Gregory Forstner : comme le nez au milieu de la figure par Sophie Braganti Né en 1975 au Cameroun. Travaille dans lun des Ateliers Spada de la Ville de Nice. Galerie Jocelyn Wolff à Paris. Expositions au Mamac de Nice davril à juin, galerie Michael Zink à Berlin en mai. documentsdartistes.org Quand il part tous les matins à latelier, après une petite mise en forme physique du côté de La Prom, on ne se doute pas quil prend autant au sérieux la question de lHistoire de la peinture dans la peinture qui serait la peinture de la peinture. Quand on comprend que les personnages facétieux de ses tableaux semblent nous narguer ou nous leurrer, on ne se doute pas que peindre peut encore brûler les doigts comme une question de vie ou de mort à lépoque des Romantiques. Sourire comme pour conjurer le sort, comme pour détendre latmosphère tendue de la toile. Grands sont les formats pour des cadrages pleine page, larges les touches de couleur à lhuile, paysages lointains comme supports darchitectures mystérieuses. Il y a, campés dans lintégralité de lespace du tableau, des personnages fantasques, fantaisistes, portraits imaginaires grossis, issus parfois de contes nordiques, de vieilles gravures, de lhistoire de lart qui occupent le territoire pictural. On en prend forcément plein la figure, me direz-vous. Mais demblée quelque chose nous surprend et nous immobilise, comme un sort. Quelque chose qui force la contemplation, à chercher la petite bête que notre regard guette, à laisser venir à soi. Doù vient que le regard suit un itinéraire voulu par le peintre, doù vient quà notre insu nous sommes manipulés ? Et quen même temps que nous regardons le regardeur, quelque objet nous en détourne pour une invitation à la mobilité en suivant le jeu des doigts qui prennent détranges poses (je pense aux directions des regards et des mains dans la peinture classique qui se mettent à créer des architectures en traçant des lignes, des itinéraires). Doù vient que dans les couleurs crues et acides, aigres douces mais parfois sourdes, ténébreuses, nordiques, des contrastes accusent les paradoxes comme dans cet enfant sauvage/apprivoisé aux dents dévastatrices et à lobjet énigmatique posé/tenu sur les doigts (Blueberry) ? Et ce passé/présent en Richard Gerstl ? Doù vient que ce qui se montre nest pas ce qui se voit et, pirouette, que ce qui se voit nest pas ce qui se montre ? Lair narquois dune naine, lil interrogateur du bouffon sadressent au peintre qui serait alors entrain de se portraiturer? Le fou simule et stimule. Le sourire nest pas le rire. Dans cette apparente jubilation à chercher, à " mettre le doigt " sur quelque chose, à pointer le gros plan avec une loupe, à triturer luvre jusquà leffacement, à badigeonner, à " pastisser ", règne une joie contrariée. Il y a dans ce ricanement denchanteur, la farce inquiétante du sorcier. Un regard sur le regard complètement décalé de ce qui nous est montré, comme un grain de sable dans la matière bien huilée qui vient perturber la pensée, jeter linsomnie. Le goûteur : il regarde dabord le peintre ensuite le spectateur, mais simultanément notre regard est happé par cette langue rouge vorace, attirante/repoussante alors quun escargot à peine esquissé bave sur la main comme si le vocable suffisait à provoquer des images en chaîne. Binôme encore de la langue rapide vers lescargot lent sorti du bestiaire de latelier (le pouce est coincé entre lindex et le médium comme dans ce jeu à destination des enfants lorsquon leur fait croire que leur nez a disparu). Attraction et répulsion se mêlent pour dompter le regard. Le cliché du goûteur est alors déjoué. Puis le nez cassé du Gentleman sent le vent tourner dune guerre perdue sans lui, une Fille dans le vent (pas à la mode) au pot improbable, le sceptre de Dit it de minj qui parle au roi (au peintre ?) tiendrait plus de la béquille que du pouvoir. Ce quil y a de propre à ce jeune peintre résistant à la déferlante anti-peinture qui sévissait dans les années 90, outre la cohérence et la puissance de la démarche, cest que lutilisation de la référence ne donne pas lieu à une simple citation revendicative et narrative pour un artiste qui manquerait de repères, qui serait obsédé par une boîte vide à idées creuses ou bien, qui croulerait sous le poids des maîtres. " La jouissance dun tel pouvoir nest indiciblement belle et pleine que parce quelle est riche de lhéritage dengendrements et denfantements de millions dêtres" écrivait Rilke dans les Lettres à un jeune poète. Celui-là conduit le spectateur dans un "ailleurs" de la mémoire, riche, qui trouve son enracinement dans une contemporanéité formelle et intellectuelle. Un ailleurs qui donne rendez-vous à la durée. Sophie Braganti
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