par lécrivain). Et quand on lit, entre mille choses tout aussi absurdes les unes que les autres, que « pour Mallarmé comme pour Artaud, le vide reste une expérience du gouffre et du néant», les bras vous en tombent. Est-ce un exercice oulipien ? Une parodie? Une farce? Il faut lespérer. | Un design américain David A. Hanks et Anne Hoy Flammarion | Lhistoire du design est celle dun conflit permanent entre les nécessité de la production industrielle et le désir de créer des objets ayant une valeur esthétique. De ce conflit sont nées bien des désillusions, mais aussi de réussites indéniables. Cest le cas du style paquebot, appelé Steamline en anglais. Le très beau livre de David A. Hanks et dAnne Hoy, Un design américain, explore limmense territoire de ce style aux Etats-Unis exclusivement. Il a vu le jour pendant les années trente et qui a eu des développements les décennies suivantes et, en fait, jusquà nos jours. Son principe de base est laérodynamique. Laviation autant que la marine et les chemins de fer en sont les principaux moteurs. Il a fallu alors trouver un équivalent dans tous les autres secteurs dactivités et les auteurs montrent avec humour des sous-vêtements « streamlined » et même un cercueil conçu dans cette optique. Larchitecture sest vite adaptée au milieu des années trente à ce style tout en courbes qui évoque la vitesse et lui attribue une connotation particulièrement sophistiquée. Richard H. Mandel est lun des créateurs les plus remarquables dans ce domaine. Raymond Loewy, qui va imposer sa marque de fabrique dans les années cinquante, crée déjà des objets et du mobilier de bureau dans cet esprit. Des projets les plus futuriste jusquau calendrier de bureau ou à lagrafeuse, le monde du travail est converti à ce nouveau mode de représentation du monde. Et cest la même chose pour lunivers domestique. Après la guerre, ce style va subir une ultérieure mutation et grâce à lesthétique de lautomobile va se populariser. Ce livre ne fait sans doute pas la somme de tout ce qui a été entrepris dans cette optique, mais permet den comprendre les grandes orientations. Il fera autorité en la matière. | LART CONTEMPORAIN EN QUESTION | Paix Clara Halter & Jean-Michel Wilmotte, Editions Cercle d'Art | Fait-on de lart avec de bons sentiments? La colombe de Picasso peut laisser planer un doute. Bien sûr, Guernica demeure un modèle absolu dart qui véhicule un message puissant. Mais est-ce le message qui compte dans cette grande « fresque » en noir blanc et gris ? Les textes qui accompagnent ce livre luxueux consacré à loeuvre récente de Clara Halter (la paix est onéreuse semble-t-il) démontrent à quel point les considérations sur les relations entre lart et les idéologies ou celles qui peuvent unir lart et les grandes causes humanitaires sont ambiguës. Clara Halter conçoit des monuments à la paix. Et tout un chacun de fustiger les monuments aux morts. Et pourtant, ce sont de facto dindispensables lieux de mémoire pour ne pas oublier ceux que la guerre a arraché à la vie. Ils ne sont pas nécessairement une apologie des conflits armés et ils témoignent plutôt de leur atrocité. Il peut paraître naïf de célébrer la paix car cela revient à dire quelle serait exceptionnelle. La guerre serait un état constant du monde et la paix un état rare qui mérite dêtre commémoré. Quoi quil en soit, il me semble difficile de voir la question dune manière aussi simpliste que lartiste qui pense quil suffit décrire le mot paix dans toutes les langues de lunivers pour avoir fait le tour de la question. Tout cela est très propret, très bien pensant, très fédérateur (mais fédérateur sur quoi ? sur un concept kantien ?) et, dun point de vue purement esthétique, très peu exaltant. Enfin, les lecteurs jugeront sur pièces en feuilletant Paix, et en lisant Philippe Dagen, Chantal Béret, Bernard-Henri Lévy. | OUTILS DE TRAVAIL | Symboles du pouvoir de Paola Rapelli Symboles et cultes de lÕEglise de Rosa Giorgi Editions Hazan | Dans la collection « guide des Arts Repères iconographiques », Hazan vient de faire paraître deux titres indispensables pour les amateurs de peinture ancienne. Le premier, Symboles du pouvoir de Paola Rapelli, permet de se familiariser avec les grandes familles régnantes européennes, de lAntiquité