Chroniques des lettres Chronique de lan VI (1) par Gérard-Georges Lemaire Le bel autrefois | La Gorgone Méduse, Sylvain Déloc Editions du Rocher | Qui fut Méduse dans la mythologie antique? Comment son image et ses attributs ont-ils été modifiés au fil du temps ? On la rencontre pour la première fois chez Homère et, par la suite, comme toutes les figures mythologiques, elles a changé daspect et de signification. Lauteur a fait une étude chronologique très poussée à travers les textes. De Virgile à Céline, dAgrippa dAubignée en passant par Goethe et Hugo, Sylvain Déloc nous invite à ce voyage dans le temps de la représentation qui sera utile à ceux qui sefforcent dinterpréter les tableaux car il faut savoir ce que cette Gorgone a pu signifier à tel ou tel moment de la culture occidentale. | Rembrandt, le clair, lobscur Pascal Bonafoux Découvertes , Gallimard Chefs-duvre du musée Fabre de Montpellier, Fondation de lHermitage /5 Continents | En cette année qui est marquée par lanniversaire de Rembrandt, la monographie de Pascal Bonafoux vient dêtre rééditée. Dans les quelques documents reproduits en fin de volume des écrits de Delacroix, Van Gogh, Fromentin, Claudel, Genêt on comprend que lartiste a fasciné au fil des siècles. Cette biographie raconte laventure esthétique de cet homme qui est bien autre chose quun maître du clair obscur, en somme, un technicien de léclairage ! Cest un peintre qui na jamais cessé dinterroger la peinture et de la pousser dans ses retranchements. Et lon comprend alors pourquoi il sest heurté à lhostilité dun certain nombre de ses contemporains. Le musée Fabre de Montpellier est sans nul doute lun des plus beaux musées de province en France. Que lHermitage de Lausanne ait présenté un choix des toiles qui y sont conservées et ait publié un superbe catalogue nous amène à nous demander dans quelles conditions il fut créé. En 1778, le maréchal duc de Biron, gouverneur du Languedoc, donne naissance à une Société des beaux-arts avec un groupe de « curieux » et de « connaisseurs ». Lobjectif était de développer lenseignement artistique et de promouvoir les arts. Mais cette Société est dissoute en 1787 à cause de dissensions et de la rivalité avec Toulouse. Montpellier ne fait pas partie des villes dotées dune collection lui permettant de fonder un musée pendant la Révolution. La ville reçoit enfin en 1802 une trentaine de toiles (dont des morceaux de réception à lAcadémie). Mais son véritable fondateur est le peintre François-Xavier Fabre. Cet élève de David, Grand Prix de Rome en 1787, qui a vécu en Toscane et y a connu un certain succès. Il constitue une importante collection et la lègue à sa ville natale. Le musée ouvre ses portes en 1828 et compte des oeuvres de lÉcole italienne (Raphaël, Salviati, Allori, Cigoli, etc.), des tableaux de lécole française du XVII e siècle, dont des Poussin, des contemporains de lartiste et des paysagistes italianisants du Nord. Au début de la IIIe République, Alfred Bruyas (Delacroix a fait son portrait) a fait une importante donation donnant sa physionomie. Aujourdhui, on y voit un bel ensemble de Courbet et des toile de Bazille, lenfant du pays. | Modernité, mon beau souci | Matisse-Derain, la vérité du fauvisme, Jacqueline Munck et Rémi Labrusse, Hazan | Le centenaire du laffaire du « cirque des fauves » qui a marqué le Salon dautomne de 1906 est un peu passé inaperçu en dehors de lexposition du musée de Matisse de Cateau-Cambresis. On aime commémorer les grands hommes, moins les événements marquants de lart moderne. La remarquable étude de Jacqueline Munck et de Rémi Labrusse représente la seule publication digne de ce nom sur le sujet. Elle met en lumière lintense relation de Derain et de Matisse. Le premier devient le « Fauve chef » et lautre, le « Fauve sous-chef ». Cette concentration sur ce binôme en cache dautres, celui qui unit Matisse à Marquet et celui qui rattache Vlaminck à Derain. De plus, cela implique une perspective franco-française qui est un peu gênante : cest un peu vite oublier lexposition dEdvard Munch qui voyage en Europe lannée précédente et qui met le feu aux poudres et aussi le caractère européen cette nouvelle intelligence de la peinture, puisque lexpressionnisme allemand naît parallèlement avec le groupe Die Brüke. Mais la chronologie, les nombreux documents et lanalyse très précise (même si elle nest pas toujours facile à cerner à cause la construction de louvrage) en font un ouvrage de référence incontournable. | La Grande galerie des sculptures, Thierry Dufrêsne, Editions Centre Pompidou, musée du Louvre, Editions du musée dOrsay | Lart contemporain est-il devenu une matière