Dossier Ivan Messac Entretien avec Ivan Messac, par Franck Mallet Ivan Messac, dans les années 70 on vous a connu peintre, lié au mouvement de la Figuration Narrative (1), comment êtes-vous passé de la peinture à la sculpture ? Je ne suis pas passé, jai glissé imperceptiblement de la peinture à la sculpture. En effet, mes premières sculptures entre 1984 et 89, auxquelles renvoient les dessins présentés dans cet ouvrage, sont en carton peint. On peut dire alors que je ne suis plus peintre bien que je réalise des sculptures polychromes. La façon dont je quitte progressivement la peinture nest pas si différente de celle qui me fera passer du carton au marbre, de la sculpture au bas-relief pour retrouver ces derniers temps la peinture. Dès 1972, je me pose des questions théoriques du style : le choix des couleurs modifie-t-il le sens, idéologiquement parlant, des images ? Ces questions me suggéraient de nouvelles solutions plastiques. Plus tard en essayant déchapper aux contraintes de telles spéculations, je décidais de casser les aplats. Je voulais libérer la couleur, la laisser circuler dans le tableau. Deux séries seront issues de cette réflexion : Le Musée dans la rue et les roues de loteries foraines. Ces tableaux sont peints par touches, mais ils ninvoquent ni lImpressionnisme ni le Futurisme. On y voit néanmoins que je développe un intérêt grandissant pour le mouvement. Par ailleurs le chiffre, déjà présent dans les panneaux électoraux du Musée dans la rue, devient peu à peu le sujet des tableaux. Cest à la fois une figure et une forme, une représentation et une abstraction, un compromis harmonieux qui sapparente à la beauté Et cest ainsi que subissant la tentation de la peinture, je me suis retrouvé faisant des oeuvres, que lon pourrait qualifier dabstraites, construites à partir des chiffres et qui firent apparaître des formes sur un fond. À quoi bon le fond ? Si lon pose cette question, on est tout proche de la sculpture. Pour le coup, la photo, base de la figuration narrative, disparaissait totalement Oui, mais pour moi, il ny avait pas de rupture. Jétais parti de mes roues de loterie, et jallais ailleurs, entraîné par le mouvement. Un ensemble de toiles de 1982 sintitule Chiffres en cavale; le chiffre sen va, sort du cadre. Toute référence à la réalité sest évanouie, je ne porte plus mon regard sur le monde au travers de lobjectif photographique, je pénètre un monde fait de couleurs, de matières et despaces. Ma peinture nétait pas très éloignée du « pattern painting » (2), en effet jutilisais des motifs répétitifs semblables aux modèles récurrents dans la musique répétitive née dans le sillage de Lamonte Young (3). Je manipulais des rythmes et des tonalités. Des oeuvres apparemment formelles dont létendue nétait limitée que par les dimensions de la toile. Pourtant, dans les dernières toiles de 1983/84, comme je vous lai dit précédemment, des figures sinscrivent sur un fond. Ces figures, ces formes, par leurs lumières, leurs matières, expriment une certaine volumétrie. Cest ce qui ma incité à leur donner corps, à les transformer en dauthentiques volumes par élimination du fond. Venant de la peinture, je nenvisageais pas de me procurer un matériel et des matériaux de sculpteur et puis, je nétais pas dans une période faste, je nen aurais pas eu les moyens. Il fallait faire avec ceux du bord. Je disposais de carton qui me servait pour les encadrements, dun cutter, de colle, de papier et de couleurs. Je pensais bien que mes premières sculptures auraient pu être réalisées dans dautres matériaux, et cest ainsi que le carton sest fait métal, pierre ou bois. Si je pouvais de cette façon régler la question matérielle de la sculpture, il nen allait pas aussi simplement de la conception spatiale qui métait moins familière. Je lapprochais par des dessins sous différents angles. Un peu à la manière de projets darchitecture. Dans un second temps, je réalisais des dessins à