à Napoléon III, ainsi quavec les insignes du pouvoir. En somme, rien de ce qui a été la politique de Rome à la fin du XIX ème siècle nest laissé de côté, ce qui nest pas indifférent car, bien sûr, les paramètres ont bien changé en ce domaine. Et puis si lon peut reconnaître un Cesare Borgia ou un Laurent de Magnifique, saurait-on distinguer un Visconti ou un Sforza ? Les Symboles et cultes de lEglise de Rosa Giorgi est encore plus indispensable car il ne sagit pas tant de faire le distinguo entre tous les papes (nimporte qui y perdrait son latin), mais entre les vêtements des différents ordre, la spécificité des costumes religieux, les objets rituels. La symbolique chrétienne nous est familière. Mais beaucoup de choses ont été représenté différemment au fil de lhistoire et méritent bien des éclaircissement. Cest là un guide bien conçu, bien que certaines explications sont parfois un peu courtes. Je donne : un seul exemple : lévolution des habits ecclésiastiques des clercs, diacres et sous-diacres ne sont pas analysés avec assez de précision. Mais lensemble est plus quhonorable et en tout cas est nécessaire pour tout amateur et même pour tout historien dart. Un dernier mot. Tout collectionneur se doit de posséder deux ouvrages essentiels pour se retrouver dans le dédale des cotations plus ou moins fantasques de lart daujourdhui : LAkoun 2005 et La Côte des photos (Editions la Côte de lAmateur). Ces répertoires sont réalisés avec beaucoup de soin et permettent de se faire une idée du prix moyen et des prix les plus élevés des oeuvres picturales ou photographiques en France. | N.D.T. | Sur les pas des troubadours en pays d'oc Ezra Pound Anatolia Editions du Rocher | Très tôt (déjà à luniversité), Ezra Pound se passionne pour la littérature médiévale. Et, bientôt, il se spécialise dans la littérature provençale, celle des troubadours. Sa propre poésie en est imprégnée. Sil va se détacher de cette influence juvénile, il nen continue pas moins à traduire et à commenter ces auteurs quon redécouvre. Il va participer à cette redécouverte avec la passion qui le caractérise à lépoque. Il commence par voyager dans le Midi de la France, hante les bibliothèques, fait un vrai travail darchiviste. Il a lidée de publier son voyage en France sous le titre de Gironde. Mais le projet échoue. Alors, du périple quil accomplit à pied en 1912 dans les paysages des troubadours, il tire ce merveilleux livre intitulé A Walking Tour in the Southern France, intitulé en français Sur les pas des troubadours en pays doc qui est complété par une anthologie (qui est aussi un exercice de traduction) qui fait écho à son grande étude, achevée en 1910, LEsprit des littératures romanes (Christian Bourgois). Cette aventure est dautant plus passionnante quelle sachève quand Pound compose ses trois premiers Cantos. | Berlin-Moscou, un voyage à pied Wolfgang Büscher L'Esprit des péninsules | Le récit de Wolfgang Büscher, Berlin-Moscou, un voyage à pied est passionnant. Ce long périple qui conduit le narrateur à traverser lAllemagne, la Pologne, la Biélorussie et la Russie est une aventure qui se compose surtout de rencontres insolites et de découvertes étonnantes. Mais ce qui fait tout lintérêt du voyage, cest que lauteur a tenu à mettre en avant les traces dune histoire récente, dune histoire embarrassante, cruelle et terrible car, dune certaine manière, il a refait le chemin des troupes de la Wermacht lors de ses campagnes de 1939 et de 1941. Notre pèlerin arrive par exemple à Katyn et relate non seulement ce quil voit, ce quon lui raconte, mais aussi fait le lien avec ce quil a pu savoir de cet événement effroyable, lexécution de milliers dofficiers de larmée polonaise effectuée par les Soviétiques et mis sur le compte des nazis (on ne prête quaux riches, nest-ce pas ?. Ce nest là quun épisode parmi tant dautres qui font de ce périple une véritable reconstruction dun demi-siècle allemand. Cest un livre remarquable dintelligence et de finesse. | Chroniques des quais David Wojnarowicz Editions Dsordres/Laurence Viallet | Avec ses Chroniques des quais, David Wojnarowicz nous offre une fiction tout aussi intense quAu bord du gouffre (Le Serpent à Plumes, 2004), mais beaucoup plus délié. Il faut dire quil ne sagit pas ici