Les artistes et les expos Times Square à Issy-les-Moulineaux : Deuxième festival dart numérique à ciel ouvert par Thierry Laurent L art informatique est-il encore vraiment lart ? La technologique nétoufferait-elle pas cette indispensable part de poésie qui réside dans toute création ? Force est de constater que jusquà présent aucun progrès technique na véritablement fait perdre à lart sa faculté denchantement. Linvention de la peinture à lhuile, plus tard de limage photographique, du cinéma, de limage vidéo, ont forgé des esthétiques nouvelles, qui nullement nuit à la pertinence de la création. Aujourdhui, une nouvelle révolution est en train de sachever, celle de limage numérique. Une petite explication technique est sans doute utile. Jusquà présent, limage résultait dun procédé de reproduction dit « analogique », à savoir dun report intégral dune image sur un support, tel que toile, pellicule, cassette VHS etc. Avec la reproduction « numérique », limage finale est obtenue par reconfiguration informatique en pixels, qui ne sont autres que des points chromatiques obtenus par le principe du passage ou du non passage de lélectron, alternance du zéro et du un, conjugué en autant de « bits » et « doctets ». Cest dire quun programme informatique est en mesure de créer autant que reconfigurer en permanence limage dont la vocation est dêtre évolutive. Or, cette progression infinie de limage informatique peut être tributaire dun programme permettant au spectateur - et cest peut-être la vraie nouveauté sur le plan artistique - de participer directement à sa reconfiguration visuelle. Des caméras vidéo sont ménagées près de lécran qui enregistre le comportement des spectateurs, lequel, encore une fois, grâce à lordinateur, va influer directement sur lévolution de limage . Cest dire que le spectateur devient co-auteur du spectacle qui lui est donné à voir. On peut parler dune esthétique du comportement, lart résultant non plus forcément de la seule image dartiste, mais de la faculté de tout un chacun dinventer un comportement susceptible de modifier limage qui lui est proposée. Notons également que le son est susceptible dappropriation numérique et peut se prêter aussi au libre jeu de linteractivité. Des capteurs enregistrent les attitudes sonores des passants issues de leurs paroles, de leurs gestes, et renvoient par haut-parleur, après traitement informatique, des musiques qui évoluent au grés des passants. On aurait pu imaginer que les dernières innovations en matière dart numérique se déroulent à la Silicon Valley, mais ce nest pas le cas. Cest à Issy- les- Moulineaux que le Cube, « premier espace culturel entièrement dédié à la création numérique », développe depuis une quinzaine dannée des programmes de recherche en matière dart numérique, sous la direction artistique de Florent Aziosmanoff. Le résultat ? Le festival dart numérique à ciel ouvert dIssy- les- Moulineaux, dont la deuxième version vient davoir lieu au mois de mai. Le printemps est propice à ce genre de démonstration, puisquil sagit dun parcours tracé en pleine ville, invitant le public à déambuler à la découverte interactive des uvres installées dans les lieux de passage les plus fréquentés. Lart numérique se comprend comme un parcours dans le ville où tout un chacun est invité à faire évoluer les dispositifs sonores et visuels selon ses propres fantasmes comportementaux. Un bref aperçu des uvres. Avec Dompteur de Nuages, Florent Trochel projette une mer de nuages à même le sol, celle-ci se reconfigurant en permanence selon les allées et venues des promeneurs qui empruntent le passage de lAuditorium et ont limpression de flotter dans lespace. Un peu plus loin, place Leca, en bordure de lHôtel de Ville, Damaris Rish installe sur écran plasma son auto-portrait, un visage énigmatique où se succèdent toutes les émotions possibles, au grés des allées et venues des passants, manière de mettre en place une réflexion sur les incessantes altérations psychologiques que déclenche toute relation à lautre. Avec Fantômes de Vincent Lévy, limage du spectateur se projette en miroir sur écran plasma, mais il sagit dune image qui se dessine en flou, comme venant de lau-delà, sur fond dagglomération. De surcroît, les personnage mis en image peuvent une fois enregistrés réapparaître les jours suivant par intermittence, hantant