léchelle un, que lon pourrait comparer à des plans, puis je construisais, puis je recouvrais les formes ainsi obtenues avec des papiers peints. Dire que je continuais à faire de la peinture, en réalisant ces premières sculptures, ne serait pas tout à fait exact. Certes, jutilisais de la peinture, mais de là à en faire, cest autre chose. À la manière de Matisse, je taillais dans la peinture. Cest-à-dire que je faisais de la sculpture. Poursuivons le parallèle avec larchitecture, naurais-je pas dû considérer les résultats obtenus comme des maquettes? Non, de toute évidence, il sagissait bien de sculptures, ce dont je ne doutais plus dès la deux ou troisième pièce réalisée. On peut parler de lillusion de la photo dans la peinture narrative. Dans cet ordre didée, peut-on parler de lillusion de la peinture dans la sculpture ? À lépoque de la Figuration Narrative, qui dans mon cas sétend de 1967 à 78, comme les autres artistes de ce mouvement, je me suis servi de la photo, quelle soit empruntée à la presse ou quelle provienne des archives familiales ou de mes propres reportages. Je ne pense pas quil sagissait de produire une illusion: de la photographie ou de la réalité. Nous utilisions la photographie soit comme sujet, soit comme modèle dans un monde ou limage tendait à se confondre avec la réalité. Cela mériterait quon y revienne une autre fois. Par ailleurs, il est vrai que je me suis demandé si le fait davoir « recopié» des photos, navait pas à voir avec une expérience de lenfance. En CM2, jobtiens tout juste la moyenne, donc tout va bien, je vais passer en sixième. À cette époque, nous avions des cahiers de récitation que nous devions illustrer à la maison. Moi, ça me plaisait bien, mais je nétais pas très sûr de mon talent, et cest ma mère, institutrice, qui sy employa. Ce fut une telle réussite que ma maîtresse a conservé le chef-doeuvre jusquà la fin de ses jours. Bien plus tard, ma mère récupéra le cahier quelle voulut me restituer comme étant le mien alors quil sagissait du SIEN. Me serais-je servi de la photographie pour peindre le monde, comme du talent de ma mère pour illustrer mon cahier de récitation ? Cela ne fait pas de moi un faussaire, même si par la suite jai donné à mes sculptures lapparence de matériaux qui nétaient pas ceux de leur réalisation. Mais lart est parfois jeu dillusion, illusionnisme. Par exemple : ma série de tableaux Clic-clac 3D de 2004, se voulait à lorigine un travail sur le faux tressage, la fausse paille et la taxidermie. Tout le monde la oublié, moi compris, et cette imitation nest plus perceptible comme élément premier de cette série (4). Il ne sagit plus que dun effet de peau recouvrant des bas-reliefs. Je mintéresse beaucoup à la peau, à lapparence, à lenveloppe et je pense que lapparence est plus importante quune supposée existence, plus proche de la vérité des êtres ou des choses. Lorsque dans la rue, je croise quelquun vêtu dune certaine façon, cest sous cette apparence que je le perçois. Cest ainsi quil soffre au monde, quil est pour vous, pour moi. De même pour une sculpture, elle se montre lisse ou rugueuse, de métal ou de pierre, etc. Elle nous montre sa peau, sa matière, ses dimensions, il ny a rien dautre à voir. Rien à lintérieur. Bien entendu, à la vue de ces apparences, nous éprouvons des sensations, nous dégageons du sens. Ce serait de fausses sculptures, puisquelles sont en carton ? Disons quelles sont trompeuses. On les a dites fausses ces sculptures Deux questions se superposent. Lune dordre général : quest-ce quune sculpture en tant que catégorie ? Existe-t-il une vraie peinture, un vrai dessin, gravure, dessin, vidéo, etc ? Une installation doit-elle se ranger dans la catégorie sculpture ? Ou encore, les objets fabriqués par lhomme sont-ils des Ready-mades ? Reste que la sculpture existe, la peinture aussi, la gravure, la vidéo, etc. Lart a beau être global, des catégories subsistent effectivement. Peut-on en