dun roman à proprement parler, mais dune succession de récits qui donne limpression dêtre de courts bouts filmés et qui sont restés inachevés. Ces histoires se déroulent soit à New York soit à Sans Francisco et ont en commun de relater des épisodes de lexistence du narrateur, de ses amis et des personnages de rencontre. Dune certaine façon, elles rendent compte dun degré de lexistence, comme si lauteur sétait retrouvé au fond dun immense trou de sable (comme dans le roman dAbe Kobo) et quil naurait aucun moyen den sortir. Il nen a pas la possibilité, cest vrai, mais il nen a pas non plus lenvie. Les petites frappes, les camés et les mauvais garçons rencontrés par Burroughs à Times Square en 1945 ne ressemblent pas aux êtres créés par Wojnarowicz : ils affabulaient, sinventaient une sorte saga pour échapper à la médiocrité inéluctable de leur vie. Ceux-là ne cherchent quune solution pour arriver jusquau lendemain. Comme si rien de fondamental nexistait. Ce ne sont pas des anges déchus, ce sont des fantômes et ce petit monde qui sagite au fond de loeil kaléidoscopique de lécrivain est décrit dans sa plus stricte nudité. Cest un regard cru et cruel, car il nattends pas, comme Kerouac, la moindre rédemption au fond de cet Enfer qui a cependant quelque chose de comique et même de franchement drôle même si lon sait quil népargnera personne. | Perdido Velibor Colic Le Serpent à plumes | Velibor Colic nest pas un écrivain qui peut laisser indifférent. Il vient à peine de terminer une parodie de biographie de Modigliani (La Vie fantasmagoriquement brève et étrange dAmedeo Modigliani, Le Serpent à plumes, 2005) où il sattache plus au mythe de lartiste italien quà la réalité de son existence (mais en faisant le contraire dAndré Salmon qui est linventeur de ce mythe de pacotille qui a la vie dure). Aujourdhui, il propose la biographie dun musicien de jazz américain, Francis « Web» Webster, disparu en 1973 et quil a baptisée Perdido (Le Serprent à plumes). Biographie ne serait dailleurs pas le terme juste : il sest coulé dans le personnage, a épousé sa passion, sest imaginé sa relation intime, impérative, exigeante avec la musique. Mais lauteur ne pousse pas les choses au point de sidentifier à son héros. En fait, il passe en permanence de l«intérieur » à lextérieur », mais en collant au plus près de ce que peut être cette étrange et puissante possession de tout de le corps et de lâme entière par des rythmes et des mélodies issus de son Missouri natal. | EN FRANÇAIS DANS LE TEXTE | Histoires nocives Joyce Mansour "L'Imaginaire" È Gallimard | On est en droit de sinterroger sur le bilan littéraire du surréalisme français. La réédition dHistoires nocives de Joyce Mansour (« LImaginaire », Gallimard) nous en fournit loccasion rêvée. Bien peu doeuvres semblent subsister. Est-ce parce que nous en sommes ignorants ? Ce récit semble plutôt nous dire que ce mouvement à produit un mode décriture poétique qui nest plus quune enfilade dimages baroques et rocambolesques ne suivant plus quune trame bien fragile. Et le kitsch est toujours tapi quelque part, même dans lombre : « Le soir, tout le monde dansait au son du sanatorium et le sperme coulait dans les rues ; évidemment tout était arrangé pour attirer les touristes. » Ce genre de phrases pleines de métaphores dun goût incertain émaille le texte de part en part. De ce conte peuplé de jumeaux hallucinants, une fille de bûcheron qui tue tous les hommes quelle rencontre et la nounou noire nommée Jules César il ne reste au fond que limpression dun mauvais rêve dune longueur exténuante, mais pas dune grande révélation littéraire. | Le Dossier Meyer-Devembre Ariel Denis Editions du Rocher | Dans leffroyable frénésie papivore de la rentrée littéraire, il ny pas facile de trouver son bonheur. Alors je mettrai en exergue un roman, Le Dossier Meyer-Devembre dAriel Denis (Editions du Rocher). Ce qui est passionnant dans ce livre, cest la confusion délibérée entre un genre réputé mineur, le roman noir, qui prend ici un aspect parodique, et une construction dérivée du Nouveau Roman (on pense particulièrement au Passage de Milan de Michel Butor). Là encore, cette récupération dune manière denvisager le romanesque est distanciée et traitée avec une relative ironie. Mais ce