lécran comme des « fantômes », selon le titre même de luvre. On connaît lartiste Miguel Chevalier pour son travail de recherche élaboré en matière dart numérique : avec Sur-Natures, lartiste nous offre à lemplacement du mail Raymond Menand un jardin virtuel où des plantes multicolores poussent à linfini, de nuit comme de jour, sinclinant de droite et de gauche au grès du passage des visiteurs. Blobmeister Millennium Bash de Thierry Bernard est situé à la sortie dun monoprix. Sur un écran plasma bien visible sagitent des formes alvéolaires rouges et vertes. Leur mouvement est calqué sur lévolution en temps réel des actions du Nasdaq, ( les petites boules rouges sont les actions qui montent, les vertes, celles qui baissent), et de fait les consommateurs du magasin, acteurs de notre économie monde, influent forcément par leurs achats sur lévolution de lindice Nasdaq, rendue visible sur lécran à la sortie du magasin. Avec Oiseaux de nuit, Jean-Marc Gauthier a reconstitué sur une série de trois écrans plasma le tableau dEdward Hopper, Nigthawks, avec ses personnages solitaires dînant nuitamment dans un bar derrière une vitrine, comme sil sagissait dun film. Sauf quici, le spectateur devenu metteur en scène peut à laide de son portable modifier les angles de vision des caméras et les actions des personnages qui bougent au grés de ses indications. Avec Fictions dIssy, Jean-Pierre Palpe nous invite sur les onze panneaux daffichage électronique de la ville à la lecture en temps réel dun roman évolutif à deux personnages. Comment ? Il suffit dappeler un numéro vert et dappuyer sur certaines touches spécifiques du clavier pour modifier le déroulement de lhistoire. Catherine Langlade est dabord chorégraphe, et de fait elle a installé sur le parvis du Musée Français de la Carte à Jouer un écran où évoluent de petites méduses dont lincessante agitation est déterminée par les pas de danses que les promeneurs sont invités à exécuter au rythme de la musique techno. Les Mains de Michaël Cros est luvre peut-être la plus fascinante de lexposition : sur un écran horizontal située dans labribus de la Place de lHôtel de Ville, des mains évoluent calmement comme de lents reptiles. Mais dès quun spectateur appose sa propre main sur une main virtuelle, cette dernière donne naissance à un bébé-main qui grandit et évolue de façon autonome. Les mains virtuelles ne sont pas éternelles, vieillissent et disparaissent inexorablement, aussi leur seule manière de se reproduire et de faire perdurer lespèce est de nouer contact avec les mains des visiteurs. Enfin, noublions pas que linformatique se prête aussi à toute forme denvironnement sonore. Roland Cahen, avec Tournez-Sons, installe le long du terminal de bus situé sur lesplanade de lHôtel de Ville un dispositif grâce auquel des chuchotements et des murmures se propagent dans un circuit denceintes, après avoir été déclenchés par les passages réguliers des bus municipaux. Avec Square II, uvre dun collectif dartistes « la Kitchen », cest un jardin public sonore qui est aménagé, où les faits et gestes des enfants se transforment en autant de musiques étranges, loufoques, inattendues. Luvre la plus poétique est celle de Florent Aziosmanoff : trois robots ultra-sophistiqués en forme de chiots sont programmés pour évoluer selon le scénario du Petit Chaperon Rouge . Lun est recouvert dune couverture rouge et figure le Petit Chaperon, lautre, en noir, représente le loup, et le troisième, en vert incarne le chasseur. Ces trois figures évoluent de façon autonome, ignorant la foule des enfants qui les regardent médusés. Electronique et conte de fée font ici bon ménage. La mise en place dun festival dart numérique à quelques pas de notre capitale est à saluer chaleureusement. Il permet non seulement aux artistes de poursuivre leurs projets dans le domaine le plus innovant de lart contemporain, mais suscite une rencontre de lart avec le plus grand nombre. Un art de plein air, qui cesse dêtre confiné à lintérieur de musées souvent élitistes, un art ultra-sophistiqué mais totalement poétique, qui sexpose sur les trottoirs, sur les places, qui enchante la ville et la vie : de loxygène au quotidien. Thierry Laurent © visuelimage.com - reproduction autorisée pour usage strictement privé - |
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