conclure que tous les objets organisés dans lespace sont des sculptures ? Doù la seconde question : avons-nous à faire à une sculpture ? Définitivement oui, mais peut-on se fier à la parole de lauteur ? Est-ce que tailler ou modeler participe de la même conception de la sculpture ? Est-ce que, construire en carton et donner lapparence dautres matériaux Je dois reconnaître que les sculpteurs, à lexception de Daniel Pontoreau, ne mont pas reconnu demblée comme lun des leurs. Quant aux autres artistes, pouvaient-ils assimiler mes propositions à de la peinture ? Côté collectionneurs, ce nétait pas toujours très évident. Lun deux, qui nest pas des moins fidèles, a renoncé à lachat dune de mes pièces en carton car pour lui la sculpture était associée à la notion de pérennité, difficilement applicable à ce matériau. En général, la sculpture en carton nest pas tellement prise au sérieux. Parfois, elle lest trop : je me souviens avoir montré des photos de ces sculptures à un galeriste au Canada. Je sentais quil appréciait poliment, mais sans plus. Lorsque je lui révélai quelles étaient faites de carton, son regard changea du tout au tout. Là, ça lintéressait. Lillusion de la matière devenait soudainement un argument positif. Et cest bien pourquoi je lui avais parlé de ce que les photos ne laissaient pas voir. Tout le charme était là. Un peu comme dans lérotisme, où ce sont les mots que nous associons aux images qui provoquent notre désir. À lorigine de la sculpture, on trouve le dessin Le dessin, cest une façon de désirer la chose avant de la posséder. Il y a deux types de dessins. Celui qui sapparente au projet de la sculpture, avec des formes dessinées dans lespace, comme une pré-représentation de lobjet. Parfois ce dessin est très élaboré et même rehaussé à laquarelle. En effet, ne sachant pas si je réaliserai chacune de mes esquisses, ne serait-ce que par manque de temps, je voulais les pré-voir le plus précisément possible. Donc, pour quelques-unes, le dessin est très abouti, pour dautres il est resté à létat desquisse. Limportant étant de fixer sur le papier une idée. Mais il est bon parfois de jauger la forme, de lenvisager sous dautres points de vue, den voir les développements possibles. Le dessin sert donc à tester la future sculpture, à voir comment la forme initialement pensée pourrait se décliner. Dautre part je ne devais pas perdre de vue que les formes imaginées allaient être construites à partir de feuilles de carton. Cest donc un peu avant de les réaliser que je faisais un second dessin sur papier kraft, une sorte de plan à léchelle 1, qui serait par la suite reporté sur les feuilles de carton. Cette nouvelle phase me permettait de redessiner la forme, de la compléter, de la parachever. Mais ces deux dessins ne définissaient pas définitivement la forme. Au moment de la fabrication et de lajustement des différents composants, des modifications, dues aux renflements des surfaces courbées, apparaissaient. En construisant la sculpture, jexécutais les torsions indiquées par le dessin et les dimensions sen trouvaient modifiées. Alors je devais moduler une dernière fois la forme de chaque élément en le redessinant dans lespace. En résumé, il y avait trois phases de dessin : projet, plan et exécution. Ces sculptures sont déterminées par le chiffre 3. Elles sont « délimitées » par trois matières bien distinctes : métal/acier, marbre/pierre et bois/cuir/peau Dès mes premiers tableaux, le chiffre 3 semble occuper une place importante. Il sagit alors du fait que je nutilise que trois couleurs par oeuvre. Puis à loccasion des lectures que minspire la série des Indiens (1971/72), je découvre le langage des signes dans lequel un objet vaut pour lui-même, deux pour deux, mais trois vaut aussi bien pour trois que pour un groupe plus étendu. Trois arbres peuvent signifier une forêt, et trois personnages une famille sans en préciser le nombre denfants. Un peu comme pour les impôts en