jeu décriture fonctionne et on se passionne pour le faux assassinat du 35 rue de Tournon et pour ses résidents (tous des personnalités intéressantes, y compris le concierge) qui, chacun à leur tout, influe sur une succession déconcertante et absurde (le plus souvent) dévénements fantasmatiques. Ici, peu importe le dénouement de lintrigue, puisquil ny jamais eu de véritable crime. Seul compte la jouissance du récit, qui est un régal. | EN FRANÇAIS DANS LE TEXTE (suite...) | Les cinq et une nuit de Shahrazade Editions de la Différence | A retenir aussi la fiction de Mourad Djebel, Les Cinq et Une Nuits de Shahrazède (La Différence). Voilà un livre ambition, riche, qui utilise le modèle (lointain) des Mille et Une Nuits pour pouvoir tracer les routes tortueuses et imprévisibles du picaresque. Lauteur profite de sa Shéhérazade (qui sappelle en réalité Loundja) pour évoquer la relation complexe privilégiée que cet homme entretient avec elle et qui va linterroger comme la pythie, mais aussi pour parler de la poésie, de lOrient, du conte (en somme, de lart de la narration), de la mort. Cette femme se métamorphose sans cesse au fil de ces cinq longues et riches nuits : elle peut être Psyché ou le double féminin dOrphée. Cest un roman intense, exigeant, qui parvient a associer la plus haute gravité et un humour mordant, qui est une sorte dOdyssée moderne et aussi un livre des morts car lécriture est pour lauteur cest le levier grâce ququel il peut décrypter le monde et ensuite le représenter. | Retour en URSS avec André Gide Gaston Bouatchidzé Editions Hermann | Gaston Bouatchidzé, auteur du bel Anneau à chiffres (Hermann, 2004) vient de publier un ouvrage qui mérite le détour. Il la intitulé Retour en URSS avec André Gide. Il refait par limagination le périple que Gide a entrepris en 1936, la désillusion qui en a suivi et la publication dun récit de voyage qui fut un véritable pavé dans la mare. Lauteur est soucieux de la vérité historique. Il ne fait que la transposer, lui donnant une dimension romanesque (très originale et très subtile soit dit en passant). Et il le fait aussi de telle manière quon pénètre encore plus profondément dans la réalité de cette affaire, quon la perçoit aussi du côté soviétique. Car cette visite na pas été sans conséquences. Il démontre en tout cas que lon peut faire des roman historique qui peuvent être à la fois dune parfaite justesse mais qui peuvent aussi ouvrir des horizons spéculatifs inédits. Voilà encore un des beaux livres de cette rentrée, qui naura peut être pas les louanges de la critique si peu critique, si peu curieuse. Espérons quil parvienne à toucher les lecteurs quil mérite. | Notre aimable clientelle Emmanuelle Heidsieck Editions Denoël | Il existe en France un nouveau courant littéraire qui affirme avec aplomb un réalisme qui est sans doute loin du naturalisme dEmile Zola ou de la littérature engagée des années trente. Au fond, il ne se recommande daucune école du passé, même sil en reprend certains traits de caractère. Emmanuelle Heidsieck, avec Notre aimable clientèle (Denoël) fait une description redoutable de ladministration française en un de ses récents moments de mutation. Du service public, elle est en train de passer au « service de la clientèle », ce qui, dans le cas de lAssédic, prend une tournure presque surréaliste. Pour représenter ce microcosme qui serait risible si lexistence de tant de personnes nen dépendait pas, Emmanuelle Heidsieck a choisi de mettre en scène un de ses employés, Robert Leblanc, quarante-deux ans, divorcé et père de deux enfants. Ce Leblanc na rien de particulier si ce nest une vie sentimentale assez maigre et une vie professionnelle un peu trop pleine et qui ressemble à un parcours du combattant qui ne connaît jamais de trêve. La charge est féroce, sans concession. Et à ce jeu pervers, notre héros se perd et se retrouve à lhôpital psychiatrique. Et il na plus lintention de la quitter, se trouvant heureux dans le commerce pacifique quil a avec le médecin qui le suit. Ce qui frappe, au-delà de ce cette parabole vériste, cest dabord le style de lauteur, précis, frappant, juste, avec cette pointe dironie cruelle qui rend cette « tranche de vie » non seulement exemplaire, mais aussi amèrement comique. | French