obligatoire ? On serait en droit de le croire. Les grands musées parisiens présentent plus dexpositions dartistes de notre temps que dexpositions correspondant à leur destination initiale. Qui éprouve le désir de visiter le musée Bourdelle doit obligatoirement acquitter un billet pour voir les oeuvres dun créateur actuel. A Orsay, on « confronte » un maître du passé à un disciple de Duchamp ou à un sculpteur de troisième catégorie quon ne voit dans aucune institution destinée à ce genre de pratique. Et le Louvre néchappe pas à la règle. Il est même devenu une annexe du Centre Georges Pompidou tant les manifestations se multiplient (outre les expositions, il faut prendre en ligne de compte les conférences, les projections de film, les colloques, les rencontres, etc.) Un livre vient maintenant sacraliser cette « mise en abysse» permanente avec La Grande galerie des sculptures. Il sagit de confronter des sculptures trois par trois selon des thèmes précis. Par exemple, le cri : le Génie de la patrie de Rude est placé à côté de Milos de Crotone de Puget et du Masque de Montserrat criant de Julio Gonzales. Quel enseignement peut-on en tirer ? Quon a crié différemment de siècle en siècle ? La notion de travail est aussi très bizarre : le Scribe accroupi de lÉgypte ancienne est opposé à La Machine humaine de Hoetger et au Requiem pour une feuille morte de Tinguely. Là, on se demande vraiment si les exemples donnés ont le moindre sens. | Frans Krajcberg, la traversée du feu, Claude Mollard & Pascale Lismonde, Isthme Editions. LArt révolté, Frans Krajcberg, Pascale Lismonde, Giboulées, Gallimard/Jeunesse. | Lautobiographie de Frans Krajcberg, cet homme venu de la Pologne pour se retrouver dans le Montparnasse mythique dont il a pu rêver pendant sa jeunesse (ce nétait pas la création artistique qui était au rendez-vous, mais la guerre). Cette vie exceptionnelle nous est racontée avec simplicité et efficacité par Claude Mollard et Pascale Lismonde. Les journaux de voyage en Amazonie de Pierre Restany ainsi que son « Manifeste du naturalisme intégral », inspiré par les conceptions figurent en appendice de cet ouvrage. Parallèlement, et avec beaucoup dallant, Pascale Lismonde explique aux jeunes lecteurs la nature et les sous-entendus de loeuvre du grand sculpteur. Ce passionné de la nature a voulu établir une parfaite unité de sa vision du monde (qui est dabord un combat). Cet artiste de Montparnasse a trouvé dans la forêt amazonienne (il la découvre en 1966) la véritable source de son inspiration et de sa révolte contre les hommes qui veulent détruire cet immense espace sauvage. Lart est pour lui une révolte et un moyen de lutter contre la destruction de la nature. Il a convaincu Restany de mener cette grande bataille avec lui. Il décide de vivre à dix mètres de hauteur dans une maison perchée dans un arbre dans lÉtat de Bahia. Et là, il a produit ces oeuvres étranges qui ont des formes naturelles. Cest là une belle introduction à une démarche passionnante. | Les Écrits dYves Klein, Nicolas Charley, Transédition | Lexcellente étude de Nicolas Charley laisse rêveur : Yves Klein a quitté cette terre en 1962. Quand on lit cet ouvrage qui retrace son parcours avec une grande précision, on a le sentiment dentendre parler dun artiste disparu voici une éternité ! Lhagiographe semble investi ici dune mission sacrée qui consiste à rendre le moindre fait et le moindre geste de lartiste. Le fil conducteur est ici labondante littérature produite par Klein au fil de sa brève et fulgurante carrière. Et, il faut le souligner, ce récit est mené de main de maître avec clarté et discernement. Au fond, Nicolas Charley restitue la démarche de ce créateur dans sa vérité, car tout ce quil a entrepris est sous-tendu par une réflexion quon a trop tendance à mettre de côté quand on laborde. Cette recherche est par conséquent un excellent instrument pour pénétrer les arcanes de lauteur du Vide, du Plein et des monochromes bleus car elle met laccent sur les lectures de Klein, de Delacroix à Bachelard, qui exhume le lent et passionnant cheminement de sa pensée esthétique. | A la couleur, Jan Voss, Mercure de France | Jan Voss vient de faire paraître un beau livre de souvenirs ou, plus exactement un carnet de bord à travers lequel il a brossé un autoportrait très pudique, puisquil parle dabord de sa démarche créative, de son atelier, de sa relation au monde de lart (parfois avec beaucoup dhumour et dironie). Cet artiste de talent (un artiste abstrait mais résolument en marge des grands courants hégémoniques) se raconte sans jamais faire acte de vanité et dégotisme. Très bien mis en page, le livre est illustré