France, lenfant ne vaut quune demi-part. Donc, trois vaut pour deux et demi. Mais lon voit bien que ce troisième élément est celui qui constitue le potentiel du groupe. Pour simplifier, et de manière symbolique, jai choisi trois éléments pour signifier tout un univers. Dautre part, cela marrangeait de penser que jassociais les trois matériaux traditionnels de la sculpture : métal, pierre et bois. Une idée forte se dégage de cette sculpture, cest le mouvement, ou lillusion dune certaine tension, symbolisée par larc, la poulie, lhélice Jai du mal à répondre Néanmoins, la conception du mouvement me renvoie aux conceptions futuristes apparues au début du XX ème siècle. Il est vrai quelles mont intéressé à plus dun titre. Notamment, comme artiste issu des événements de 1968. À ce propos, je crois que les artistes sillusionnent beaucoup sur le parallèle qui pourrait exister entre leur désir dun monde merveilleux, poétique et harmonieux où lart aurait une place primordiale et les changements qui révolutionneraient les sociétés. Du coup, ils simaginent que ces bouleversements ont à voir avec ce à quoi ils aspirent. Si fait quils adhèrent sincèrement à des idées non par bêtise, mais par aveuglement, générosité et enthousiasme. Du côté russe, Rodtchenko sest peut-être laissé trop embarquer. Dautres en sont morts (Meyerhold, Maïakovski), ou se sont cloîtrés dans une attitude ambiguë, comme Chostakovitch qui a résisté à sa manière. En Italie, lattitude a été identique avec ce besoin de balayer un art ancien, véhiculant les valeurs de lAntiquité et de la Renaissance. Mais de nombreux futuristes sont morts durant la 1ère guerre mondiale, avant larrivée de Mussolini au pouvoir. Le Futurisme, avant tout pour sa valeur esthétique ? Oui, pour la richesse plastique de ses productions ; oui aussi à sa volonté de tout changer y compris la cuisine ; oui encore pour ses inventions comme le bruitisme de Russolo. Mais on a parfois mal interprété mon intérêt pour le Futurisme. Tout comme cela sest produit lorsque je me suis intéressé aux panneaux électoraux. Il sagissait pour moi de les considérer comme des lieux de représentation, au même titre que des tableaux, et non comme les véhicules dun quelconque message politique. Je souhaitais montrer, en quelque sorte, un Musée dans la rue. Je ne cherchais nullement à faire une peinture de propagande, je tentais par la voie de la peinture de questionner le lieu de labsence quest toujours la représentation en lui opposant lacte de peindre qui est la présence même. Le Futurisme a-t-il été une clé pour saisir le mouvement ? En me frottant à ces idées, jai pris conscience de ses valeurs esthétiques. Au-delà des théories de Boccioni, jai réalisé quun poids pouvait agir sur un levier (5). Jai surtout imaginé que les éléments que jassemblais exerçaient des forces les uns sur les autres, que la force de lun infléchissait la forme de lautre, que la sculpture était la forme résultante des résistances et des quantités de matières en présence. Mais pour les Futuristes, le monde nest pas quune machinerie, lhomme y agit ne serait-ce quen sy déplaçant plus ou moins vite. Et son action en modifie la perception. De le voir différemment, le monde en est-il changé ? Néanmoins, le Futurisme appelle lhomme à se mouvoir, à renoncer à la position ethno-statique de la perspective. Cest ce que jai tenté à ma manière avec les roues de loteries, puis le passage à la troisième dimension. On trouve une mécanique du mouvement Oui, dans la mesure ou les mouvements sarticulent les uns aux autres. La sculpture est cet état déquilibre dans lequel on surprend les formes. Il ny a pas de rupture, il y a eu probablement un mouvement, avant Mais nous nen savons rien. Tout va bien. Chaque élément a laissé une place à lautre. Il me semble que les dessins témoignent assez bien de cet état précaire, dun devenir possible de la forme. Mais ça ne se passe pas si bien : une tension apparaît? Bien