Dream Mohamed Hmoudane Editions de la Différence | Dans une optique assez comparable, French Dream de Mohamed Hmoudane (Editions de la Différence) raconte les mésaventures et les désillusions dun jeune Marocain qui tente de sen sortir en émigrant en France. Il vit ce que vivent la majorité de ces candidats au départ, pris en tenaille entre la vie misérable dans leur propre pays et lhumiliation, la plongée dans un univers où il ne peuvent subsister quen pointillé. Cest un livre qui ne manque pas son but, mais qui reste trop dans les généralités de la question, cest-à-dire sa sociologie. | La nuit du peyotl Jean-Marc Tisserant Editions de la Différence | Les Editions de la différence viennent de rééditer un livre devenu mythique de Jean-Marc Tisserant, La Nuit du peyotl. Il sagit du journal de la fin des années 70 dune série dexpériences hallucinogènes, menées avec différentes substances. A linstar de Michaux, lauteur se contente de consigner ce quil éprouve, ce quil voit, ce quil entend, de tenter de traduire par des mots ce monde qui ne cesse de se transformer avec rapidité et violence. Toute la beauté et tout leffroi de ce commerce sont ici narrés avec la plus grande précision possible. Voilà un document précieux. | De la distraction Virgile Novarina, Franck André Jamme Editions Virgile | Virgile Novarina et Franck André Jamme ont réalisé en commun un livre de»correspondances», une page de lun répondant à lautre. Ils lont intitulé De la distraction. (Editions Virgile). De quoi sagit-il. V. Novarina a noté ses impressions immédiatement après son réveil, recueil le mucus de la nuit. Puis, plus tard, il les complète et les amende. F.-A. Jamme a composé des tablettes comme celle des Latins qui en sont comme les échos dans une langue construite. Se faisant, il fait allusion aux formules favorisant le passage dans le monde souterrain et ombragé des morts. Ce livre dexpérience est le jeu de la transition, de ce qui se joue entre linconscient et le conscient, dans ce moment qui serait peut-être aussi celui de la création. | La vitesse du sang Valérie-Catherine Richez Editions Virgile | Valérie-Catherine Richez, avec un nouveau recueil intitulé La Vitesse du sang (LAtelier des Brisants) donne une précieuse et impressionnante extension à son univers poétique. Ici, il se divise en deux mondes qui sinterpénètrent, celui du corps et celui du cosmos. En sorte que dans le corps peuvent se lire les signes du macrocosme. Et cette exploration se traduit par des visions tragiques, douloureuses. Le narrateur est à la recherche des lieux improbables et traverse les territoires peuplés de monstres, dêtres hybrides et de paysages effrayants : «sanglants visages / aux traits figés / Dans la stupeur / [
] Monstrueuses miniatures /aux gueules dépouvantes
» Cet ouvrage est une sorte de Commedia qui nest plus le fruit dune expérience individuelle et qui ne se réfère plus à de grandes architectures théologiques ou philosophiques. Rien que la conscience blessée dune esprit en quête de sa vérité au prix dun périlleux voyage dans les tréfonds dun labyrinthe qui nest autre que le corps à nu. Cette voix si déchirantes qui tracent ces chemins entre labstraction et la figuration est de celles quon ne peut oublier. | Les Talibans n'aiment pas la fiction Liliane Giraudon Editions Inventaire/Invention | Liliane Giraudon, co-fondatrice de la revue Banana Split, est lauteur douvrages surprenants et donc marquants parus essentiellement chez P.O.L. Dans ce récit de voyage en Afghanistan, où lon ne sait où le réel et limaginaire tracent leurs frontières, elle met en relief cette incroyable et délirante irréalité qui se dégage de cette expérience où la beauté dune culture doit être confronté à son aspect obscur, en particulier le sort fait aux femmes. Lauteur joue avec les mots, mais ne se paient pas de mots, se divertit à noter sur ses cahiers afghans ce qui la saisit le plus dans cette découverte dun monde qui a conservé son authenticité mais qui est aussi sérieusement sinistré. Ces pages se terminent par lautobiographie dun jeune poète, Nadir Ahmad Nazir, né en 1983 à Logar. Les Bouddhas de Bamiyân, les burkhas des femmes quon croise dans les rues comme autant de fantômes bleus, les hommes en armes un peu partout, des