Les artistes et les expos Le rêve de Joseph K 2 par Francesco Magris Etienne Assenat Il y eut dabord et avant tout linsouciance de lenfance Il y eut dabord et avant tout linsouciance de lenfance. Permanence de contraintes et fraîcheur de léventuel. La facture dun temps, le sien, qui lui apporta sans quil le sut ce quil redonnera et lui échappera comme il se doit. Son écriture accomplie, stoppée par sa mort prématurée, lempêchera de pousser son exigence à son terme, mais quaurait-elle été ? Kafka nest pas un homme de façade comme Hugo peut lêtre. Kafka ne se place pas dans son oeuvre ; point dégocentrisme. Le regard quil nous incite à porter induit plusieurs focales : Il y a lhomme, le romancier puis le pouvoir évocateur de son nom devenu qualificatif par la notion quil nous donne dun univers dit « kafkaïen ». Kafka aura privilégié malgré lui ce qui nous amène à le constater. Une entité sans formule, une poésie de fond comme un ferment que trace parfois son imaginaire dont la densité peut transgresser toutes les structures nécessaire à lorganisation planifiée et modulable du roman. Kafka comme une surface à part, une teneur, bien des fois imprévisible qui conduit à luniversel. luniversel nous rappelle celui qui latteint, lindividu, la personne dont le corps, le physique est nourri par le retour de son oeuvre et qui contribue à sa mythification. La relation de l oeuvre est du physique, le mystère où sintercale entre les deux comme un espace indéchiffrable. Un portrait par ce quil est nous montre ce que lon ne verra jamais, ne saura jamais, une énigme en propre. Kafka, par son oeuvre, moffre un rayonnement et je me laccapare. Cest sa beauté : faire vivre celui qui prend. Façon classique dexister et, par un portrait de faire revivre ce qui est pour moi : une impression. Solange Galazzo La nuit des taupes « Jai organisé mon terrier, et il ma lair bien réussi ». Franz Kafka Elles avancent en aveugles. Que cherchent- elles dans cette obscurité ? Les taupes vivent dans le noir profond de lHadès. Et elles ont fini par devenir noires, elles aussi. Presque anthracites. Je suis lune delles. Je plonge dans lobscurité. Je me souviens : toute petite, jaimais dénicher tout ce qui se trouvait enfoui dans la terre ce monde invisible mintriguait beaucoup, trop même, dautant plus quil contenait des êtres vivants. Jai retrouvé dans les souterrains de Kafka les émotions de mes nuits enfantines. Maintenant que je me suis engagée à transposer dans mon univers pictural deux nouvelles de lécrivain pragois, La Taupe géante et Le Terrier, deux nouvelles « souterraines », je vois des taupes surgir à la surface au terme dun périple hasardeux dans des galeries dédaliques et dans la masse compacte et obscure. Elles vivent à mes yeux en symbiose avec les ocres de la terre ou du sable du Roussillon. Elles sont couvertes de griffures, comme si elles avaient dû porter le poids monstrueux de cette terre. Il ny aurait dans leur royaume enfoui que de minuscules lumières pour les guider. Elles sadresseraient à moi et me questionneraient comme de petites sphinges malicieuses après avoir déchiré cet espace chtonien informe. Par définition, le terrier est labyrinthique. Ce sont des galeries qui senchevêtrent au sein dune place forte avec quelques ronds-points et de rares galeries larges et dégagées. Cest limage dun égarement procurant le frisson de linconnu et de la peur de se perdre à jamais. Cest un lieu de perdition comme la vieille ville dAvignon au temps de la papauté, que François Pétrarque désignait comme la « troisième Babylone et le « cinquième labyrinthe » : chaque rue portait lespoir dune rencontre imprévue et ne pas sy retrouver, cétait rester étranger à jamais à sa vérité. Et cest aussi la manifestation concrète de la spirale originelle. (Gilles Ghez Dans cette boîte Dans cette boite, il ne sagit pas dillustrer des textes de Kafka. Plutôt de se laisser inspirer par ce que dégage la lecture de ses livres : une certaine forme dangoisse liée à limpression dêtre prisonnier dun mauvais rêve teinté dun humour très noir. Le titre, lui-même, dans sa formulation répétitive est déjà une souricière : le Ministère des ministères. Vestibule labyrinthique, personnages presque semblables obéissant aux pulsions de la poignée quils ont dans le dos, manipulés par qui, par quoi ? Bâtiment administratif, guère rassurant, orné dune statue fantomatique ligotée sous un drap Vers quelle tragique organisation monte péniblement cet homme qui saperçoit que les marches de lescalier ne sont pas assez profondes ? Sur quel néant ces pauvres créatures aboutiront- elles ?
|