sûr, jy perçois une résistance. On trouve des éléments entravés par dautres. Du coup, ça pousse dun côté et de lautre, la forme sadapte mais avec élégance. Dans la vie non plus, rien ne se passe sans tension. On touche ici lun des paradoxes de cette sculpture, rigoureuse sur un plan conceptuel, mais expressive dans son mouvement. Elle nous renvoie ainsi à larchitecture Il est curieux de constater que ce nest que quelques années après avoir commencé ces sculptures que je suis devenu enseignant dans une école darchitecture. Il est certain que le vocabulaire de la forme dans larchitecture ma influencé : chapiteaux, colonnes, arches, voûtes Mais aussi le corps par léchelle quil impose aux éléments de lespace autant que par les formes que produisent les positions quil adopte. Mes sources formelles sont aussi du côté de la géométrie (cube, sphère et leurs dérivés) et de celui de la forme abstraite et molle de type « arpien», tel los usé et arrondi par lérosion. Ce qui fait la rigueur de ces oeuvres nest autre que leur mode de construction qui se rapproche de celui des navires en bois. La sculpture est nervurée. Puis les nervures sont assemblées sur un arbre transversal, un tube de carton. Au final, rien ne sera plus visible de cette structure porteuse. Il faut être un peu ingénieur ou ingénieux pour réussir de telles opérations, mais javoue avoir toujours eu une passion pour la géométrie et ce que lon appelait autrefois : les leçons de chose. Vous évoquer la forme chez Jean Arp; le mouvement Dada serait-il présent dans votre sculpture ? Dada est sans forme, on peut donc lui attribuer beaucoup de choses, on peut y ranger ce que lon veut De dadaïsme, je qualifierais peut-être le jeu dapesanteur de mes sculptures Le côté trompe-loeil. Trompe-loeil, trompe-lesprit : cest une formule qui revenait souvent à leur sujet Moi-même, jai pris part à ce divertissement. La virtuosité de la tromperie stimule le spectateur, et le créateur. Et fort heureusement cest le plus souvent sur un malentendu quon se comprend. Là où je ne suis pas dadaïste, cest que je sépare lart et la vie, même si ma vie Jespère que vous êtes du champ pour champ daccord avec moi! Le groupe de trois Toutes leur vitesse à elles suggère un parti pris surréaliste Cest un titre trouvé par terre : voilà un clin doeil au Surréalisme. Mais le Surréalisme est partout, nous en sommes imprégnés. Je trouve un titre en posant une sculpture dans un pré, à côté de Nantes. Cétait un bout de papier déchiré sur lequel étaient tracés des mots qui ne pouvaient se lire quà la verticale et cela donnait : Toutes leur vitesse à elles. Je lai interprété en imaginant que cela signifiait : elles ont toutes leur vitesse à elles, cest-à-dire que chacune a son rythme à soi, mais que lensemble crée un tout qui avance en même temps Je lassociais à limage de trois femmes africaines qui, portant des objets sur leurs têtes, passent enturbannées dans leur boubou. Chacune, autonome, avec son déhanchement particulier et son rythme interne, mais, en même temps, toutes reliées avec cette impression dune colonne harmonieuse. À partir de cette idée, jai fait trois sculptures composées de trois éléments quasi identiques. Chacune est composée dune colonne torse de section carrée, dun récipient qui sapparente à un vase ou à une amphore, et dun élément plus souple reliant les deux autres sans quon puisse lassocier à lidée dun bras ou dun quelconque élément anatomique. Aucune des colonnes na la même taille, aucun récipient nest rigoureusement identique et le lien de chacune des trois est également différent. Donc, impossible de les intervertir ou de les confondre. En revanche, la couleur de chaque élément « tourne » dans les trois sculptures. Le bleu dune première colonne est confronté au marron rouge de la seconde et au jaune de la troisième. Idem pour les couleurs des deux autres éléments : récipient et lien. Jaime lidée de donner limpression que ces éléments