odeurs, des sensations, un voyage éprouvant à la recherche du temps courbe dun conflit qui est le germe de la guerre qui se combat aujourdhui. Les Talibans naiment pas la fiction (cest le titre de ce petit livre, publié par Inventaire / Invention) : ils lont prouvé et ils ont fini par perdre. Un avertissement? Peut-être. En tout cas un moment décriture prenant. | Les Moulins Sophie Braganti Belem Éditions | Sophie Braganti, collaboratrice de notre revue, vient de faire paraître un petit récit attachant intitulé Les Moulins. Elle nous entraîne dans ses souvenirs du pays niçois, dans son école, chez ses parents, elle nous fait rencontrer ses amies, ses camarades de classe et nous fait remonter le temps jusquà ladolescence. Cest un petit récit (par la taille) qui procède par touches subtiles, qui ne sappesantir sur rien, mais retient lessentiel dune scène, dun instant, dun détail révélateur. Il est écrit avec beaucoup de grâce et de poésie et aussi avec une fine pointe dhumour, ce qui ne nuit pas. Jamais Sophie Braganti ne sacrifie à la mélancolie. Elle sait narrer ce qui est sans nul doute une autobiographie avec retenue et un sens aigu de lanecdote qui met à jour une réalité, un sentiment, une blessure. Les Moulins ce nest que le nom dun quartier périphériques est un livre qui a du chien et trahit une sensibilité pleine de retenue. | L'Histoire de Ian van *** Gentilhomme de Flandre ou Le théatre du péché Adrien Salmieri Editions De Corlevour | LHistoire de Ian van ***, Gentilhomme de Flandre ou Le Théâtre du péché dAdrien Salmieri (éditions De Corlevour) est un retour au « grand genre » de laventure quon a jeté aux orties depuis longtemps ou remplacé par le roman de gare postmoderne. Ce roman rappelle bien sûr les Mémoires de ma vie de Casanova (lépoque bien sûr où se déroule laction, mais aussi ce genre de vie qui est une bousculade frénétique et désastreuse), mais aussi Alexandre Dumas. Ce curieux mélange a produit un roman curieux mais qui est loin dêtre dépourvu de charme. Le personnage que Salmieri a campé est tout autre que plaisant. Et son histoire dachève dans les ténèbres du mal bien quon éprouve bien des difficultés à prendre ce versant maléfique de la fiction trop à coeur. Lhistoire nest pas crédible une seconde mais que nous importe? Seul compte ici le plaisir de la lecture, qui ne se boude pas surtout pas ces temps de relative disette littéraire. | François Cheng Editions Poésie - Gallimard | François Cheng qui a écrit de si beaux livres sur lesthétique de la Chine ancienne est également poète. André Velter présente ses oeuvres poétiques dans la collection quil dirige, "Poésie/Gallimard". Cheng nest ni un inventeur ni un innovateur. Il transpose dans notre langue lesprit de la tradition poétique chinoise. Ce sont de véritables peintures qui ne sont pas composées avec un pinceau et de lencre, mais avec des mots formant des images qui sont associées dans des combinaisons simplement exprimées mais qui finissent par engendrer des constellations de sens assez complexes. Cest très subtil, assez formel malgré tout et a aussi une connotation spirituelle évidence cest ce que ce vers nous dit : «Ré-habitons ce qui du Rien advient.» | LInvention du temps, tome IV 1974 - 1977 Claude Michel-Cluny Editions de la Différence Claude Michel-Cluny, des figures et des masques Jalel El Gharbi Editions de la Différence Claude Michel-Cluny Pierre Brunel et Jean-Yves Masson Editions de la Différence | La publication du journal de Claude Michel-Cluny ne peut que réjouir. Sous le titre explicite de La Déraison, il nous livre cette fois les années 1974-1977. Et comme il nest pas homme à changer de cap, il fait preuve dune humeur frondeuse (plus que batailleuse) et donc dun refus des mouvements de la marée des modes et des engouements transitoires. Cest une magnifique leçon desprit rebelle qui nécoute pas les sirènes de la mode. Il faut lentendre parler de Marguerite Duras ou de Michel Tournier. Quand on songe à la période traitée, cest vivifiant. Et puis il y a ses voyages qui le mènent de Tripoli à Bagdad, de Tunis au Caire, de la Chine aux Etats-Unis, il nous raconte ses périples avec loeil de quelquun qui ne fait pas oeuvre dorientalisme. Le poète, le lecteur, le voyageur aussi se retrouvent dans