de quelques photographies et surtout daquarelles et de dessins dun peintre très discret pourtant si talentueux. Ces notes dispersées révèlent une personnalité très riche et passionnante. Nul amateur dart ne saurait se priver de la lecture de ce petit ouvrage qui nous change des exercices dauto admiration. | Les instruments du métiers | Le geste et lexpression, Barbara Pasquinelli, Guide des arts, Hazan. Rome, Ada Gabucci, Guide des arts, Hazan | Dans la collection « Guide des arts » (Hazan), deux titres viennent de paraître pour voler au secours de ceux qui veulent trouver les clefs utiles pour pénétrer les arcanes de lart ancien. Barbara Pasquinelli nous enseigne la gestuelle qui a une fonction symbolique ou tout bonnement expressives dans les tableaux des siècles passés. Les sentiments, les émotions, les affects sont soigneusement examinés dans cet ouvrages, tout comme les formes ritualisées (les « signes efficaces»), la folie ou la mélancolie. Il y est question du vol mystique et des stigmates. Mêmes les gestes obscènes ne sont pas oubliés. Et lauteur sattache à lexamen dune science aujourdhui tombée dans les oubliettes: la physiognomonie. Cest un travail remarquable : lauteur examine chaque domaine avec simplicité, cohérence et compétence. Le Rome dAda Gabucci mérite également dêtre salué. Ce nest pas un guide mais un examen thématique des différents aspects de la vie profane et religieuse de la Rome ancienne, de lorganisation de la cité, de son urbanisme, des monuments et de ses formes artistiques, des lieux du culte des morts, etc. Aucun aspect de la vie quotidienne na été omis de telle sorte que lensemble constitue une petite encyclopédie de la romanité qui permet de rapidement obtenir une information sur un point ou un autre de cette ville compendium dune civilisation. | N.d.T. | Les Gens de Chuisa, Andreas Maier, tr. Florence Tenenbaum, Actes Sud | Lauteur nous entraîne à Chiusa, dans le Tyrol du Sud (une région arrachée à lAutriche au terme de la Grande Guerre), au bord de lIsarco (Albrecht Dürer la dessiné) plusieurs destin se croisent et vont avoir partie liée. Les personnages de cette fiction sont en fait réunis face à un grave problème: un projet ambitieux de viaduc a dénaturé à jamais le paysage. Et un trafic routier ininterrompu rend la vie des habitants insupportable. Que faire? Certains songent à une solution extrême: faire sauter le pont. Et lattentat a bien lieu. Mais on en ignore lauteur. Il entraîne néanmoins des arrestations et des disparitions. Limbroglio est complet. Car il ny a pas que laffaire qui occupe les esprits. A lauberge, véritable centre névralgique des marginaux de la petite ville, des figures singulières incarnent différents types. Un véritable festival de figures bizarres et pittoresques. Et cest là où le bât blesse. Le principe de réalité que met en scène le débat autour du pont (micro-drame de lécologie moderne) et le principe dirréalité, si je puis dire, qui se dégage des relations unissant ce petit monde digne du théâtre de labsurde engendrent une dialectique peu crédible. On a ici limpression que lauteur a voulu forcer le trait et cultiver à tout prix le loufoque et limprobable pour traduire une vision du monde qui, au bout du compte, ne va pas au-delà de cette vallée perdue. | Une anthologie, Haroldo de Campos, traduite et présentée par Inès Oseki-Dépré, Editions Al Dante | Les Éditions Al Dante proposent une anthologies des poèmes de Haroldo de Campos, créateur du groupe brésilien Noigandres disparu en 2001. Ce qui fait lintérêt de ces pages, cest que lauteur, qui passe pour le principal représentant de la poésie concrète dans son pays, a pris en compte la tradition du moderne, cest-à-dire sans exclusive et sans volonté de rompre le fil rouge dune grande histoire inachevée. Doù la grande diversité de ses créations et un désir constant dexpérimentation, cest-à-dire un désir de tenter de créer des espaces de langage incongrus ou inattendus. Voilà un écrivain à découvrir car il nest pas réservé à une petite secte poétique. | Mauvaise herbe, Claire Beyer, tr. Amélie Fery, Métro, Editions Jacqueline Chambon | Avec Mauvaise Herbe, Claire Beyer a signé un livre émouvant, écrit à la fois avec beaucoup de réserve et un style incisif. Cest lhistoire dune petite fille allemande, Vroni, qui grandit pendant les années cinquante au sein dune famille éprouvée par la guerre. Au centre du drame, son père, gravement mutilé, qui ne peut plus exister quà travers la rage, limpuissance, la violence et la colère. Vroni en souffre beaucoup, mais ne peut trouver de secours auprès de personne dans sa propre famille. Elle ne trouve de refuge possible quauprès de son professeur de piano, un Juif extravagant qui sidentifie à Mozart, un vieux professeur dhistoire qui la prend en affection et du Russe Ivan. Au coeur de ce désastre absolu, elle se construit un univers propre et parvient à supporter ce grand paysage de ruines