soient interchangeables, alors quil nen est rien. Question didentité ! Limposant volume des sculptures ne donne jamais une sensation dépaisseur et de poids En particulier pour la série dite du Géomètre amoureux. Jai utilisé de la pâte à papier, du carton et du papier kraft. Aucun élément peint. Rien que du vrai carton ou du vrai papier Mais les sculptures avaient lair encore plus vrai que nature. Non pas de la nature du carton ou du papier, mais des éléments naturels de la sculpture : pierre et bois. Donc, échec ou réussite ? Moi, ça me plaisait bien, en tout cas Vrais ou faux, les matériaux semblaient lourds pour les uns, frêles pour les autres, assemblés entre eux suivant un équilibre fragile. Doù le titre. Un géomètre, cest précis, organisé. Il ne fait pas derreur. Malgré tout, il est amoureux et fait des choses plus fantaisistes : la pierre na plus son poids supposé et on se demande comment elle arrive à tenir Ensuite, jai fait une série dont le titre était Miroir à deux faces, où intervient un grand panneau, comme sil était en acier Cor Ten. Jétais donc revenu à lidée dun tableau, sans quon le sache ! Les sculptures avaient des allures dimmenses chevalets supportant des plaques métalliques: des surfaces sur lesquelles apparaissaient dhypothétiques phénomènes de rouille un retour à la peinture. Il est vrai que jai abordé la sculpture en passant par le chromatisme, y compris lorsque jai physiquement travaillé le marbre : par exemple dans le projet Aronta, destiné à Carrare (Italie), où un immense écran bleu entoure la sculpture (6). Il y a eu, après la sculpture en carton, la série des Ex-voto, en carton ciré, puis des sculptures en tissus de couleur, puis des assemblages de bois et marbre, de bronze et de papier Entre temps, la couleur était déjà présente dans des sculptures en marbre rouge de Vérone. Si lon considère que Rimbaud était resté poète à Aden, alors on peut effectivement se demander si je ne suis pas resté peintre à Carrare. Mais ce qui est sûr, cest que jen suis revenu sur mes deux jambes. Franck Mallet (1) « Est narrative toute oeuvre plastique qui se réfère à une présentation figurée dans la durée par son écriture et sa composition sans quil y ait toujours à proprement parler récit. », selon le critique dart Gérald Gassiot-Talabot, instigateur du mouvement de la figuration narrative. Cf. Jean-Louis Pradel : La figuration narrative. Villa Tamaris/Hazan, 2000. (2) Apparu aux États-Unis en 1975, le mouvement de la « Pattern Painting » rassemble à lorigine plusieurs artistes californiens, dont Robert Kushner, Kim MacConnel, Miriam Shapiro et Robert Zakanitch, tous étudiants dAmy Goldin à luniversité de Californie de San Diego. (3) Que lon songe aux partions composées à la charnière des années soixante et soixante-dix par Steve Reich (Its gonna rain, Come out, Phase Patterns, Drumming), Philip Glass (Strung out, Music in similar motion, Another loook at harmony, Einstein on the beach) et Robert Ashley (She was a visitor, Automatic writing, Private parts). (4) Série Clic Clac 3D dIvan Messac à la Galerie Laurent Strouk, Paris. Exposition du 30 septembre au 30 octobre 2004. Catalogue aux éditions Au Même Titre, 2004. (5) Peintre, sculpteur, Umberto Boccioni (1882-1916) a participé à plusieurs manifestes futuristes. En 1912, il signe le Manifeste technique de la sculpture futuriste, où il prône le déclin du marbre et du bronze, trop nobles, au profit de nouveaux matériaux: vitre, bois, fer, ciment, carton, tissu, cuir, miroir, lumière électrique. Labandon de la représentation à lantique vise à une reproduction abstraite du sujet à travers des plans en bois, des sphères en métal, des cercles, du fil de fer, des grilles. Il sagit de sauvegarder les formes, non la valeur figurative du sujet. (6) Aronta, projet. Cf. Sculpture pour Aronta, texte de Michel Enrici et photos dAndré Morain. Musée de Sens, 1998.
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