lexcellente biographie de Jalel El Gharbi. Et quand je dis «biographie», il faut entendre bien autre chose que les exténuantes vies dauteur qui commencent aux origines bibliques pour arriver jusquà la tombe et parfois pire. Cest lhomme exclusivement tel quil se révèle dans ses écrits, le poète donc et lesthète qui apparaissent dans un jeu complexe de miroirs et de travestissements. Cest dailleurs essentiellement dans un dialogue quun opinion se forge et que ce portrait se construit. Cest là le plus sûr moyen de procéder pour découvrir un écrivain, par les mots et par la pensée (la parole) qui est le substrat vécu de ces mots. Pour les soixante-quinze ans de lauteur, un colloque a été organisé à lUniversité de Paris IV (la Sorbonne). Les actes de ce grand exercice classique dadmiration ont été réunis en un gros volume qui analyse ses ouvrages, ses faits et gestes, ses propos sous toutes les coutures. Jaurais préféré quant à moi une poignée décrivains qui une grande liberté de ton, de créateur à créateur, plutôt que ces doctes arguties. Mais cest un bon « outil de référence » comme il est coutume de le dire à la faculté
Le travail de lADPF (Ministère des Affaires étrangères) demeure méconnu, je dirais presque par définition, puisque son travail consiste à diffuser la culture française à létranger. Cette officine produit dexcellente monographies sur des écrivains (Claudel, Saint-John Perse) ou sur des philosophe (Ricoeur, Sartre, Merleau-Ponty) qui constituent dexcellents ouvrages de référence, très bien présenté et édité, avec des auteurs compétents et quon aimerait bien trouver en librairie. Il est regrettable quun travail aussi importante, aussi nécessaire soit-il pour faire connaître notre culture dans le monde, ne soit pas accessible dans lhexagone. | BOURLINGUER | Les premiers photographes d'un empire sous les Tropiques Bia et Pedro Corrêa do Lago Editions Gallimard | Cette année du Brésil a eu le mérite de faire découvrir le rôle de ce pays dans lhistoire de la photographie. Les spécialistes lont découvert il y a quelques décennies. Lexposition du musée dOrsay LEmpire brésilien et ses photographes lont fait découvrir au grand public, tout comme le très bel album de Bia Corrêa do Lago et de Pedro Corrêa do Lago, Brésil, Les premiers photographes dun empire sous les Tropiques (Gallimard) qui reproduit quelques trois cents clichés du XIX ème siècle. Louis Compte y réalise les premiers daguerréotypes, réalisant des paysages de Rio de Janeiro, le portrait de lempereur Pedro II, qui sest passionné pour cette nouvelle technique,et surtout conservant la mémoire de leffroyable guerre du Paraguay (1865-1870). De nombreux Européens sont venus dans ce gigantesque pays pour en découvrir lincroyable diversité et lincroyable richesse, comme les Français Hercule Florence, Victor Frond, auguste Stahl et Marc Ferrez. Ce livre nest pas seulement le compendium de magnifiques documents darchive. Cest la découverte dun aspect du Nouveau Monde à travers des regards contrastés, prismatiques, qui révèlent une réalité avec toutes ses beautés et aussi avec toute sa misère et toutes son injustice. | James Dean, un beau cadavre Michel Bulteau Editions du Rocher | Jaurais tout aussi bien pu ranger le livre de Michel Bulteau dans le domaine romanesque. Mais ce nest pas un roman. Ce nest pas non plus une biographie au sens stricte et encore moins une biographie romancée, le genre le pire. Non. Disons quil reconstitue à sa manière lexistence fulgurante de James Dean, en tentant de maintenir un équilibre fragile (peut-être impossible) entre la réalité et le mythe. Mais lexistence de lacteur na-t-elle pas consister à entrer dans la sphère mythique du cinéma? Une poignée de pièces de théâtres à ses débuts, puis sept films dont trois seulement peuvent compter voilà tout ce qui a suffi à faire de jeune homme un peu tête brûlée, mais très sérieux dans son métier, une figure incontournable du XX ème siècle. Bulteau a très bien su faire revivre ce personnage hors du commun dans un livre écrit comme on écrit un roman damour, mais sans tomber dans les stéréotypes du genre. | Gérard-Georges Lemaire © visuelimage.com - reproduction autorisée pour usage strictement privé - |
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