| En français dans le texte | uvre poétique I, Abdellatif Laâb, préface de Jean-Luc Wauthier, Editions de la Différence | Les Éditions de la Différence viennent de faire paraître le premier tome des oeuvres poétiques dAbdellatif Laâbi, le grand poète marocain né à Fès. Depuis Le Règne de barbarie (1967), jusquà Lumière de la caverne, une prose de nature philosophique (mais surtout une révélation de lesprit de sa poésie), nous avons la faculté de comprendre et surtout déprouver la singularité de sa démarche qui est bien peu formelle et qui est avant tout une réflexion sur lacte décrire et sur le regard quun poète doit porter sur le monde, sur ses drames (loppression, la captivité, lexil, la révolution, lémigration, car il sagit là du journal dun révolté) et sur ses espoirs déçus. OEuvre oscillant entre la dénonciation de linjustice et de la terreur et le récit égotiste de lexpérience personnelle de lécrivain, elle nous force à interroger la culture arabe moderne avec toutes ses contradictions. OEuvre forte et engagée, oeuvre qui ne se paie pas de mots, oeuvre qui sinterroge sans cesse, la poésie de Laâbi est une entreprise qui bouleverse sans jamais chercher à jouer sur les bons sentiments. | La petite et la grande histoire | Les Grandes horizontales, Virginia Rounding, tr. B. Dunner, Anatolia/Editions du Rocher. | Le titre français du livre de Virginia Rounding, Les Grandes horizontales, est une véritable trahison de lesprit que cette dernière a voulu lui donner. En effet, elle explique que ces demi-mondaines qui ont fait fureur au XIX e siècle en France nont pas été que des femmes qui vendaient leur corps contre un train de vie et parfois de véritables fortunes. Il nest que de songer à la Nana de Zola. Ce sont souvent des courtisanes au sens plein du terme, parfois des femmes cultivées. On songe à la figure dApollonie Sabatier, qui organise des soirées où Gautier avait entraîné Baudelaire. Celle-ci inspire à ce dernier plusieurs poèmes et une relation amoureuse sinstaure entre eux. Et là, lauteur des Fleurs du mal se dérobe devant la passion de cette femme qui la bouleversé. Et que penser de Marie Duplessis, celle qui est devenue limmortelle Marguerite Gautier de La Dame aux camélias sous la plume de Dumas fils ? Elle aussi ne répond pas exactement aux définitions simplistes de ces femmes pour lesquelles certains nont pas hésité à se ruiner. Elle sont lultime incarnation de la grande courtisane de la Renaissance, qui pouvait être, comme Louise Labé, non seulement une femme desprit mais une grande poétesse. Une incarnation à la hauteur de ce XIX e siècle car ces superbes créatures nétaient plus certes des femmes de lettres, mais elles tenaient des salons où se pressait le tout-Paris. Hélas, leur fin est souvent pathétique, comme celle de Cora Pearl, qui fut la maîtresse du prince Napoléon ou celle Blanche de Païva, qui se fit construit un extravagant et somptueux hôtel particulier sur les Champs-Élysées dès quelle a eu prise sur le jeune comte Guido Henckel von Donnersmark. Cette étude est remarquable et permet de percevoir sous un angle neuf cette période de notre histoire où la femme dissolue était associée aux rêves les plus fantasques. | Manolete, le calife foudroyé, Anne Plantagenet, Ramsay | Manolete a été une étoile filante au firmament de la tauromachie. Il est mort en 1947 en Andalousie, à trente ans, frappé par un taureau noir. Ce héros des arènes de la péninsule ibérique et de lAmérique latine, a pris une tournure romanesque quAnne Plantagenet raconte avec mordant et beaucoup de respect et même damour pour tout ce quil a représenté pour lart taurin. Cet homme quon croyait sans destin est devenu un torero légendaire (il a tant impressionné Abel Gance que ce dernier lui a consacré un film) et, du même coup, une figure scandaleuse. Ses amours tumultueuses avec Lupe Sino défraient la chronique. Voilà un superbe hommage à Manuel Rodriguez Sànchez, ce natif de Cordoue qui, encore aujourdhui, fait lobjet dun véritable culte. Il ne fut ni beau, ni doté dun caractère digne dun roman dErnest Hemngway. Mais, au milieu de larène, il fut un héros, presque un dieu. Et cela, Anne Plantagenet le fait éprouver dans les pages quelle lui consacre. | Gérard-Georges Lemaire © visuelimage.com - reproduction autorisée pour usage strictement privé - |
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